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— Quoi ?

Le Terrien brandit un dossier. Celui de Julie Mao. L’histoire d’enlèvement. Le détail. Miller acquiesça et se frotta les yeux. Près de l’entrée du poste, on poussa une exclamation. Quelqu’un d’autre s’esclaffa.

— Ouais, non, je n’y ai pas encore touché, dit-il.

Avec un sourire, Havelock lui tendit la chemise. Il l’accepta et l’ouvrit. La fille de dix-huit ans lui sourit de toutes ses dents, qu’elle avait parfaites.

— Je ne voudrais pas te laisser toute la paperasserie, dit-il.

— Eh, ce n’est pas toi qui m’as tenu à l’écart de cette affaire ; c’est Shaddid. Et puis… ce n’est que de la paperasserie. Ça n’a jamais tué personne. Si tu te culpabilises, tu peux toujours m’offrir une bière après le boulot.

Miller tapota le mince dossier contre le coin de son bureau, pour aligner les documents à l’intérieur, contre la reliure.

— D’accord, dit-il. Je vais me pencher un peu sur cette histoire. Je serai de retour à l’heure du déjeuner, et j’écrirai quelques lignes pour faire plaisir à la patronne.

— Je serai là, répondit Havelock et, alors que son partenaire se levait : Eh, écoute, je ne voulais rien dire tant que je n’étais pas sûr, mais je ne veux pas non plus que tu l’apprennes ailleurs…

— Tu as fait une demande de mutation ?

— Oui. J’ai discuté avec quelques-uns de ces types de Protogène, quand ils sont passés. Ils disent que leur antenne sur Ganymède recherche un nouvel enquêteur en chef. Et j’ai pensé que…

Il haussa les épaules.

— C’est un bon changement de poste, dit Miller.

— Je veux simplement aller quelque part où on voit le ciel, même si c’est à travers un dôme, affirma le Terrien, et sa franchise un peu bourrue de policier ne put dissimuler la tristesse dans sa voix.

— C’est un bon changement de poste, répéta Miller.

* * *

L’appartement de Juliette Andromeda Mao était situé au neuvième niveau d’un tunnel qui en comptait quatorze disposés en gradins, près du spatioport. Le grand V qu’il formait était large de presque un kilomètre à son sommet, et pas plus large qu’un tunnel classique à sa base. Sa modernisation avait fait partie d’un programme touchant une douzaine de structures similaires remontant à des années avant que l’astéroïde se soit vu ajouter sa fausse pesanteur. À présent, des appartements bon marché et tout en longueur étaient creusés dans les murs, par centaines à chaque niveau. Des gamins jouaient sur les rues en terrasses, criant et riant sans raison. En bas, quelqu’un faisait évoluer un cerf-volant dans la brise légère qui soufflait en permanence, et le diamant brillant en mylar tournoyait et ruait dans les micro-turbulences. Miller compara les chiffres sur son terminal à ceux peints sur le mur. 5151-I. Le doux foyer d’une pauvre petite fille riche.

Il appliqua son neutraliseur sur la serrure, et la porte d’un vert sale se déverrouilla et le laissa entrer.

L’appartement s’enfonçait dans le corps de la station. Trois petites pièces en enfilade : d’abord ce qui tenait lieu de salon-salle-à-manger-cuisine, puis une chambre à peine plus large que la couche qu’elle contenait, et enfin une cabine encombrée par une douche, des toilettes et un demi-lavabo. La formule standard. Il l’avait déjà vue mille fois.

Miller resta immobile une minute, sans rien examiner en particulier, et écouta le sifflement rassurant de l’air recyclé dans les conduits. Il réservait son jugement en attendant de se faire une impression de l’endroit et, partant, de la fille qui y avait habité.

Spartiate n’était pas le mot qui convenait. L’appartement était simple, oui. Les éléments décoratifs se résumaient à une petite aquarelle encadrée représentant le visage d’une femme dans un style vaguement abstrait, au-dessus de la table dans la première pièce, et un groupe de plaques de la taille de cartes à jouer accrochées au-dessus du lit, dans la chambre. Il s’approcha pour lire les textes qu’elles portaient. Un diplôme décerné par le Centre de jiu-jitsu de Cérès reconnaissant à Julie Mao – et non Juliette – le grade de ceinture violette. Un autre la hissant à la ceinture marron. Les deux étaient distantes de deux ans. Une école sérieuse, donc. Des doigts, il effleura l’espace vide sur le mur, là où la plaque de la ceinture noire pourrait être placée. Aucune affectation visible – pas d’étoiles de lancer stylisées ou d’imitations d’épées. Juste la reconnaissance que Julie Mao avait fait ce qu’elle avait fait. Il lui accorda un bon point pour cela.

Les tiroirs contenaient deux tenues de rechange, une en toile épaisse et en jeans, l’autre en lin bleu, avec une écharpe en soie. Une pour le travail, l’autre pour la détente. C’était moins que ce que Miller possédait, et il n’avait pourtant pas une garde-robe volumineuse.

Avec les chaussettes et les sous-vêtements, il trouva un brassard marqué du cercle scindé de l’APE. Rien de surprenant pour une fille qui avait tourné le dos à l’aisance et aux privilèges pour venir vivre dans ce trou. Dans le réfrigérateur, deux boîtes de plats à emporter au contenu trop vieux et une bouteille de la bière locale.

Après une seconde d’hésitation, Miller prit la bière. Il s’assit à la table et sortit le terminal rétractable de son logement. Comme l’avait dit Shaddid, le mot de passe de l’inspecteur lui donna accès à la partition de Julie.

Le fond d’écran représentait une chaloupe de course. L’interface était arrangée en petites icônes lisibles. Communication, loisirs, travail, personnel. Élégant. C’était le mot qu’il cherchait. Pas spartiate, élégant.

Il passa rapidement en revue ses fichiers professionnels, pour se faire une impression d’ensemble, comme avec l’appartement. L’heure des recherches rigoureuses n’était pas encore venue, et une première impression était généralement plus utile qu’une encyclopédie. Elle avait des vidéos d’entraînement sur différents transports légers. Quelques archives concernant la politique, mais rien de militant. Un recueil de poésie écrit par un des premiers colons de la Ceinture.

Il passa à sa correspondance personnelle. Elle était classée avec autant de méthode que celle d’un Ceinturien. Tous les messages entrants étaient dirigés vers des sous-dossiers. TRAVAIL, PERSONNEL, INFORMATIONS, COURSES. Il ouvrit Informations. Deux ou trois cents brèves politiques, résumés d’un groupe de discussion, communiqués et annonces. Quelques-uns avaient été consultés, mais rien n’indiquait un intérêt assidu pour le sujet. Julie était le genre de femme prête à se sacrifier pour une cause, mais pas le genre à prendre plaisir en lisant la propagande. Miller referma le dossier.

COURSES était une longue suite de simples messages commerciaux. Quelques reçus, quelques annonces, des demandes de biens et de services. Une annulation pour un cercle de célibataires basé dans la Ceinture retint son attention. Il ouvrit la correspondance en rapport avec ce sujet. Julie s’était inscrite au service de rencontres catégorie “g basse, basse pression” en février de l’année précédente, et avait annulé en juin sans l’avoir utilisé.

Le dossier PERSONNEL était plus diversifié. Soixante ou soixante-dix sous-dossiers désignés par des noms. Certains étaient ceux de personnes – SASCHA LLOYD-NAVARRO, EHREN MICHAELS. D’autres des notations particulières – CERCLE D’ENTRAÎNEMENT, APE.

ERREMENTS/CULPABILITÉ MERDIQUE.

— Ah, voilà qui pourrait être intéressant, dit-il à l’appartement vide.

Cinquante messages remontant à cinq ans, tous expédiés par les stations des Entreprises Mao-Kwikowski dans la Ceinture et sur Luna. Contrairement aux tracts politiques, tous avaient été ouverts.