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— Ouais, désolé, dit son coéquipier. Je me suis levé un peu tard.

— Des nouvelles de ton transfert ?

— Non. J’imagine que mon dossier traîne sur un bureau, quelque part dans la station Olympe. Et toi ? Du nouveau pour ta mission avec la fille ?

— Rien encore. Écoute, la raison pour laquelle je voulais que nous nous rencontrions avant d’aller au poste… Il me faut quelques jours pour essayer de suivre certaines pistes en relation avec Julie. Avec tout le bordel qui arrive, Shaddid ne m’accordera que le droit de passer quelques coups de fil.

— Mais tu t’en fous, dit Havelock, et ce n’était pas une question.

— Je ne la sens pas, cette affaire.

— Comment est-ce que je pourrais t’aider ?

— En me couvrant.

— Et comment je vais m’y prendre ? demanda Havelock. Ce n’est pas comme si je pouvais leur annoncer que tu es malade. Ils ont accès à ton dossier médical, comme à celui de n’importe lequel d’entre nous.

— Raconte-leur que j’ai forcé sur l’alcool. Que Candace est réapparue. C’est mon ex-femme.

La mine pensive, Havelock mastiqua une bouchée de saucisse. Puis il secoua lentement la tête. Ce n’était pas un refus, mais le prélude à une question. Miller décida d’être patient.

— Tu me dis que tu préférerais voir la patronne penser que tu es absent parce que tu as fait la noce, que tu as le cœur brisé et que tu n’es pas opérationnel, plutôt qu’avouer que tu bosses sur la mission qu’elle t’a assignée ? Je ne pige pas.

Miller s’humecta les lèvres de la langue et se pencha en avant, en s’appuyant des coudes sur la table au revêtement blanc cassé. Quelqu’un avait gravé un symbole dans la surface lisse. Un cercle scindé. Et ils étaient dans un bar de flics.

— Je ne sais pas ce que je cherche, dit-il. Il y a un tas de trucs qui s’emboîtent les uns dans les autres, et pourtant je n’arrive pas à me faire une vision d’ensemble de l’affaire. Tant que je n’en sais pas plus, mieux vaut que je la joue profil bas. Un gars se prend un retour d’affection avec son ex, et il taquine un peu trop la bouteille pendant quelques jours ? Ce n’est pas de nature à intriguer qui que ce soit.

Havelock secoua encore la tête, cette fois pour exprimer une incrédulité tranquille. S’il avait été un Ceinturien, il aurait fait un geste des mains, pour que vous puissiez le voir quand il portait une combinaison pressurisée. Un autre des centaines de petits signes comportementaux par lesquels un Ceinturien se trahissait. L’écran mural affichait maintenant l’image d’une femme blonde en uniforme strict. La représentante des relations extérieures parlait de la réponse tactique de la Flotte martienne et se demandait si l’APE était derrière l’accroissement des actes de vandalisme. C’était ainsi qu’elle décrivait le fait de tripatouiller un réacteur nucléaire en surcharge tout en plaçant un piège explosif propre à détruire un vaisseau : du vandalisme.

— Il y a un truc qui ne colle pas, dit Havelock, et pendant un moment Miller ne sut pas s’il commentait les actes de guérilla ceinturiens, la riposte martienne ou le service qu’il avait demandé. Sérieux : où est la Terre, dans tout ça ? Toutes ces conneries s’accumulent, et on ne les entend pas réagir.

— Pourquoi réagirions-nous ? fit Miller. C’est Mars et la Ceinture qui sont en bisbille.

— À quand remonte la dernière fois où la Terre a laissé un événement majeur se produire sans y être impliquée jusqu’au cou ? dit Havelock, avant de soupirer. D’accord. Tu es trop bourré pour venir au poste. Ta vie amoureuse est un désastre. Je vais essayer de te couvrir.

— Juste pour quelques jours.

— Fais en sorte d’être revenu avant que quelqu’un décide que c’est l’occasion rêvée pour qu’une balle perdue tue bêtement un certain flic terrien.

Miller se leva de table.

— Compte sur moi. Et surveille tes arrières.

— Pas besoin de me le dire deux fois, répondit son équipier.

* * *

Le Centre de jiu-jitsu de Cérès était situé près du spatioport, là où la gravité était la plus marquée. L’endroit était un ancien entrepôt datant d’avant la grande rotation, qu’on avait reconverti. Un cylindre aplati où un revêtement avait été posé sur le sol et environ le premier tiers des murs. Des présentoirs et des râteliers contenant des bâtons de tailles diverses, des épées en bambou et des couteaux d’entraînement en plastique mat pendaient du plafond voûté. Les dalles polies renvoyaient l’écho des hommes grognant sur une rangée de machines d’endurance et celui, plus sourd, des coups par lesquels une femme punissait un gros sac de frappe au fond de la salle. Trois élèves se tenaient sur le tapis central, où ils conversaient à voix basse.

Des portraits occupaient le mur, de chaque côté de la porte d’entrée. Des soldats en uniforme. Des agents de la sécurité appartenant à une demi-douzaine de sociétés ceinturiennes. Peu de représentants des planètes intérieures, mais quelques-uns quand même. Des plaques commémorant les titres remportés en compétition. Une page en petits caractères résumant l’histoire de l’école.

Un des élèves poussa un cri et se laissa aller au sol en entraînant un autre élève dans sa chute. Celui toujours debout applaudit et les aida à se relever. Miller chercha dans le mur d’images le portrait de Julie.

— Je peux vous aider ?

L’homme était plus petit que lui d’une demi-tête, et deux fois plus large. Cette corpulence aurait dû le faire ressembler à un Terrien, mais tout le reste de sa personne indiquait le Ceinturien. Il portait un survêtement clair qui accentuait son teint sombre. Son sourire était empreint de curiosité et aussi serein que celui d’un prédateur bien nourri.

— Inspecteur Miller. Je travaille à la sécurité de la station. J’aurais aimé avoir quelques renseignements concernant une de vos élèves.

— C’est une enquête officielle ? demanda l’homme.

— Ouais, j’en ai bien peur.

— Alors vous avez un mandat.

Miller sourit. L’autre lui répondit de même.

— Nous ne vous donnerons aucun renseignement sur nos élèves sans un mandat. C’est la politique du centre.

— Je respecte ça, dit Miller. Non, vraiment. C’est juste que… certains aspects de cette enquête particulière sont peut-être un peu plus officiels que d’autres. La fille a des ennuis. Elle n’a rien fait de répréhensible. Sa famille sur Luna voudrait retrouver sa trace.

— Une histoire d’enlèvement, dit l’homme.

Il croisa les bras. Le visage serein était devenu froid, sans aucune modification apparente.

— Seulement pour ce qui est de la partie officielle, dit Miller. Je peux obtenir un mandat, et nous pouvons tout faire en suivant les canaux habituels. Mais en ce cas je devrai en parler à ma supérieure. Et plus elle en saura, moins j’aurai les coudées franches.

L’homme ne réagit pas. Son impavidité était exaspérante. Miller se retint de montrer le moindre signe d’énervement. Au fond de la salle, la femme travaillant au sac décocha une série rapide de coups, en criant à chacun.

— Qui ? dit l’homme.

— Julie Mao.

S’il avait dit qu’il s’agissait de la mère de Bouddha, il n’aurait pas eu plus de réaction.

— Je pense qu’elle a des ennuis.

— Admettons. En quoi cela vous concerne-t-il ?

— Je n’ai pas de réponse à cette question. Il se trouve que ça me concerne, voilà tout. Si vous ne voulez pas m’aider, eh bien, c’est que vous ne vous sentez pas concerné.

— Et vous allez chercher votre mandat. Et faire ça en suivant les canaux habituels.

Miller ôta son feutre, passa une main longue et fine sur son crâne, puis remit son couvre-chef.