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— Vous pariez que c’est ce qui nous a envoyé le message par faisceau ?

Alex acquiesça.

— Si vous voulez envoyer des messages privés chez vous depuis une distance de deux ou trois années-lumière, mieux vaut avoir un faisceau d’une sacrée cohérence. Ils ont probablement baissé l’intensité de la transmission pour éviter de découper un trou dans notre coque.

Holden quitta le siège anti-crash du copilote et passa devant Amos.

— Alex, voyez s’ils nous autorisent à nous poser.

* * *

Leur arrivée se déroula avec une simplicité étonnante. La tour de contrôle de la station les dirigea vers un quai d’accostage situé sur le côté de la sphère et resta en contact permanent pour les guider jusqu’à ce qu’Alex ait scellé le conduit d’amarrage à l’écoutille extérieure de leur sas. Jamais la tour de contrôle ne fit remarquer qu’ils possédaient un armement exagéré pour un transport, et aucun réservoir pour le gaz. On les aida à se poser, et on leur souhaita une bonne journée.

Holden enfila sa combinaison et se rendit rapidement dans la cale, puis il retrouva les autres devant l’écoutille intérieure du sas du Rossinante. Il apportait un gros sac marin.

— Mettez vos combinaisons, ce sera dès à présent la procédure standard pour cet équipage chaque fois que nous irons dans un endroit nouveau. Et prenez chacun un de ces trucs, ajouta-t-il en sortant du sac des armes de poing et des chargeurs. Dissimulez-la dans une poche ou dans votre sac si vous préférez, mais quant à moi je le porterai de façon visible.

Naomi fit la moue.

— Ça semble un peu… pousser à la confrontation, non ?

— J’en ai marre qu’on me botte le train partout, répondit-il. Le Rossi représente un bon début vers l’indépendance, et j’en emporte une petite partie avec moi. Disons que c’est pour me porter chance.

— Bien vu, approuva Amos, qui sangla l’étui de son arme sur sa cuisse.

Alex fourra la sienne dans la poche de sa combinaison de vol. Naomi fronça le nez et refusa d’un geste le dernier pistolet. Holden le remit dans son sac, précéda l’équipage dans le sas et actionna le cycle. De l’autre côté, un homme d’âge mûr au corps massif et à la peau sombre les attendait. Quand ils apparurent, il leur sourit.

— Bienvenue sur la station Tycho, dit le Boucher de la station Anderson. Appelez-moi Fred.

18

Miller

La destruction du Donnager frappa Cérès avec la puissance d’une masse percutant un gong. Les reportages s’engorgèrent de visions télescopiques de la bataille dont la plupart sinon toutes étaient des faux. D’un bout à l’autre de la Ceinture, on spécula sur la possibilité d’une flotte secrète de l’APE. Les six appareils qui avaient eu raison du navire amiral martien furent salués en héros ou en martyrs. Des slogans tels que Nous l’avons fait une fois, nous pouvons le refaire et Abandonnez quelques cailloux fusaient même dans des situations apparemment anodines.

Le Canterbury avait écorché l’autosatisfaction de la Ceinture, mais le Donnager avait fait quelque chose de pire. Il avait balayé toute peur. Les Ceinturiens avaient remporté une victoire soudaine, décisive, et inattendue. Tout semblait désormais possible, et cet espoir les séduisait.

Les craintes de Miller en auraient été accrues s’il était resté sobre.

Son alarme s’était déclenchée depuis dix minutes. La sonnerie irritante passait des sous-toniques aux harmoniques quand il l’écoutait assez longtemps. Un son qui allait enflant, avec en arrière-plan le martèlement de percussions irrégulières, et même une mélodie douce presque masquée par le tintamarre. Illusions. Hallucinations auditives. La voix de la tornade.

La bouteille de faux bourbon fongique de la nuit dernière remplaçait l’habituelle carafe d’eau sur la table de chevet. Il restait encore deux doigts d’alcool au fond. Il étudia la teinte ambrée du liquide, pensa au goût qu’il aurait sur sa langue.

Ce qu’il y avait de bien lorsque vous perdiez vos illusions, se dit-il, c’était que vous deviez arrêter de jouer un personnage. Toutes ces années pendant lesquelles il s’était répété qu’il était respecté, doué pour son job, qu’il avait consenti tous ces sacrifices pour une bonne raison s’étaient effacées, le laissant maintenant avec la conscience claire et nette d’être un alcoolique qui avait débarrassé sa vie de tous ses aspects positifs pour faire de la place à l’anesthésique. Shaddid ne le prenait pas au sérieux. Muss voyait en lui le prix à payer pour ne pas avoir couché avec un homme qui ne l’attirait pas. Le seul qui avait peut-être eu du respect pour lui était Havelock, un Terrien. C’était apaisant, d’une certaine façon. Il pouvait cesser de faire des efforts pour sauver les apparences. S’il restait au lit à écouter le bourdonnement de l’alarme, il se montrait à la hauteur des attentes. Aucune honte à ça.

Mais il y avait toujours le boulot. Il tendit la main et coupa la sonnerie. Juste avant qu’elle s’éteigne, il perçut dans ses dernières notes une voix, douce mais insistante. Une voix de femme. Il ne savait pas ce qu’elle lui avait dit. Mais puisqu’elle n’existait que dans sa tête, elle aurait tout loisir de retenter sa chance plus tard.

Il réussit à s’extraire du lit, avala quelques calmants et de la gelée réhydratante, alla d’un pas lourd s’enfermer dans la douche et dépensa une journée et demie de ration d’eau chaude à rester là et à regarder ses jambes virer au rose. Puis il enfila sa dernière tenue propre. Le petit déjeuner se résuma à une barre de levure compressée avec un édulcorant aromatisé au raisin. Il prit la bouteille de bourbon et sans la finir la fit disparaître dans le recycleur, juste pour se prouver qu’il en était encore capable.

Muss l’attendait à son bureau. Elle leva les yeux vers lui quand il s’assit.

— On devrait recevoir bientôt les résultats du labo pour le viol au niveau 18, fit-elle. Ils les ont promis pour le déjeuner.

— Nous verrons bien.

— J’ai un témoin éventuel. Une fille qui se trouvait avec la victime plus tôt dans la soirée. D’après sa déposition, elle l’a quittée avant qu’il arrive quoi que ce soit, mais les enregistrements des caméras de sécurité ne corroborent pas sa version.

— Un coup de main pour son interrogatoire ? proposa-t-il.

— Pas maintenant. Mais si j’ai besoin d’un peu de mise en scène, je te ferai participer.

— Ça me va.

Il ne la regarda pas s’éloigner. Après être resté un long moment à contempler le vide, il releva son écran encastré, passa en revue les tâches à accomplir, et entreprit de nettoyer son bureau.

Pendant que ses mains s’affairaient, son esprit repassait pour la millionième fois le film de son entrevue humiliante avec Shaddid et Dawes. Nous avons Holden, disait l’homme de l’APE. Vous, vous ne pouvez même pas découvrir ce qui est arrivé à votre propre équipement antiémeute. Miller s’acharnait sur ces mots comme une langue sonde l’espace laissé par une dent manquante. Et les mots sonnaient juste. Une fois encore.

Pourtant il pouvait aussi s’agir de pures foutaises, d’une histoire concoctée dans le seul but de le rabaisser. Après tout, il n’existait aucune preuve de la survie d’Holden et de son équipage. Quelles preuves aurait-il pu y avoir, d’ailleurs ? Le Donnager était détruit et tous ses documents avec lui. Il aurait fallu qu’un vaisseau vienne les récupérer. Soit une unité de secours, soit un des escorteurs martiens. En aucun cas un appareil n’aurait pu s’en sortir et ne pas être devenu le chouchou de toutes les infos diffusées depuis. Impossible de passer sous silence ce genre de chose.