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Il se leva au ralenti, avec précaution, et alla vers l’échelle menant au carré d’équipage.

— Je vais m’allonger un peu, le temps que le gros des tremblements passe. S’il y a un message de P et K, prévenez-moi.

* * *

Il avala des sédatifs – de petits cachets amers qui laissaient un arrière-goût évoquant du pain moisi –, mais il ne réussit pas à dormir. Encore et encore McDowell posait la main sur son bras et l’appelait Jim. Becca riait et jurait comme un marin. Cameron fanfaronnait en racontant ses prouesses avec la glace.

Ade poussait un petit hoquet.

Holden avait effectué neuf fois le circuit Cérès-Saturne avec le Canterbury. Deux allers-retours par an, pendant presque cinq ans. Et durant tout ce temps, l’équipage n’avait quasiment pas changé. Voler à bord du Cant représentait peut-être le bas de l’échelle, mais cela signifiait aussi qu’il n’y avait nulle part ailleurs où aller. Les gens restaient, faisaient peu à peu du transport leur foyer. Après les transferts incessants vécus dans la Flotte, il appréciait cette stabilité. Et lui aussi avait fait son nid à bord de cette vieille poubelle. McDowell lui dit quelque chose qu’il ne comprit qu’à moitié. Le Cant grinça comme s’il était soumis à une accélération brutale.

Ade sourit et lui lança un clin d’œil.

La pire crampe à la jambe de l’histoire de l’humanité se répercuta dans tous les muscles de son corps d’un seul coup. Holden mordit sauvagement dans son protège-dents en hurlant. La douleur fit déferler en lui un oubli qui était presque un soulagement. Son esprit se ferma, submergé par les besoins de son corps. Par chance ou pas, les médicaments commencèrent à faire effet. Ses muscles se dénouèrent. Ses nerfs cessèrent de vouloir rompre, et la conscience lui revint comme un écolier revêche retourne en cours. Sa mâchoire le fit souffrir quand il ôta le protège-dents. Il l’avait mordu si fort qu’il avait laissé des marques dans le caoutchouc.

Dans la faible lumière bleutée de la cabine, il se demanda quel genre d’homme pouvait exécuter l’ordre d’anéantir un vaisseau civil.

Durant son passage dans la Flotte, il avait accompli certains actes qui l’empêchaient encore de dormir, parfois. Il avait suivi des ordres qu’il désapprouvait avec vigueur. Mais viser un vaisseau civil avec cinquante personnes à bord et presser le bouton qui allait lancer six missiles nucléaires ? Il aurait refusé. Si son supérieur avait insisté, il aurait déclaré que c’était un ordre illégitime et aurait exigé que l’officier en second prenne le contrôle de l’appareil et mette le commandant aux arrêts. Ils auraient dû l’abattre pour lui faire quitter le poste de tir.

Pourtant il avait connu des gens qui auraient exécuté cet ordre sans sourciller. Il pensait que c’étaient des sociopathes, des animaux qui ne valaient pas plus que ces pirates qui abordaient votre vaisseau, volaient votre moteur et votre air. Ce n’étaient pas des êtres humains.

Mais alors même qu’il entretenait cette haine que les brumes médicamenteuses rendaient réconfortante, il ne pouvait pas croire que les coupables avaient agi sans réfléchir. Et la question qui le taraudait en sourdine demeurait Pourquoi ? Que pouvait-on gagner à détruire un transport de glace ? Qui payait pour ça ? Il y avait toujours quelqu’un qui payait.

Je vais te retrouver. Je vais te retrouver et te buter. Mais avant ça, je vais t’obliger à m’expliquer.

La deuxième vague d’effets pharmaceutiques explosa dans son système sanguin. Il se sentit brûlant, le corps amolli, ses veines emplies de sirop. Juste avant que les substances chimiques lui fassent perdre conscience, Ade lui sourit et lui adressa un clin d’œil.

Et elle s’évapora, comme de la poussière dans le vent.

* * *

Son système comm émit un bip.

— Jim, dit la voix de Naomi, la réponse de P et K vient enfin d’arriver. Vous voulez que je vous la transmette ?

Holden dut fournir un effort pour donner un sens à ces paroles. Il cligna des yeux. Quelque chose n’allait pas avec sa couchette. Avec le vaisseau. Peu à peu, les souvenirs lui revinrent.

— Jim ?

— Non, fit-il. Je veux voir ça aux ops avec vous. Combien de temps suis-je resté dans le cirage ?

— Trois heures.

— Merde. Ils ont pris le temps pour répondre, hein ?

Il roula hors de sa couchette et essuya la substance sèche qui collait à ses cils. Il avait pleuré durant son sommeil. Il se dit que c’était dû au contrecoup du jus. Et cette douleur tenace dans sa poitrine, c’était seulement une trop grande pression sur ses cartilages.

Qu’est-ce que vous avez foutu pendant ces trois heures, avant de nous répondre ? se demanda-t-il.

Dans le poste de communication, Naomi l’attendait. L’écran devant elle affichait le visage figé d’un homme en train de parler. Ses traits lui parurent vaguement familiers.

— Ce n’est pas le directeur des opérations.

— Non, c’est le conseiller légal de P et K à la station Saturne, répondit Naomi. Vous vous souvenez, celui qui avait fait ce speech sur les mesures de rétorsion prises après les vols dans les stocks ? “Nous voler, c’est vous voler vous-mêmes.” C’est lui.

— Un avocat, grogna Holden en grimaçant. Alors les nouvelles sont mauvaises.

Naomi remit le message au début. L’homme sur l’écran revint à la vie.

— James Holden, ici Wallace Fitz. Je vous contacte depuis la station Saturne. Nous avons bien reçu votre demande d’aide, ainsi que votre rapport sur l’incident. Nous avons également capté votre émission accusant Mars d’avoir détruit le Canterbury. Une initiative pour le moins malavisée. Le représentant de Mars sur la station Saturne était dans mon bureau moins de cinq minutes après la diffusion de votre message, et la République martienne est très irritée par ce qu’elle voit comme des accusations de piraterie sans fondement la concernant.

“Afin d’enquêter sur cette affaire, et d’aider à découvrir qui sont les véritables coupables, s’il y en a, la Flotte martienne envoie un de ses vaisseaux stationnés dans le système de Jupiter pour vous récupérer. Le Donnager. P et K vous transmet les ordres suivants : vous allez vous diriger à vitesse maximale vers le système de Jupiter. Vous coopérerez pleinement et suivrez à la lettre les instructions que vous donnera le Donnager ou tout officier de la Flotte de la République martienne. Vous aiderez de votre mieux la FRM dans son enquête concernant la destruction du Canterbury. Vous vous abstiendrez de tout message, hormis à notre adresse ou à l’adresse du Donnager.

“Si vous contreveniez aux instructions émanant de la compagnie ou du gouvernement de Mars, votre contrat avec P et K deviendrait automatiquement caduc et en conséquence vous vous retrouveriez illégalement en possession d’une navette de P et K. Nous vous poursuivrions alors selon les lois en vigueur.

“Wallace Fitz. Terminé.

La mine sombre, Holden fixa du regard l’écran un moment encore, puis il secoua la tête.