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— Pourquoi ? demanda Holden.

— Parce que vous allez vous rendre sur l’astéroïde de Julie.

— Je suis prêt à parier qu’il n’a pas de spatioport, ironisa Holden. Vous aviez l’intention d’aller dans un endroit précis, après ça ?

— Je suis un peu à court de projets solides. Je n’en ai pas encore eu un qui se soit réalisé.

— Je comprends ça, dit Amos. Nous n’arrêtons pas de nous faire baiser depuis le début de cette histoire.

Holden posa les deux mains à plat sur la table, l’une sur l’autre, et d’un doigt tapota la surface imitant le bois selon un rythme complexe. Ce n’était pas bon signe.

— Vous ressemblez à un… eh bien, un vieil homme aigri et en colère, en fait. Mais je bosse depuis cinq ans sur des transports de glace. Ce qui veut dire que vous iriez très bien dans le décor.

— Mais, martela Miller, sans rien ajouter.

— Mais on m’a beaucoup tiré dessus, récemment, et les armes automatiques d’hier étaient les menaces les moins mortelles que j’ai eues à affronter. Je ne laisserai monter à bord de mon vaisseau personne en qui je n’ai pas entièrement confiance. Et à la vérité, je ne vous connais pas.

— Je peux avoir l’argent, dit Miller qui sentait sa gorge se serrer. Si c’est une question d’argent, je peux arranger ça.

— Il ne s’agit pas de négocier un prix, répondit Holden.

— Avoir l’argent ? fit Naomi, les yeux plissés par le soupçon. Avoir l’argent, comme si vous ne l’aviez pas maintenant ?

— Je suis un peu juste, avoua l’ex-policier. Temporairement.

— Vous avez une source de revenus ? demanda-t-elle.

— Plutôt une stratégie pour m’en procurer. Il y a quelques escroqueries indépendantes dans le quartier du spatioport. Il y en a toujours autour des spatioports. Des jeux d’argent. Des combats. Ce genre de choses. Pour la plupart, ils sont truqués. Tout tient à la façon dont les organisateurs arrosent les flics sans avoir l’air de les arroser.

— C’est votre plan ? dit Holden, incrédule. Aller ramasser les pots-de-vin destinés à la police ?

À l’autre bout du restaurant, une prostituée en négligé rouge poussa un bâillement prodigieux. Le micheton assis en face d’elle fronça les sourcils.

— Non, dit Miller à contrecœur. Je vise les paris parallèles. Un flic entre, je parie qu’il va gagner. Je connais à peu près tous les flics. Les patrons de ces bouges les connaissent aussi, parce qu’ils les arrosent. Les paris parallèles, c’est fait pour les gogos qui recherchent le frisson en jouant clandestinement.

Alors même qu’il donnait cette explication, Miller savait qu’elle était bien faible. Alex, le pilote, vint s’asseoir à côté de lui. Le parfum de son café était frais, acide.

— C’est quoi, le marché ? demanda-t-il.

— Il n’y en a pas, dit Holden. Il n’y en avait pas avant, et il n’y en a toujours pas.

— Ça marche beaucoup mieux que vous pourriez le penser, insista Miller.

Quatre terminaux sonnèrent en même temps. Holden et Naomi échangèrent un autre regard moins complice que le premier et sortirent leur appareil de leur poche. Amos et Alex avaient déjà le leur en main. Miller aperçut l’encadrement rouge et vert qui indiquait un message prioritaire ou une carte de vœux de Noël très prématurée. Il y eut un moment de silence pendant que chacun lisait, puis Amos laissa échapper un sifflement bas.

— La phase 3 ? fit Naomi.

— La tonalité générale de ce truc ne me plaît pas trop, dit Alex.

— Je peux savoir de quoi il retourne ? demanda Miller.

Holden fit glisser son terminal sur la table dans sa direction. Le message était écrit et codé. Il provenait de Tycho.

ARRÊTÉ TAUPE À LA STATION COMM DE TYCHO.

VOTRE PRÉSENCE ET VOTRE DESTINATION ONT FUITÉ VERS DES PERSONNES INCONNUES SUR ÉROS. SOYEZ PRUDENTS.

— Un peu tard pour ça, commenta Miller.

— Continuez de lire, conseilla Holden.

LE CODE D’ENCRYPTAGE DE LA TAUPE A PERMIS D’INTERCEPTER UNE DIFFUSION DEPUIS ÉROS IL Y A CINQ HEURES. MESSAGE INTERCEPTÉ :

HOLDEN EN A RÉCHAPPÉ MAIS L’ÉCHANTILLON DU CHARGEMENT A ÉTÉ RÉCUPÉRÉ. JE RÉPÈTE : ÉCHANTILLON RÉCUPÉRÉ.

PASSONS À LA PHASE 3.

— Une idée de ce que ça veut dire ? demanda Holden.

— Aucune, répondit Miller en repoussant le terminal vers son propriétaire. Sauf… si l’échantillon du chargement est le corps de Julie.

— Ce qui semble plausible.

Miller pianota sur la table avec ses doigts, imitant sans s’en rendre compte le rythme d’Holden, pendant qu’il réfléchissait au problème.

— Cette chose, dit-il. L’arme biologique, ou quoi que ce soit. Ils l’expédiaient ici. Et elle y est arrivée. D’accord. Il n’y a aucune raison de détruire Éros. La station ne présente pas d’importance particulière pour la guerre quand vous la limitez à Cérès ou Ganymède ou les chantiers de construction de vaisseaux de Callisto. Et si vous vouliez la détruire, il y a des méthodes plus simples. Il suffit de balancer une grosse bombe thermonucléaire à sa surface et elle éclatera comme un œuf.

— Ce n’est pas une base militaire, mais c’est un centre d’expédition et de transit commercial, dit Naomi. Et, à la différence de Cérès, Éros n’est pas sous le contrôle de l’APE.

— Alors ils veulent l’expédier ailleurs, fit Holden. Ils vont envoyer leur échantillon infecter leur cible d’origine, et une fois que l’échantillon aura quitté la station, il n’y aura plus moyen de l’arrêter.

Miller se renfrogna. Quelque part, le raisonnement lui paraissait bancal. Il ratait quelque chose. Sa Julie imaginaire apparut de l’autre côté de la pièce, mais elle avait le regard sombre et des filaments noirs coulaient sur ses joues comme des larmes.

Qu’est-ce que j’ai devant moi, Julie ? pensa-t-il. Je vois qu’il y a quelque chose, là, mais je ne sais pas ce que c’est.

La vibration fut très légère, moins forte que le toussotement des freins d’une rame de métro. Quelques assiettes tremblèrent. Dans sa tasse, la surface du café de Naomi se couvrit de cercles concentriques. Tous les gens présents dans la salle firent silence, saisis de peur en même temps que des milliers d’autres personnes par la conscience de leur fragilité.

— D’ac-cord, lâcha Amos. Et c’était quoi, ce bordel ?

Les sirènes d’alarme se mirent à ululer.

— À moins que la phase 3 soit tout autre chose, dit Miller dans le vacarme.

* * *

Le système de sonorisation était par nature indistinct. La même voix jaillissait des consoles et des haut-parleurs qui pouvaient être distants d’un mètre à peine ou aussi éloignés que la portée de l’ouïe humaine. Il en résultait un phénomène de réverbération, un écho artificiel qui affectait chaque mot prononcé. C’est pourquoi la voix récitant le message d’urgence détachait chaque syllabe avec soin :

— Votre attention, s’il vous plaît. La station Éros est placée en situation de confinement d’urgence. Dirigez-vous immédiatement au niveau des casinos pour un confinement de sécurité radiologique. Coopérez avec tous les membres du personnel d’urgence. Votre attention, s’il vous plaît. La station Éros est placée en situation de confinement d’urgence…

Et le message allait continuer à être répété en boucle si personne n’entrait le code pour le désactiver, jusqu’à ce que tous les hommes, femmes, enfants, animaux et insectes présents dans la station ne soient plus que poussière et humidité. C’était le scénario du cauchemar, et Miller fit ce qu’une vie entière passée sur des cailloux pressurisés l’avait entraîné à faire. Il se leva, fonça dans le couloir et se dirigea vers les artères plus larges où les gens se pressaient déjà en foule. Holden et son équipage le suivaient de près.