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— Cinq sur cinq, lieutenant, répondit Holden. Pas d’inquiétude à avoir. Mon équipage sera le groupe d’invités le plus facile à vivre que vous ayez jamais reçu.

Kelly adressa un petit hochement de tête à Holden, avec ce qui semblait être de la gratitude. C’était un professionnel chargé d’une mission déplaisante. Holden pouvait comprendre. D’un autre côté, il connaissait assez les Marines pour savoir qu’ils pouvaient se montrer très désagréables s’ils se sentaient provoqués.

— Pouvez-vous emmener M. Holden ici présent à son rendez-vous en repartant, lieutenant ? J’aimerais régler tous les détails avec ces gens.

Kelly acquiesça et prit Holden par le coude.

— Veuillez venir avec moi, monsieur.

— Où allons-nous, lieutenant ?

— Le lieutenant Lopez a demandé à vous voir dès votre arrivée. Je vais vous amener auprès de lui.

Le regard nerveux de Shed passa du marine à Holden, puis revint sur le soldat. Naomi hocha la tête. Ils se reverraient tous, se dit Holden. Il pensait même que c’était probable.

D’un pas pressé, Kelly le précéda à l’intérieur du vaisseau. Il ne tenait plus son arme comme s’il était prêt à s’en servir, mais la laissait pendre de son épaule. Soit il avait décidé que le capitaine du Knight n’allait pas lui créer d’ennuis, soit il pensait pouvoir le maîtriser aisément si ce n’était pas le cas.

— Puis-je vous demander qui est le lieutenant Lopez ?

— La personne qui a demandé à vous voir, répondit Kelly.

Le marine fit halte devant une porte grise et nue, y frappa une fois et le fit entrer dans une petite pièce meublée d’une table et de deux chaises inconfortables d’apparence. Un homme brun installait un magnétophone. Il eut un geste vague de la main en direction d’un des sièges. Holden s’y assit. La chaise était encore plus inconfortable qu’elle en avait l’air.

— Vous pouvez y aller, Kelly, dit l’homme qu’Holden supposait être Lopez.

Le marine sortit en refermant la porte derrière lui.

Quand Lopez eut fini, il s’attabla face à Holden et lui tendit la main. Holden la serra.

— Je suis le lieutenant Lopez. Kelly vous l’a probablement dit. Je suis membre des services de renseignements de la Flotte, ce qu’il ne vous a certainement pas dit. Mon travail n’a rien de secret, mais ils forment les Marines à ne pas trop parler.

Il plongea la main dans une poche, en sortit un petit paquet de losanges blancs et en goba un. Il n’en offrit pas à Holden. Ses pupilles se contractèrent jusqu’à n’être plus que des points noirs tandis qu’il suçait le losange. Une drogue pour aider à la concentration. Il allait guetter tous les tics faciaux et comportementaux d’Holden pendant l’interrogatoire. Difficile de lui mentir.

— Lieutenant de vaisseau James R. Holden, du Montana, dit-il.

Ce n’était pas une question.

— Oui, monsieur, répondit quand même Holden.

— Sept années dans la Flotte des Nations unies, dernière affectation à bord du destroyer Zhang Fei.

— C’est exact.

— Votre dossier précise que vous avez été dégradé pour avoir agressé un officier supérieur. C’est assez cliché, Holden. Vous avez frappé le vieux ? Sérieusement ?

— Non. Je l’ai raté. Je me suis cassé la main sur une cloison.

— Comment est-ce arrivé ?

— Il a été plus rapide que je m’y attendais, répondit Holden.

— Pourquoi avoir essayé de le frapper ?

— Je projetais mon dégoût de moi-même sur lui. C’est juste un coup de chance si j’ai finalement blessé la bonne personne.

— On dirait que vous y avez beaucoup réfléchi depuis, dit Lopez, dont les pupilles minuscules ne quittaient pas le visage de son vis-à-vis. Une thérapie ?

— J’ai eu beaucoup de temps pour y penser à bord du Canterbury.

Lopez ignora l’ouverture flagrante et enchaîna :

— À quelles conclusions êtes-vous arrivé, après toutes ces cogitations ?

— La Coalition marche sur la nuque des gens ici depuis déjà plus de cent ans. Je n’ai pas aimé être sa botte.

— Un sympathisant de l’APE, donc ? dit Lopez, impassible.

— Non. Je n’ai pas changé de camp. J’ai arrêté de jouer. Je n’ai pas renoncé à ma citoyenneté. J’aime le Montana. Je suis ici parce que j’aime voler, et que seul un vieil appareil rouillé de la Ceinture comme le Canterbury acceptait de m’embaucher.

Pour la première fois, Lopez sourit.

— Vous êtes un homme d’une franchise rare, monsieur Holden.

— Oui.

— Pourquoi avoir affirmé qu’un vaisseau militaire martien avait détruit votre transport ?

— Je n’ai jamais dit ça. J’ai tout expliqué dans le message diffusé. L’appareil possédait une technologie disponible uniquement dans les flottes des planètes intérieures, et j’ai trouvé un composant électronique estampillé “Flotte de la République martienne” dans le système qui nous a faussement poussés à faire halte.

— Nous allons vouloir l’examiner.

— Aucun problème.

— Votre dossier mentionne que vous êtes le fils unique d’une coopérative familiale, dit Lopez comme s’ils n’avaient jamais parlé que du passé intime d’Holden.

— Exact : cinq pères, trois mères.

— Ce qui fait beaucoup de parents pour un seul enfant…

Le lieutenant défit lentement l’emballage d’un autre losange. Les Martiens tenaient beaucoup aux traditions familiales.

— L’allègement fiscal pour huit adultes n’ayant qu’un seul enfant en commun leur a permis de posséder neuf hectares de terre cultivable, expliqua Holden. Il y a plus de trente milliards d’individus sur Terre. Neuf hectares, c’est l’équivalent d’un parc national. Par ailleurs, le mélange d’ADN est légal. Ils ne sont pas seulement parents sur le papier.

— Comment ont-ils décidé qui allait vous porter ?

— Mère Élise avait les hanches les plus larges.

Lopez déposa le deuxième losange sur sa langue et le suçota quelques secondes. Avant qu’il ait pu reprendre la parole, le pont frémit. L’enregistreur tressauta sur ses supports.

— Un tir de torpilles ? dit Holden. J’imagine que ces appareils de la Ceinture n’ont pas dévié de leur course.

— Un avis sur ce sujet ?

— Seulement que vous semblez très désireux d’anéantir des vaisseaux de la Ceinture.

— Vous nous avez placés dans une situation où nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de paraître faibles. Après vos accusations, beaucoup de gens se sont fait une très mauvaise opinion de nous.

Holden haussa les épaules. Si le lieutenant guettait un signe de culpabilité ou de remords, il en serait pour ses frais. Les vaisseaux ceinturiens savaient très bien à quoi s’attendre. Ils ne s’étaient pas déroutés. Malgré tout, quelque chose l’intriguait.

— Peut-être qu’ils vous détestent, dit-il. Mais il est difficile de trouver un nombre suffisant de membres d’équipage suicidaires à bord de six appareils. Peut-être qu’ils se pensent capables de distancer vos torpilles.

Lopez ne bougea pas d’un cil. Tout son corps était sous l’emprise d’une tétanie exceptionnelle due aux drogues de concentration qui se déversaient en lui.

— Nous…, commença le lieutenant.

L’alarme du quartier général se mit à mugir. Dans cette petite pièce métallique, le son était assourdissant.

— Bordel de merde, ils auraient riposté ? lança Holden.

Lopez s’ébroua comme un homme qui cherche à s’extraire d’un mauvais rêve éveillé. Il se leva et enfonça le bouton comm à côté de la porte. Un instant plus tard, un marine entra.