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— Probable que non, lâcha-t-il.

— Montrez-moi votre accréditation.

L’inspecteur sortit son terminal et laissa l’homme avoir confirmation de son identité. L’autre lui rendit l’appareil et désigna une petite porte derrière les sacs de frappe. Miller suivit docilement.

La pièce était de dimensions restreintes, et encombrée. Un petit bureau recouvert de stratifié avec derrière lui une sphère molle en guise de siège. Deux tabourets qui semblaient provenir d’un bar. Un classeur surmonté d’une machine sentant l’ozone et l’huile qui devait servir à fabriquer les plaques et les certificats.

— Pourquoi ses parents veulent-ils la retrouver ? demanda l’homme en s’asseyant sur le gros ballon.

Celui-ci remplissait le rôle d’un siège, mais il fallait constamment rectifier son équilibre. Un dispositif pour se détendre sans pour autant se détendre.

— Ils pensent qu’elle court des risques. Du moins, c’est ce qu’ils disent, et pour l’instant je n’ai aucune raison de ne pas les croire.

— Quel genre de risques ?

— Je l’ignore, avoua Miller. Je sais qu’elle était sur la station. Je sais qu’elle a embarqué pour Tycho. Ensuite, je n’ai plus rien.

— Ils veulent qu’elle revienne sur leur station ?

L’homme savait qui était la famille de Julie Mao. Miller donna l’information sans hésiter :

— Je ne le pense pas. Le dernier message qu’elle a reçu d’eux a été expédié de Luna.

— Le fond du trou.

À la manière dont il dit cela, on aurait pu croire qu’il parlait d’une maladie.

— Je recherche toute personne qui sait avec qui elle a embarqué. Si elle est en fuite, où elle comptait aller et quand elle avait prévu d’arriver à destination. Si elle est à portée d’un faisceau de ciblage comm.

— Je ne sais rien de tout ça, dit l’autre.

— Vous connaissez quelqu’un à qui je pourrais le demander ?

Il y eut un silence, puis :

— Peut-être. Je vais voir ce que je peux apprendre.

— Autre chose que vous pourriez me dire sur son compte ?

— Elle a commencé au centre il y a cinq ans. Elle était… en colère quand elle est arrivée. Indisciplinée.

— Et elle s’est améliorée, dit Miller. Ceinture marron, c’est ça ?

Le visage de l’autre trahit son étonnement.

— Je suis flic, fit l’inspecteur. C’est mon boulot de découvrir des choses.

— Elle s’est améliorée, oui. Elle avait été agressée. Juste après son arrivée dans la Ceinture. Elle voulait faire en sorte que ça ne se reproduise plus.

— Agressée, répéta Miller en analysant le ton employé par le professeur. Un viol ?

— Je n’ai pas posé la question. Elle s’entraînait dur, même quand elle était hors de la station. Quand les gens se laissent aller, ça se voit. Ils reviennent affaiblis. Elle, jamais.

— Une fille qui ne manque pas de ressources, dit Miller. Bonne chose pour elle. Et elle avait sympathisé avec des gens, ici ? Ses partenaires d’entraînement ?

— Quelques-uns. Mais pas d’histoire d’amour à ma connaissance, pour répondre à la question suivante.

— C’est curieux. Une fille comme elle…

— Comme quoi, inspecteur ?

— Une fille séduisante. Compétente. Intelligente. Déterminée. Qui ne serait pas attiré par quelqu’un comme elle ?

— Peut-être qu’elle n’a pas rencontré la personne qu’il lui fallait.

La façon dont il avait prononcé cette phrase laissait transparaître une sorte d’amusement. Miller haussa les épaules, un peu mal à l’aise.

— Dans quel secteur d’activité était-elle ?

— Les cargos légers. Je ne sais pas quelles marchandises. J’ai eu l’impression qu’elle allait partout où on avait besoin d’elle.

— Pas de destination régulière, donc ?

— C’est ce qu’il m’a semblé.

— Sur quels vaisseaux travaillait-elle ? Un transport en particulier, ou ce qui lui tombait entre les mains ? Une compagnie en particulier ?

— Je trouverai ce que je peux pour vous, dit l’homme.

— Elle travaillait pour l’APE ?

— Je trouverai ce que je peux.

* * *

Les nouvelles marquantes de cet après-midi-là concernaient Phœbé. La station scientifique, celle où les Ceinturiens n’étaient même pas autorisés à accoster, avait été frappée. Le rapport officiel affirmait que la moitié des habitants de la base avait péri, et que l’autre était portée disparue. Personne n’avait revendiqué cette attaque, mais de l’avis général un groupe de Ceinturiens – peut-être l’APE, peut-être une autre organisation – avait finalement réussi à perpétrer un acte de “vandalisme” entraînant des pertes en vies humaines. Assis dans son appartement, Miller visionna les infos en buvant.

Tout allait de mal en pis. Les émissions pirates de l’APE appelant à la guerre. Les actes de guérilla en constante augmentation. Tout. L’heure approchait où Mars ne pourrait plus ignorer la situation. Et quand Mars entrerait en action, peu importerait si la Terre en faisait autant. Ce serait la première véritable guerre dans la Ceinture. La catastrophe était imminente, et aucun des deux camps ne paraissait comprendre à quel point il était vulnérable. Et l’inspecteur Miller n’avait pas les moyens, pas le moindre moyen d’empêcher ça. Il ne pouvait même pas ralentir le cours des événements.

Julie Mao lui souriait sur la photo, sa chaloupe de course derrière elle. Agressée, avait dit l’homme. Nulle part il n’en était fait mention dans son dossier. Peut-être une agression simple. Ou quelque chose de plus grave. Miller avait connu un grand nombre de victimes, et il les rangeait en trois catégories. Dans la première, les gens qui prétendaient que rien ne s’était produit, et que ce qui était arrivé n’avait pas réellement d’importance pour eux. Ils constituaient une grosse moitié de ceux à qui il avait parlé. Dans la deuxième, les professionnels, des individus qui voyaient dans leur statut de victime un blanc-seing pour réagir de la manière qui leur semblait appropriée. Ils représentaient presque tout le reste.

Cinq pour cent tout au plus, et moins sans doute, appartenaient à la troisième catégorie. Ils absorbaient le choc, apprenaient la leçon, et poursuivaient leur chemin. Les Julies. Les bons.

On sonna à sa porte trois heures après la fin de son service officiel. Il se leva et se trouva moins stable sur ses pieds qu’il ne l’aurait pensé. Sur la table, les bouteilles étaient nombreuses. Plus qu’il ne l’aurait cru. Il hésita un moment, partagé entre le réflexe de répondre à son visiteur et la pulsion de jeter les canettes dans le recycleur. La sonnette tinta encore. Il alla ouvrir. Si c’était un collègue du poste, il s’attendrait à le trouver ivre, de toute façon. Aucune raison de le décevoir.

Le visage ne lui était pas inconnu. Les joues marquées par l’acné, l’expression contrôlée. Le type de l’APE rencontré au bar. Celui qui avait fait tuer Mateo Judd.

Le flic.

— ’soir, grommela Miller.

— Inspecteur Miller, salua l’autre. Je pense que nous sommes partis sur de mauvaises bases. Je me suis dit que nous pourrions faire une nouvelle tentative.

— D’accord.

— Je peux entrer ?

— Je m’efforce de ne pas inviter les inconnus chez moi, répondit Miller. Je ne connais même pas votre nom.

— Anderson Dawes. Je suis l’officier de liaison de l’APE sur Cérès. Je pense que nous pouvons nous être mutuellement d’une certaine utilité. Puis-je entrer ?

Miller s’effaça, et l’homme au visage vérolé – Dawes – pénétra dans l’appartement. Il le survola du regard le temps de deux respirations lentes, puis s’assit, comme si les bouteilles et l’odeur de bière éventée ne méritaient pas de commentaire. Se maudissant en pensée et souhaitant une sobriété qu’il ne ressentait pas, Miller s’attabla face à lui.