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Au septième jour, elle ne disposait plus d’une seule goutte d’eau. Depuis vingt-quatre heures, personne à bord ne s’était déplacé à portée de son oreille. Elle suça une plaquette en plastique arrachée à la combinaison jusqu’à ce qu’elle obtienne un peu de salive. Alors elle se mit à crier. Elle cria jusqu’à en être enrouée.

Personne ne vint.

Le huitième jour, elle était prête à ce qu’on la tue. Elle n’avait plus d’eau depuis deux jours, et sa poche à déchets était pleine depuis quatre. Elle colla les épaules contre le mur arrière du compartiment et des deux mains prit fermement appui contre les cloisons latérales. Puis elle détendit les deux jambes et frappa de toutes ses forces. Les crampes qu’occasionna le premier coup faillirent lui faire perdre connaissance. Au lieu de quoi elle hurla.

Imbécile, se dit-elle. Son état de déshydratation et huit jours sans activité étaient plus que suffisants pour amorcer un phénomène d’atrophie musculaire. Elle aurait au moins dû pratiquer quelques exercices d’échauffement.

Elle massa ses muscles engourdis jusqu’à ce que la sensation de crispation disparaisse, s’étira et se concentra comme elle si elle était de retour au dojo. Quand elle eut recouvré le contrôle de son corps, elle frappa de nouveau. Encore. Et encore, jusqu’à ce que la lumière apparaisse au pourtour de la porte. Elle recommença, et le panneau finit par être tellement enfoncé que seules les trois charnières et la serrure restaient en contact avec son cadre.

Une dernière fois, et la porte s’incurva tant que le pêne sortit de la gâche, et l’ensemble s’ouvrit.

Julie jaillit hors du compartiment de stockage, mains levées à mi-hauteur et prête à sembler menaçante ou terrifiée selon ce qui lui paraîtrait le plus approprié.

Il n’y avait personne à ce niveau : le sas, le compartiment où elle avait passé les huit derniers jours, et une demi-douzaine d’autres. Tous étaient déserts. Dans un kit d’intervention elle prit une clef magnétique aimantée d’une taille suffisante pour briser un crâne, et elle descendit l’échelle menant au pont inférieur.

Puis à celui situé en dessous, et au suivant. Les cabines de l’équipage étaient impeccablement rangées, d’une façon presque militaire. Au réfectoire, aucun signe de lutte. L’unité médicale était déserte. Dans la salle des torpilles, personne. Le poste de communication était presque éteint, et les rares écrans encore en service ne trahissaient aucun signe du Scopuli. Une peur nouvelle lui serra le ventre. Pont après pont et quartier après quartier, aucun signe de vie. Il s’était passé quelque chose. Une fuite radioactive. Un poison quelconque dans l’air. Quelque chose qui avait poussé à l’évacuation de l’appareil. Elle se demanda si elle saurait le manœuvrer seule.

Mais s’ils étaient partis, elle les aurait entendus sortir par le sas, non ?

Elle atteignit l’écoutille du dernier pont, celle qui donnait accès à la salle des moteurs, et s’immobilisa quand le système d’ouverture ne fonctionna pas automatiquement. Sur le panneau d’activation une lumière rouge signifiait que la salle avait été verrouillée de l’intérieur. Lui revinrent alors à l’esprit la possibilité des radiations ou d’un incident technique majeur. Mais dans un cas comme dans l’autre, pourquoi verrouiller de l’intérieur ? Et elle était passée devant nombre de panneaux de contrôle muraux, or aucun n’avait indiqué une alerte quelconque. Non, il ne s’agissait pas de radiations. Autre chose, donc.

Il y avait plus de désordre ici. Du sang. Des outils et des conteneurs éparpillés. Quoi qu’il se soit passé, ça s’était passé ici. Non, tout avait commencé ici. Et tout s’était fini derrière cette porte close.

Il lui fallut deux heures, armée d’un chalumeau et de leviers récupérés dans la réserve de la machinerie, pour découper l’écoutille. Le système hydraulique étant hors service, elle dut l’ouvrir de force, à la main. Une bouffée d’air chaud la caressa, qui charriait des odeurs d’hôpital sans celle de l’antiseptique. Une senteur métallique, propre à donner la nausée. La salle de torture, donc. Ses amis devaient se trouver à l’intérieur, battus à mort ou découpés en morceaux. Julie brandit sa clef et se prépara à éclater au moins un crâne avant qu’ils la tuent. Elle se laissa flotter à l’intérieur.

La salle des machines était très grande, avec un plafond voûté pareil à celui d’une cathédrale. Le réacteur occupait le centre de l’espace. Mais quelque chose n’allait pas dans son aspect. Là où elle s’était attendue à voir des écrans, des panneaux lumineux et des plaques de protection, une couche faite d’une substance évoquant la boue semblait avoir tout recouvert. Lentement, une main tenant toujours sur l’échelle, elle s’en approcha. L’odeur singulière devint suffocante.

La boue solidifiée autour du réacteur avait une structure qu’elle n’avait encore jamais vue. Des tubulures la parcouraient comme des veines ou des conduits d’aération. Certaines palpitaient. Ce n’était donc pas de la boue.

De la chair.

Une partie saillante de l’ensemble se tourna vers elle. En comparaison de l’ensemble, elle ne paraissait pas plus grosse qu’un orteil, ou le petit doigt. C’était la tête du capitaine Darren.

— Aidez-moi, dit la chose.

1

Holden

Cent cinquante ans plus tôt, alors que la querelle de chapelle entre la Terre et Mars menaçait de se transformer en conflit ouvert, la Ceinture avait constitué un horizon lointain recelant des richesses énormes en minerais mais hors de toute atteinte économique viable, et les planètes extérieures échappaient encore aux projets d’exploitation industrielle les plus irréalistes. Puis Solomon Epstein avait conçu son petit propulseur à fusion modifiée, l’avait installé à l’arrière de son modeste yacht trois places et l’avait mis en marche. Avec un bon télescope, vous pouviez toujours voir son appareil filer un peu en dessous de la vitesse de la lumière en direction de l’infini. Les funérailles les plus longues et les plus réussies de toute l’histoire de l’humanité. Par chance, il avait laissé les plans de son invention dans son ordinateur, chez lui. Si le propulseur Epstein n’avait pas offert les étoiles aux êtres humains, il leur avait livré les planètes.

Long de sept cent cinquante mètres et large de cinq cents, affectant plus ou moins la forme d’une bouche d’incendie et en majeure partie vide à l’intérieur, le Canterbury était un transport colonial rééquipé. Autrefois il avait été plein de gens, de machines, d’approvisionnements, de cloches environnementales, de projets et d’espoirs. Aujourd’hui, un peu moins de vingt millions de personnes vivaient sur les lunes de Saturne. Le Canterbury y avait amené près d’un million de leurs ancêtres. Quarante-cinq millions d’âmes sur les lunes de Jupiter. Une des lunes d’Uranus comptait cinq mille colons qui formaient l’avant-poste le plus avancé de la civilisation humaine, du moins jusqu’à ce que les Mormons terminent la construction de leur vaisseau générationnel et s’élancent vers les étoiles, enfin libres des restrictions relatives à la procréation.

Et puis il y avait la Ceinture.

Si vous posiez la question à un recruteur de l’Alliance des Planètes extérieures éméché et enclin aux confidences, il vous disait que cent millions d’individus peuplaient la Ceinture. Vous questionniez un agent recenseur d’une planète intérieure, le chiffre était plus proche de cinquante millions. Mais dans un cas comme dans l’autre, cela représentait une population énorme, avec d’énormes besoins en eau.

C’est pourquoi le Canterbury et la douzaine de transports similaires de la Pure’n’Kleen Water Company faisaient l’aller-retour entre les généreux anneaux de Saturne et la Ceinture en treuillant des glaciers. Et ce serait leur lot jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que des épaves.