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— Vous savez, c’est amusant que vous posiez cette question, parce que je pensais justement qu’il serait très agréable de revenir en bonne compagnie à ma cabine, quand le troisième quart commencera. Nous pourrions nous offrir un petit dîner romantique avec la même nourriture infâme qu’on sert à la coquerie, écouter un peu de musique.

— Boire un peu de vin, ajouta-t-elle. Enfreindre un peu le protocole. L’idée est séduisante, mais je n’ai pas le goût pour les activités sexuelles, ce soir.

— Je ne parlais pas d’activités sexuelles, mais de dîner ensemble. Bavarder un peu.

— Moi, je parlais d’activités sexuelles.

Holden s’accroupit à côté de son fauteuil. Dans la gravité réduite de deux tiers que provoquait leur poussée actuelle, c’était une position tout à fait confortable. Le sourire d’Ade s’adoucit. Le déroulé des données émit un tintement discret. Elle l’étudia, tapa une touche de déblocage et se tourna vers lui.

— Ade, je vous aime bien, fit-il. Je veux dire, j’apprécie vraiment votre compagnie. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas passer un peu de temps ensemble en restant habillés.

— Holden. Mon cœur. Arrêtez ça, d’accord ?

— Arrêter quoi ?

— Arrêtez de vouloir que je devienne votre petite amie. Vous êtes charmant. Vous avez un joli petit cul, et vous êtes plutôt distrayant au pieu. Mais ça ne signifie pas que nous sommes fiancés.

Holden se balança sur ses talons, et malgré lui il sentit qu’il faisait la moue.

— Ade. Pour que ça marche pour moi, il faut qu’il y ait un peu plus que ça.

— Mais il n’y a pas plus, répliqua-t-elle en lui prenant la main. Et c’est très bien comme ça. Ici, vous êtes le second, et moi en contrat à durée limitée. Un autre trajet, peut-être deux, et je serai partie.

— Je ne suis pas enchaîné à ce vaisseau, moi non plus…

Le rire de la jeune femme exprimait autant la chaleur que le doute.

— Depuis combien de temps êtes-vous sur le Cant ?

— Cinq ans.

— Vous n’irez nulle part ailleurs. Vous vous sentez bien ici.

— Bien ? Le Cant est un transport de glace vieux d’un siècle. Pour trouver un engagement plus merdique, il faut vraiment chercher. Chaque personne à bord est soit dramatiquement sous-qualifiée, soit elle a sérieusement merdé lors de son dernier engagement.

— Et vous vous sentez bien à bord.

Son regard était moins amical, d’un coup. Elle se mordilla la lèvre inférieure, baissa les yeux sur l’écran, les releva.

— Je n’ai pas mérité ça, dit-il.

— C’est vrai, approuva-t-elle. Écoutez, je vous ai dit que je n’étais pas d’humeur, ce soir. J’ai besoin d’une bonne nuit de repos. Je serai plus conciliante demain.

— Promis ?

— C’est même moi qui préparerai le dîner. Excuses acceptées ?

Il se pencha et pressa ses lèvres contre celles de la jeune femme. Elle répondit, d’abord poliment puis avec plus de fougue. Elle enserra sa nuque dans ses doigts un moment, avant de l’écarter.

— Vous êtes beaucoup trop doué pour ce genre de choses. Vous devriez y aller, maintenant. Le devoir, tout ça…

— Très bien, dit-il, sans bouger d’un millimètre.

— Jim…

Le système de communication interne du vaisseau émit un déclic annonçant son activation.

— Holden sur la passerelle, ordonna le capitaine McDowell d’une voix pincée, avec un léger écho.

Holden répondit par un geste obscène qui fit rire Ade. Il se pencha vivement, déposa un baiser sur sa joue, puis se dirigea vers l’ascenseur principal en souhaitant sans trop de méchanceté que McDowell souffre de furonculose fulgurante et d’humiliation publique pour son intervention malvenue.

La passerelle était à peine plus grande que ses quartiers, et moitié moins que la coquerie. Si l’on faisait abstraction de l’écran de contrôle surdimensionné que le commandant avait exigé à cause de sa myopie croissante et de sa méfiance pour toute chirurgie correctrice, il aurait pu s’agir de l’arrière-salle d’un bureau de comptable. L’air sentait l’astringent de nettoyage et le thé yerba maté trop fort de quelqu’un. McDowell fit pivoter son fauteuil à l’arrivée d’Holden, et désigna le poste de communication par-dessus son épaule.

— Becca ! Mettez-le au parfum.

Rebecca Byers, l’officier de transmissions de service, aurait pu être la progéniture issue de l’accouplement entre un requin et une hache. Des yeux noirs, des traits acérés et des lèvres si fines qu’elles semblaient ne pas exister. La rumeur à bord prétendait qu’elle s’était enrôlée pour éviter des poursuites après l’assassinat de son ex-mari. Holden l’aimait bien.

— Signal de détresse, dit-elle. Capté il y a deux heures. La vérification du transpondeur a été authentifiée par le Callisto. Ce n’est pas une blague.

— Ah, fit Holden, puis : Merde. Nous sommes les plus proches ?

— Le seul vaisseau à quelques millions de kilomètres.

— Eh bien, ça semble logique.

Becca tourna son attention vers le capitaine. McDowell fit craquer les jointures de ses doigts et contempla l’écran. La lumière de celui-ci lui donnait un teint verdâtre assez étrange.

— Il est près d’un astéroïde répertorié n’appartenant pas à la Ceinture, dit-il.

— Vraiment ? fit Holden, incrédule. Ils l’ont percuté ? Il n’y a rien d’autre à des millions de kilomètres à la ronde.

— Peut-être qu’ils se sont arrêtés là parce que quelqu’un avait besoin d’aller faire sa grosse commission. Une andouille se trouve là-bas et a actionné son signal de détresse, et nous sommes les plus proches. C’est tout ce que nous savons. En admettant que…

La loi en vigueur dans tout le système solaire était sans équivoque. Dans un environnement aussi hostile à la vie que l’espace, l’aide et la bienveillance de vos congénères humains n’étaient pas en option. Par sa seule existence, le signal de détresse obligeait le vaisseau le plus proche à venir porter assistance à son émetteur. Ce qui ne signifiait pas que cette loi était universellement appliquée.

Le Canterbury était en charge maximale : plus d’un million de tonnes de glace soumis à une accélération progressive pendant le mois écoulé. Tout comme le petit glacier qui avait écrasé le bras de Paj, cette masse serait difficile à ralentir. La tentation d’avoir une défaillance dans les communications, d’effacer les données reçues et de laisser le grand dieu Darwin décider était toujours présente.

Mais si telle avait été l’intention de McDowell, il n’aurait pas fait venir son second. Ni proféré cette suggestion alors que tout le monde à bord pouvait l’entendre. Holden comprenait le stratagème. Le capitaine allait faire croire que lui-même aurait volontiers passé outre les lois d’assistance si cela n’avait tenu qu’à lui, mais comme il y avait Holden… Les membres d’équipage le respecteraient pour avoir rechigné à sabrer dans les profits du vaisseau. Et ils respecteraient Holden pour avoir insisté pour qu’on applique les règles. Quoi qu’il arrive, le capitaine et son second seraient détestés pour ce que la loi et la simple décence humaine les obligeaient à faire.

— Nous devons nous arrêter, dit Holden, avant de risquer : Il y aura peut-être une prime de sauvetage.

McDowell pianota sur son écran. La voix d’Ade s’éleva de la console, aussi douce et chaude que si elle s’était trouvée dans la pièce.

— Capitaine ?

— J’ai besoin d’une évaluation sur l’arrêt de cette poubelle.

— Monsieur ?

— Quelles difficultés pour stopper au niveau de CA-2216862 ?