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— Non. J’ai besoin de vous.

— Faux, dit Holden. Vous avez besoin de nos dépositions. Et nous n’allons pas rester assis ici à attendre pendant un an ou deux que le bon sens reprenne ses droits. Nous ferons tous des dépositions sur vidéo, nous signerons toutes les déclarations écrites que vous voudrez pour les authentifier, mais nous allons partir pour trouver du boulot, d’une façon ou d’une autre. Alors pourquoi vous n’en profiteriez pas ?

— Non, dit Fred. Vous avez une trop grande valeur pour qu’on mette vos vies en péril.

— Et si je mets dans la balance un certain cube de données ?

Le silence revint, mais il était d’une qualité différente, cette fois.

— Écoutez, dit Holden pour pousser son avantage, vous avez besoin d’un vaisseau comme le Rossi. J’en ai un. Il vous faut un équipage pour le manœuvrer. Je l’ai aussi. Et vous désirez autant que moi savoir ce que ce cube contient.

— Je n’aime pas le risque.

— L’autre solution consiste à nous jeter dans la prison du bord et à réquisitionner notre appareil. Elle ne va pas sans risques non plus.

Johnson rit, et Holden se détendit un peu.

— Vous avez toujours le même problème qui vous a amenés ici, dit Fred. Votre appareil ressemble à une corvette de combat, quoi que puisse dire le transpondeur.

Holden se leva et prit une feuille de papier vierge sur le bureau entre eux. Il se mit à dessiner avec un des stylos qu’offrait un présentoir décoratif.

— J’ai réfléchi à la question. Vous avez toutes les machines et les outils nécessaires ici. Et nous sommes censés être un transport de gaz. Donc, fit-il en esquissant grossièrement la silhouette du Rossi, on soude une série de citernes vides de gaz comprimé en deux rangées autour de la coque. Elles permettront de dissimuler les tubes lance-torpilles. On repeint l’ensemble. On ajoute quelques saillies pour briser les lignes de l’appareil et tromper les logiciels d’identification. L’ensemble sera très moche, une vraie injure à l’aérodynamique, mais nous n’entrerons pas dans une atmosphère avant un bout de temps, de toute façon. Le vaisseau ressemblera exactement à ce qu’il sera : un appareil qu’un groupe de Ceinturiens a assemblé à la va-vite.

Il tendit la feuille à Fred. Celui-ci céda à une hilarité qui n’avait rien de simulé, soit à cause de la laideur du croquis, soit parce qu’il pensait à l’absurdité de l’idée.

— Vous pourriez faire une grosse surprise à un pirate, dit-il. Si j’accepte, vous et votre équipage m’enregistrerez vos dépositions, et vous serez embauchés en qualité de prestataires de services indépendants pour des missions comme celle d’Éros. Et vous apparaîtrez en mon nom quand les négociations de paix débuteront.

— Oui.

— Je veux avoir le droit d’enchérir sur quiconque voudrait vous engager. Vous ne signerez aucun contrat sans que j’aie pu surenchérir.

Holden tendit la main, et le colonel la serra.

— C’est un plaisir de faire affaire avec vous, Fred.

Il avait à peine quitté le bureau que Fred était déjà en communication avec les directeurs de ses ateliers. Holden sortit son terminal de poche et appela Naomi.

— Ouais ? fit-elle.

— On remballe les jouets et on prépare les enfant. Départ pour Éros.

22

Miller

Le transport pour Éros était petit, miteux et bondé. Les recycleurs d’air dégageaient cette odeur de plastique et de résine des modèles industriels increvables que Miller associait aux entrepôts et aux dépôts de carburant. L’éclairage en LED bon marché dispensait une lumière faussement rose supposée flatter le teint et qui donnait au visage l’aspect d’un morceau de bœuf mal cuit. Il n’y avait pas de cabines, seulement une succession de rangées de sièges en plastique moulé, et deux longues cloisons avec des couchettes superposées par cinq que les passagers pouvaient utiliser à tour de rôle. Miller n’avait encore jamais pris ce genre de transport bas de gamme, mais il savait comment ils fonctionnaient. Si une bagarre éclatait, l’équipage du vaisseau inondait le compartiment avec du gaz antiémeute, ce qui assommait tout le monde, puis il mettait les menottes à tous les participants aux troubles. C’était un système draconien, mais il avait pour effet d’inciter les gens au calme et à la politesse. Le bar était ouvert en permanence et proposait des boissons pour une somme modique. Il y avait peu, Miller aurait trouvé cela attirant.

Aujourd’hui il restait assis, avec son terminal de poche ouvert. Le dossier concernant Julie luisait sous ses yeux tel qu’il l’avait recomposé. La photo où elle souriait fièrement devant le Razorback, les dates et les enregistrements, son entraînement au jiu-jitsu. Tout cela faisait bien peu d’éléments s’il considérait la place que cette femme avait prise dans sa vie.

Un petit bulletin d’infos s’afficha dans le coin gauche de l’écran. La guerre entre Mars et la Ceinture s’intensifiait, incident après incident, mais la sécession de la station Cérès occupait la une. Les commentateurs prenaient la Terre à partie pour n’avoir pas réussi à maintenir l’union avec sa planète intérieure sœur, ou à tout le moins pour ne pas avoir confié le contrat de sécurité de Cérès à Mars. La Ceinture réagissait au petit bonheur et passait par toute la gamme imaginable, depuis la satisfaction de voir l’influence de la Terre retomber au fond du puits de gravité jusqu’à une nervosité proche de la panique face à la perte de neutralité de Cérès, sans oublier les théories conspirationnistes selon lesquelles la Terre fomentait cette guerre pour son propre bénéfice.

Miller préférait réserver son jugement sur le sujet.

— Ça me fait toujours penser à des bancs d’église.

Miller leva les yeux. L’homme assis à côté de lui avait à peu près son âge, une chevelure qui commençait à grisonner, un début d’embonpoint. Son sourire lui indiqua qu’il s’agissait d’un missionnaire parti dans le vide interstellaire pour sauver des âmes. Ou il le déduisit de son badge et de la bible.

— Les sièges, je veux dire, expliqua l’autre. Ils me font toujours penser à ceux d’une église, par leur disposition, rangée après rangée. Sauf qu’au lieu d’une chaire nous avons des couchettes.

— Notre-Dame des Somnolents, dit Miller, conscient qu’il se laissait happer dans la conversation mais incapable de s’en empêcher.

L’autre eut un rire bref.

— Quelque chose comme ça. Vous allez à l’église ?

— La dernière fois remonte à des années. J’étais méthodiste, si j’étais quelque chose. Et vous, votre boutique ?

Le missionnaire leva les mains en un geste d’innocence qui avait déjà cours dans les plaines africaines du pléistocène. Je ne suis pas armé : je ne cherche pas l’affrontement.

— Je reviens simplement à Éros après une conférence sur Luna, dit-il. L’époque où je m’adonnais au prosélytisme est révolue depuis bien longtemps.

— Je croyais que ce genre de chose n’avait pas de fin, fit Miller.

— Elle n’en a pas. Officiellement. Mais après quelques dizaines d’années, vous en arrivez à comprendre qu’il n’y a pas de réelle différence entre essayer et ne pas essayer. Je continue de voyager. Je continue de parler aux gens. Parfois nous parlons de Jésus-Christ. Parfois nous parlons de cuisine. Si quelqu’un est prêt à accepter le Christ, ça ne me coûte pas beaucoup de l’aider. Si la personne n’est pas intéressée, la harceler avec ces notions ne mène à rien. Alors pourquoi essayer ?

— Les gens vous parlent de la guerre ? demanda Miller.