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— Que se passe-t-il ? demanda Holden.

— Nous recevons un faisceau de ciblage, Jim. Il s’est calé sur nous et a commencé à transmettre il y a deux minutes.

— Ça vient du Donnager ?

Le vaisseau de guerre martien était la seule source de communication laser à bonne distance qu’il pouvait imaginer.

— Non, ça vient de la Ceinture, répondit Naomi. Et pas de Cérès, d’Éros ou de Pallas. Aucune des grosses stations.

Elle désigna un petit point sur l’écran.

— Ça vient de là.

— C’est un coin d’espace vide.

— Erreur. Alex a vérifié. C’est le site d’un gros projet de construction sur lequel travaille Tycho. On n’a pas beaucoup de détails sur le sujet, mais les échos radar sont très puissants.

— Il y a là-bas un système comm capable de braquer un faisceau de la taille de votre anus sur nous, à trois unités astronomiques de distance, ajouta Alex.

— D’accord, ouah, je suis impressionné. Et que dit notre faisceau comm de la taille d’un anus ?

— Vous n’allez jamais le croire, répondit Naomi en branchant l’enregistrement.

Un homme au teint sombre et à l’ossature lourde de Terrien apparut à l’écran. Ses cheveux grisonnaient, et son cou était noueux de muscles vieillis. Il sourit et déclara :

— Salut, James Holden. Je m’appelle Fred Johnson.

Holden appuya sur le bouton “pause”.

— Ce type me dit quelque chose. Cherchez son nom dans la base de données de la navette.

Au lieu d’obéir, Naomi le fixa d’un regard perplexe.

— Quoi ? fit-il.

— C’est Frederick Johnson.

— D’accord.

— Le colonel Frederick Lucius Johnson.

La pause dura peut-être une seconde. Elle aurait tout aussi bien pu s’étirer sur une heure.

— Oh, merde, marmonna enfin Holden.

L’homme à l’écran avait jadis compté parmi les officiers les plus décorés des Nations unies, et il avait fini en symbole d’un de ses échecs les plus embarrassants. Pour les Ceinturiens, c’était le shérif terrien de Nottingham devenu Robin des Bois ; pour la Terre, un héros tombé en disgrâce.

Fred Johnson avait accédé à la gloire par une série de captures de pirates ceinturiens de haut rang, pendant une de ces périodes de tensions entre la Terre et Mars qui semblaient naître après quelques dizaines d’années de calme et se dissiper de nouveau. Chaque fois que les deux superpuissances du système croisaient le fer, le crime augmentait dans la Ceinture. Le colonel Johnson – qui n’était alors que capitaine – et sa petite escadre de trois frégates armées de missiles avaient détruit une dizaine de vaisseaux pirates et deux de leurs principales bases en l’espace de deux ans. Lorsque la Coalition avait cessé de se chamailler, les actes de piraterie avaient notablement baissé dans la Ceinture, et le nom de Fred Johnson traînait sur toutes les lèvres. Il avait été promu et on lui avait confié le commandement d’une escadre de la Flotte, avec pour tâche de faire respecter l’ordre dans la Ceinture, ce dont il s’était acquitté avec succès.

Jusqu’à la station Anderson.

C’était un petit dépôt de la Ceinture à l’opposé de Cérès, et la plupart des gens, dont une majorité de Ceinturiens, auraient eu du mal à le situer sur une carte. Sa seule importance se résumait à une station de distribution mineure de l’eau et de l’air, dans une des zones les plus clairsemées de la Ceinture. Moins d’un million de Ceinturiens étaient approvisionnés en air par Anderson.

Gustav Marconi, un bureaucrate de carrière mis en poste par la Coalition sur la station, avait décidé de percevoir une taxe supplémentaire de trois pour cent sur tous les chargements transitant par Anderson, dans le but d’accroître les rentrées financières. Moins de cinq pour cent des Ceinturiens achetant leur air à Anderson vivaient avec un masque, de sorte qu’un peu moins de cinquante mille Ceinturiens risquaient de devoir passer une journée par mois sans respirer. Seul un petit pourcentage de ces cinquante mille personnes ne disposait pas de la marge nécessaire dans leur système de recyclage pour couvrir ce léger manque. Parmi eux, seuls quelques-uns estimaient qu’une révolte armée était la réponse appropriée.

Ce qui explique pourquoi, sur le million de personnes touchées par cette mesure, cent soixante-dix Ceinturiens armés seulement marchèrent sur la station, l’investirent et jetèrent Marconi par un sas. Ils exigèrent du gouvernement la garantie qu’aucune autre taxe ne serait appliquée à l’air et l’eau transitant par la station.

La Coalition leur envoya le colonel Johnson.

Durant le Massacre de la station Anderson, les Ceinturiens continuèrent de faire tourner les caméras de l’installation, et ils diffusèrent dans le système solaire l’intégralité de l’assaut. Tout le monde put voir les Marines de la Coalition mener une longue et horrible bataille couloir par couloir contre des hommes qui n’avaient rien à perdre et aucune raison de se rendre. Comme c’était prévisible, la Coalition l’emporta, mais le massacre retransmis en direct dura trois jours. L’image vidéo emblématique de cet épisode ne fut pas un combat mais la dernière que les caméras de la station prirent avant d’être débranchées : le colonel Johnson au centre ops, parmi les cadavres des Ceinturiens qui avaient opposé leur dernière résistance là, contemplant le carnage d’un regard impassible, mains pendantes le long du corps.

Les Nations unies avaient essayé de ne pas ébruiter la démission du colonel, mais il était trop connu du public. La vidéo de la bataille avait occupé les réseaux pendant des semaines, jusqu’à ce que l’ex-colonel fasse une déclaration publique dans laquelle il présentait ses excuses pour le massacre et annonçait que les relations entre la Ceinture et les planètes intérieures étaient intenables et que la situation allait vers une tragédie encore plus grande.

Puis il avait disparu. On l’avait presque oublié, et il n’aurait plus été qu’une note en bas de page dans le grand livre d’histoire des carnages humains si la colonie de Pallas ne s’était pas révoltée, quatre ans plus tard. Cette fois les métallurgistes de l’affinerie jetèrent le gouverneur de la Coalition hors de la station. Il ne s’agissait pas d’une petite installation avec cent soixante-dix rebelles, mais d’un des astéroïdes majeurs de la Ceinture, hébergeant une population de cent cinquante mille âmes. Lorsque la Coalition ordonna de faire intervenir les Marines, tout le monde s’attendit à un bain de sang.

Le colonel Johnson surgit de nulle part et entama les négociations avec les métallurgistes. Dans le même temps il convainquit les commandants de la Coalition de ne pas engager leurs troupes et d’attendre que la station soit libérée sans heurts. Il passa plus d’une année en pourparlers avec le gouverneur de la Coalition afin d’améliorer les conditions de travail dans les affineries. Et subitement le Boucher de la station Anderson devint un héros de la Ceinture, et une icône.

Une icône qui envoyait maintenant des messages privés au Knight.

Holden remit l’enregistrement en marche, et ce Fred Johnson-là dit :

— Monsieur Holden, je pense que vous vous êtes fait avoir. Sachez tout d’abord que je m’exprime en qualité de représentant officiel de l’Alliance des Planètes extérieures. J’ignore ce que vous avez entendu dire sur notre compte, mais nous ne sommes pas une bande de cow-boys impatients de tirer dans tous les coins pour obtenir notre liberté. J’ai consacré ces dix dernières années à œuvrer pour l’amélioration de la vie des Ceinturiens, et je l’ai fait sans que personne soit tué. J’ai tellement foi en cette idée que j’ai renoncé à ma citoyenneté de Terrien quand je suis venu ici.