Elle désignait le petit panneau rouge et jaune sur la cloison près de son siège anti-crash. L’expérience acquise durant des années à bord se fraya un chemin malgré la dépressurisation et l’anoxie, et il arracha l’attache de fermeture et ouvrit le compartiment. À l’intérieur se trouvait le kit d’aide de premiers secours marqué du vieux symbole de la croix rouge, une demi-douzaine de masques à oxygène, et un sac scellé contenant des disques de plastique rigide attachés à un pistolet à colle. Il prit le tout.
— Seulement le pistolet, lui cria Naomi.
Il n’aurait pu dire si sa voix lui paraissait lointaine à cause de l’air raréfié ou à cause de ses tympans abîmés par la baisse de pression.
Il tira le pistolet du sac et le lui lança. Elle étala immédiatement un filet de colle d’obturation sur le pourtour de son classeur. Puis elle projeta le pistolet vers Amos, lequel le saisit avec aisance et appliqua le même traitement autour du plateau-repas. Le sifflement cessa, pour être remplacé par celui, plus discret, du système atmosphérique qui travaillait à rétablir la pression ambiante. Quinze secondes.
Tout le monde se tourna vers Shed. Sans l’effet induit par le vide, son sang se déversait à l’extérieur en une sphère rouge en flottaison juste au-dessus de son cou, pareille à une ébauche hideuse de bande dessinée remplaçant sa tête.
— Bordel de merde, chef, dit Amos en se détournant de l’infirmière pour fixer Naomi. Qu’est-ce que…
Il ferma les mâchoires avec un claquement sec et secoua la tête.
— Projectile magnétique, dit Alex. Ces vaisseaux ont des canons électromagnétiques.
— Des appareils de la Ceinture avec des canons électromagnétiques ? répliqua Amos. Ils se sont constitué une putain de flotte et personne ne m’en a rien dit ?
— Jim, la coursive à l’extérieur et la cabine de l’autre côté sont toutes les deux dans le vide, fit Naomi. L’intégrité de la navette est compromise.
Holden allait répondre quand il remarqua le dossier que Naomi avait fixé sur la brèche. La couverture blanche était frappée de la mention FRM – PROCÉDURES D’URGENCE. Il dut réprimer un rire qui aurait certainement très vite tourné à l’hystérie.
— Jim ? fit Naomi, d’un ton inquiet.
— C’est bon, Naomi, affirma-t-il, et il prit le temps d’une profonde inspiration. Combien de temps tiendront ces rustines ?
Elle eut un mouvement des mains signifiant qu’elle n’en savait trop rien, puis entreprit de ramener sa chevelure en arrière et de l’attacher avec un élastique rouge.
— Plus longtemps que nous n’aurons de l’air. Si tout ce qui est autour de nous se trouve dans le vide, ça signifie que cette cabine est alimentée uniquement par les bonbonnes d’urgence. Pas de recyclage. J’ignore quelles réserves sont allouées à ce genre d’espace, mais ça n’excédera sûrement pas deux ou trois heures.
— Ça nous ferait presque regretter de ne pas avoir enfilé ces putains de combinaisons, hein ? lâcha Amos.
— Ça n’aurait rien changé, répondit Alex. Nous serions venus ici en combinaison, ils nous les auraient retirées.
— On aurait pu essayer, argumenta Amos.
— Bah, si tu veux remonter le temps et faire différemment, ne te gêne pas.
— Eh ! dit Naomi sèchement, mais elle n’ajouta rien d’autre.
Personne ne parlait de Shed. Ils faisaient leur possible pour ne pas poser les yeux sur le corps. Holden se racla la gorge pour attirer l’attention de tous, puis il flotta jusqu’au siège de Shed, ce qui poussa les autres à regarder dans cette direction. Il s’immobilisa un instant, laissant tout le monde bien voir le cadavre décapité, puis il tira une couverture du compartiment situé sous le siège et en enveloppa le corps en le maintenant avec les sangles du harnais.
— Shed a été tuée. Nous sommes en grand danger. Nous disputer ne prolongera pas d’une seule seconde notre espérance de vie, dit-il en dévisageant chacun un par un. Qu’est-ce qui pourrait améliorer nos chances ?
Personne ne répondit. Holden se tourna vers Naomi.
— Qu’est-ce que nous pouvons faire immédiatement qui augmentera nos chances de survie ? insista-t-il.
— Je vais voir si je peux atteindre la réserve d’air d’urgence. Cette pièce est conçue pour accueillir six personnes, et nous ne sommes que… que quatre. Je vais peut-être réussir à réduire le débit pour en allonger la durée.
— Bien. Merci. Alex ?
— S’il y a d’autres personnes que nous, elles vont chercher les survivants. Je vais cogner contre la cloison. Ils n’entendront rien dans le vide, mais s’il y a d’autres cabines avec de l’air, le son se propagera dans le métal.
— Bonne idée. Je refuse de croire que nous soyons les seuls survivants sur ce vaisseau, dit Holden avant de s’adresser au mécanicien : Amos ?
— Laissez-moi vérifier le panneau comm. Je pourrai peut-être contacter la passerelle, ou le centre de contrôle des avaries, ou… bordel, quelqu’un.
— Merci. J’aimerais beaucoup faire savoir à l’extérieur que nous sommes toujours là, dit Holden.
Chacun se mit au travail tandis qu’il restait à flotter auprès de Shed. Naomi entreprit d’ouvrir les panneaux d’accès dans les cloisons. Mains pressées contre un siège pour prendre appui, Alex s’étendit sur le plancher et se mit à donner des coups de pied dans la cloison. À chaque impact de ses bottes, la pièce vibrait légèrement. Amos sortit un outil multifonction de sa poche et commença à démonter le panneau comm.
Quand il fut sûr que tous étaient occupés, Holden posa une main sur l’épaule de Shed, juste sous la tache de sang de plus en plus large qui imbibait la couverture.
— Je suis désolé, murmura-t-il au cadavre.
Ses yeux le brûlaient, et il les pressa avec l’articulation de ses pouces.
L’unité comm pendait au bout de ses fils quand elle bourdonna une fois, bruyamment. Amos poussa une exclamation et donna une poussée assez forte pour l’envoyer planer à travers la pièce. Holden le stoppa et se fit mal à l’épaule en essayant d’arrêter l’élan du mécano terrien de cent vingt kilos. La comm résonna une nouvelle fois. Holden lâcha Amos et se dirigea vers le panneau. Un affichage jaune brillait à côté du bouton blanc de l’unité. Il enfonça la touche. Le système émit un crachotement et la voix du lieutenant Kelly retentit :
— Éloignez-vous du sas, nous entrons.
— Agrippez quelque chose ! cria Holden aux autres, et lui-même saisit une sangle d’un des sièges qu’il enroula autour de sa main et de son avant-bras.
Quand le sas s’ouvrit, il crut que tout l’air allait être violemment aspiré hors de la pièce. Il y eut simplement un craquement sonore, et la pression baissa un peu pendant une seconde. Dans le conduit à l’extérieur, d’épaisses feuilles de plastique avaient été appliquées contre les parois, créant un sas adapté aux circonstances. Les cloisons de la nouvelle chambre tendaient dangereusement vers l’extérieur à cause de la pression d’air, mais elles tenaient bon. Le lieutenant Kelly et trois de ses Marines en combinaison de combat pressurisée exhibaient un armement suffisant pour mater quelques conflits mineurs.
Ils se déployèrent rapidement dans la cabine, l’arme prête, et refermèrent le sas. L’un d’eux lança un sac volumineux en direction d’Holden.
— Cinq combis. Enfilez-les, ordonna Kelly.
Son regard s’attarda sur la couverture ensanglantée recouvrant Shed, puis sur les deux rustines improvisées.
— Des pertes ?
— Notre toubib, Shed Garvey, répondit Holden.
— Ouais, quelle importance, hein ! dit Amos d’une voix forte. Qui c’est, les enfoirés dehors qui canardent votre vaisseau ?
Naomi et Alex restèrent silencieux mais sortirent les combinaisons du sac et les distribuèrent.