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Enfin, je pense que tout se passera bien. Il lui vint à l’esprit qu’il traitait la situation comme s’il faisait toujours partie des forces de l’ordre, qu’il appartenait toujours à la grande machine. Ce n’était plus vrai, et prétendre le contraire risquait d’avoir des conséquences.

 Il nous a suivis, dit la femme à Holden, avant de se tourner vers Miller. Vous nous avez suivis.

 Exact.

Il ne pensait pas donner l’impression de le regretter, mais le grand type secoua la tête.

— C’est le chapeau, dit-il. Pas commun.

Miller ôta son feutre et l’examina. Bien sûr, le chauve avait été celui qui l’avait repéré. Les trois autres étaient des amateurs compétents, et Miller savait qu’Holden avait servi un temps dans la Flotte des Nations unies. Mais il aurait parié que le passé du chauve était plus intéressant.

— Pourquoi nous avez-vous suivis ? demanda Holden. Je veux dire, j’apprécie que vous ayez tiré sur les gens qui nous prenaient pour cible, mais j’aimerais quand même avoir une réponse à la question.

— Je voulais vous parler, dit Miller. Je recherche quelqu’un.

Il y eut un moment de silence. Holden sourit.

— Quelqu’un en particulier ?

— Un membre d’équipage du Scopuli, répondit Miller.

— Le Scopuli ?

Le regard d’Holden glissa vers la femme, mais il se reprit. C’était un signe. Le Scopuli avait pour lui une signification différente de ce que Miller avait appris aux infos.

— Il n’y avait personne à bord quand nous y sommes montés, dit la femme.

— Bordel de merde, fit l’homme apeuré derrière le canapé.

C’étaient les premiers mots qu’il prononçait depuis la fin de la fusillade, et il les répéta cinq ou six fois, très vite.

— Et vous ? dit Miller. Le Donnager vous a propulsés jusqu’à Tycho, et maintenant ici. Que se passe-t-il ?

— Comment êtes-vous au courant ? demanda Holden.

— Ça fait partie de mon boulot. Enfin, ça en faisait partie.

La réponse ne parut pas satisfaire le Terrien. Le grand type était venu se placer derrière lui, et son expression transmettait un message amical : pas de problème avec lui, à moins que quelqu’un en crée, et alors le problème risquait d’être de taille. Miller accusa réception d’un petit signe de tête, à moitié pour le grand type, à moitié pour lui-même.

— Un contact au sein de l’APE m’a dit que vous n’aviez pas péri à bord du Donnager, expliqua-t-il.

— On vous a simplement dit ça ? intervint la femme, qui contenait mal son indignation.

— C’était juste une remarque de sa part. Quoi qu’il en soit, c’est de là que je suis parti. Et d’ici dix minutes, je vais faire en sorte que les forces de sécurité d’Éros ne vous jettent pas tous au trou, et moi avec vous. Alors s’il y a quelque chose que vous voulez me dire, par exemple ce que vous fabriquez ici, c’est le moment.

Le silence n’était troublé que par le son des recycleurs d’air qui peinaient à évacuer la fumée et la poussière. Le gars secoué se mit debout. Il y avait dans son maintien quelque chose de l’ancien militaire. Mais pas un ex-rampant. La Flotte, peut-être. Martienne, pourquoi pas ? Il avait le phrasé que certains affectaient.

— Ah, et puis merde, chef, dit le costaud. Il a descendu le salopard qui essayait de nous prendre à revers. C’est peut-être un trou-du-cul, mais pour moi il est correct.

— Merci, Amos, répondit Holden.

Miller enregistra l’information : le grand type s’appelait Amos. Holden passa les mains dans son dos et coinça son arme sous la ceinture, au creux de ses reins.

— Nous sommes ici parce que nous cherchons quelqu’un, nous aussi, dit-il. Sans doute quelqu’un du Scopuli. Nous étions en train de vérifier le numéro de la chambre quand tout le monde a décidé de nous tirer dessus.

Quelque chose comme une émotion envahit les veines de Miller. Pas l’espoir, mais la crainte.

— Ici ? dit-il. Quelqu’un qui était à bord du Scopuli se trouve dans ce trou en ce moment même ?

— C’est ce que nous pensons, répondit Holden.

Miller se retourna vers la double porte d’entrée de l’hôtel. Une petite foule de curieux se massait déjà dans le tunnel. Des bras croisés, des regards nerveux. Il savait ce qu’ils ressentaient. Sematimba et sa police étaient en chemin. Les assaillants d’Holden et de son équipage ne préparaient pas une autre attaque, mais rien ne prouvait qu’ils étaient partis. Il risquait d’y avoir une deuxième manche. Ils avaient très bien pu se replier sur une position plus solide pour guetter la venue d’Holden.

Et si Julie se trouvait dans l’hôtel en ce moment ? Comment pouvait-il être arrivé aussi loin et s’arrêter dans le hall ? Il nota avec étonnement qu’il avait toujours son arme à la main. Ce n’était pas professionnel. Il aurait dû la rengainer. Le seul autre dans la même situation était le Martien. Miller fit la grimace. Il devenait négligent. Il fallait que cela cesse.

Mais il lui restait un demi-chargeur.

— Quelle chambre ? demanda-t-il.

* * *

Les couloirs de l’hôtel étaient étroits. Les murs avaient le luisant des peintures imperméabilisantes utilisées dans les entrepôts, et la moquette en silice et carbone tressés s’userait plus lentement que la pierre nue. Miller et Holden passèrent en premier, suivis de la femme et du Martien – Naomi et Alex, tels étaient leurs noms – et enfin d’Amos, qui fermait la marche et surveillait fréquemment leurs arrières. Miller se demanda si les autres étaient conscients qu’avec cette disposition Amos et lui assuraient leur sécurité. Holden semblait le sentir et s’en irriter. Il essayait continuellement de le dépasser.

Les portes des chambres étaient toutes d’un modèle identique, en feuilles superposées de fibre de verre assez fines pour être produites très vite en milliers d’exemplaires. Miller en avait enfoncé quelques centaines au cours de sa carrière. Ici et là, certaines étaient personnalisées par des résidents de longue date – une peinture représentant des fleurs rouges improbables, un tableau avec une ficelle auquel un crayon avait naguère été attaché, une mauvaise reproduction d’un dessin animé obscène et mal éclairé qui répétait en boucle la même chute.

Sur un plan tactique, c’était un cauchemar. Si des forces en embuscade jaillissaient des chambres situées devant et derrière eux, ils seraient massacrés tous les cinq en quelques secondes. Mais aucune balle ne siffla dans l’air, et la seule porte qui s’ouvrit régurgita un homme émacié à la longue barbe, aux yeux atteints de strabisme et aux lèvres molles. Miller le salua d’un mouvement de tête quand il le dépassa, et l’autre répondit de même, certainement plus étonné par le fait que quelqu’un entérine sa présence que par les pistolets braqués. Holden fit halte.

— C’est là, chuchota-t-il. Cette chambre.

Miller acquiesça. Les autres se regroupèrent. Amos resta un peu en arrière, les yeux fixés sur le couloir derrière eux. La porte serait facile à enfoncer. Un bon coup de pied juste au-dessus de la serrure. Ensuite il pourrait entrer en se baissant et aller à droite, tandis qu’Amos prendrait sur la gauche en position haute. Il aurait aimé avoir Havelock avec lui. Ce genre de tactique était plus simple à effectuer avec des gens entraînés ensemble. Il fit signe au grand chauve d’approcher.

Holden frappa à la porte.

— Qu’est-ce que…, murmura Miller entre ses dents, mais l’autre l’ignora et lança :