Et il s’était très vite assoupi. Mauvais.
La lueur rouge apparut de nouveau furtivement. Holden s’ébroua pour chasser les dernières brumes du sommeil, puis concentra son attention sur la console. Un voyant rouge d’alarme clignotait, et il toucha l’écran pour afficher le menu concerné. C’était le tableau répertoriant les menaces. Quelqu’un braquait sur eux un faisceau laser de visée.
Il ouvrit le tableau et activa les senseurs. Le seul vaisseau présent dans un rayon de plusieurs millions de kilomètres était le Ravi, et c’était lui qui les prenait pour cible. Selon le décompte automatique, il avait commencé quelques secondes plus tôt.
Il basculait le système comm externe pour contacter le Ravi quand le voyant annonçant un appel entrant s’alluma. Il autorisa la connexion, et une seconde plus tard entendit la voix de McBride :
— Rossinante, cessez toute manœuvre, déverrouillez votre sas d’accès principal et préparez-vous à être arraisonné.
Il posa un regard perplexe sur la console devant lui. Était-ce une plaisanterie de mauvais goût ?
— McBride ? Ici Holden. Euh… quoi ?
La réponse fut aussi désagréable que le ton était sec :
— Holden, ouvrez le sas d’accès et préparez-vous à être arraisonné. Si je détecte l’activation d’un seul de vos systèmes de défense, je fais feu sur votre vaisseau. C’est bien compris ?
— Non, répliqua-t-il sans réussir à masquer l’irritation qu’il ressentait. Ce n’est pas compris. Et je ne vais pas vous laisser arraisonner mon vaisseau. Mais qu’est-ce qui se passe ?
— Le commandement de la Flotte des Nations unies m’a donné l’ordre de prendre le contrôle de votre vaisseau. Vous êtes accusé d’avoir interféré avec des opérations militaires menées par la Flotte onusienne, d’avoir illégalement réquisitionné des systèmes de la Flotte, sans parler d’une liste d’autres crimes que je m’éviterai la peine de vous énumérer maintenant. Si vous n’obtempérez pas sur-le-champ, nous serons contraints d’ouvrir le feu.
— Ah, fit-il.
Ils avaient découvert que leurs missiles changeaient de trajectoire, ils avaient essayé de les reprogrammer et s’étaient rendu compte que les missiles ne répondaient pas.
Ils n’avaient pas apprécié.
— McBride, dit-il après un moment, nous arraisonner ne donnera rien. Nous ne pouvons pas vous rendre le contrôle de ces missiles. Ce n’est pas nécessaire, de toute façon. Ils effectuent seulement un petit détour.
Le rire de McBride ressemblait assez à l’aboiement bref d’un chien furieux qui s’apprête à mordre.
— Un détour ? dit-elle. Vous avez livré trois mille cinq cent soixante-treize missiles balistiques interplanétaires porteurs d’ogives thermonucléaires à un traître doublé d’un criminel de guerre !
Holden mit un temps avant de comprendre.
— Vous parlez de Fred, là ? Je pense que le terme “traître” est un peu…
— Désactivez les faux transpondeurs qui détournent nos missiles d’Éros, et réactivez ceux à la surface de l’astéroïde, ou nous détruisons votre vaisseau. Vous avez dix minutes pour obéir.
Un déclic ponctua la fin de l’échange. Holden considéra la console avec un sentiment qui se situait quelque part entre l’incrédulité et l’indignation, fit la moue et enfonça la touche d’alerte pour les postes de combat. L’éclairage rouge agressif envahit tous les ponts du vaisseau. Le mugissement de l’alarme retentit par trois fois. Moins de deux minutes plus tard, Alex gravit précipitamment l’échelle menant au cockpit, et trente secondes après lui Naomi se glissa sur le siège de son poste, aux ops.
— Le Ravi est à quatre cents kilomètres de nous, dit le pilote. D’après le ladar, ses tubes lance-missiles sont armés, et ils nous ont verrouillés comme cible.
Articulant avec soin, Holden répondit :
— N’armez pas, je répète, n’armez pas nos lance-torpilles, et pas de tentative d’acquisition de cible sur le Ravi pour le moment. Gardez-le à l’œil, et préparez-vous à passer en mode défensif s’il fait mine de tirer. Ne faisons rien qui puisse être interprété comme une provocation.
— Je dois commencer le brouillage ? proposa Naomi derrière lui.
— Non, ça pourrait être pris pour une forme d’agression. Mais prépare l’ensemble des contre-mesures et garde le doigt près du bouton pour les lancer, dit Holden. Amos, vous êtes dans la salle des machines ?
— Oui, chef. Au poste et prêt.
— Faites monter le réacteur à cent pour cent et basculez le contrôle des canons de défense rapprochée sur votre console. S’ils nous tirent dessus, à cette distance Alex n’aura pas le temps d’esquiver et de riposter. Vous voyez apparaître un point rouge sur votre écran, vous faites parler les CDR immédiatement. Bien reçu ?
— Cinq sur cinq, répondit Amos.
Holden inspira à fond sans desserrer les dents, puis il rouvrit le canal comm avec le Ravi.
— McBride, ici Holden. Nous ne nous rendons pas, nous ne vous laisserons pas nous arraisonner, et nous n’allons pas satisfaire à vos exigences. On fait quoi, maintenant ?
— Holden, dit McBride, votre réacteur monte en régime. Vous vous préparez à nous affronter ?
— Non, nous nous préparons seulement à essayer de survivre. Pourquoi, nous devons nous affronter ?
Un autre rire aigre, puis :
— Pourquoi ai-je l’impression que vous ne prenez pas la situation au sérieux ?
— Oh, mais je la prends très au sérieux, répliqua-t-il. Je ne tiens pas à ce que vous me tuiez et, croyez-le ou pas, je n’ai aucune envie de vous tuer. Les missiles effectuent un léger détour, mais ce n’est pas une raison pour que nous nous descendions en flammes mutuellement. Je ne peux pas vous accorder ce que vous voulez, et la perspective de passer les trente prochaines années dans une prison militaire ne me séduit pas du tout. Vous ne gagnerez rien à nous tirer dessus, et si vous le faites je riposterai.
McBride coupa la communication.
— Chef, le Ravi se met à manœuvrer, dit Alex. Il balance un paquet de signaux parasites.
Merde. Holden avait bien cru qu’il réussirait à convaincre McBride de ne rien faire.
— OK, on passe en mode défensif. Naomi, les contre-mesures. Amos ? Vous avez le doigt sur le bon bouton ?
— Prêt, répondit le mécanicien.
— Rien avant de voir le lancement d’un missile, rappela le capitaine. Ne leur forçons pas la main.
Une pression écrasante le frappa soudain en pleine poitrine et le plaqua au fond de son siège. Alex avait commencé à manœuvrer.
— À cette distance, je peux essayer de leur échapper, proposa le pilote. L’empêcher d’avoir un bon angle de tir.
— Allez-y, et ouvrez les tubes.
— Compris.
Malgré son calme professionnel, on sentait dans sa voix l’excitation que faisait naître en lui la proximité éventuelle du combat.
— J’ai brouillé leur acquisition de cible, dit Naomi. Leur système laser n’est pas aussi performant que le nôtre. Je le noie dans les signaux parasites.
— Vive les budgets de défense faramineux des Martiens, commenta Holden.
Le vaisseau tangua subitement dans un enchaînement de manœuvres folles.
— Merde, grogna Alex dont la voix était déformée par les poussées en g accompagnant les crochets qu’il effectuait. Le Ravi vient de commencer à nous canarder avec ses CDR.