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— C’est joli par ici ! déclara Valeria.

— Y a pas grand-chose à y faire, mais c’est vrai que c’est pas moche. Nous à force, on fait plus attention. Ça nous étonne toujours que les gens viennent des quatre coins du monde pour marcher dans la gadoue sous la flotte…

— Tout est serein chez vous, et les gens ont l’air gentils.

— Allez dire ça aux Anglais !

Valeria sourit. La vieille rivalité entre Écossais et Anglais était toujours vivace…

Plus ils progressaient vers l’ouest, plus le ciel se découvrait. L’alternance de nuages et de franches éclaircies colorait le paysage d’une surprenante variété de teintes. On y trouvait toutes les nuances de vert, de brun. Sur les versants ombragés des collines, la végétation était si dense et luxuriante que l’on aurait pu se croire en Amérique du Sud. À chaque virage, un nouveau tableau surgissait.

Valeria et Sheridan ne croisèrent que quelques voitures avant d’atteindre la dernière maison de Kinlochard. Il quitta la route principale, tourna à gauche et s’engagea sur un chemin forestier. Ils arrivèrent bientôt au bord du loch Chon, qu’ils longèrent aussi loin que possible. La voiture était de plus en plus secouée par le chemin défoncé. L’homme ralentit et finit par s’arrêter.

— Et voilà, ma petite dame. Le reste, c’est avec vos pieds.

Valeria le remercia encore et descendit.

— Bonne promenade ! fit le bonhomme. Et n’oubliez pas de saluer Mrs Jenkins pour moi !

Valeria le regarda faire un demi-tour acrobatique entre les ornières et les gigantesques buissons de ronces avant de s’éloigner. Le ronflement du moteur resta audible bien après que la voiture eut disparu. La jeune femme se tourna vers le loch. Sa surface légèrement ridée par le vent avait quelque chose d’apaisant. Ici régnait un autre rythme. De part et d’autre, les collines s’élevaient, couvertes de bruyère. Sur les hauteurs, quelques moutons paissaient en liberté, parsemant leurs flancs de petites taches blanches. Le ciel se dégageait à vue d’œil. L’air était frais et pur. Valeria prit une longue inspiration. Aussi loin que son regard portait, les arbres et les rochers se découpaient nettement. Valeria prit soudain conscience du silence. Il n’y avait pas un bruit humain, pas un avion. L’incessant brouhaha du monde avait disparu. Elle n’avait jamais ressenti cela auparavant. Le vent courait dans les arbres, quelques oiseaux criaient au loin et les ajoncs oscillaient le long des berges. Valeria se sentait bien. Paradoxalement, ici, la solitude ne l’effrayait pas, au contraire.

Elle s’engagea sur le sentier qui suivait le bord marécageux du loch. Plus loin, elle regarderait sa carte ; elle s’arrêterait pour boire, mais pour le moment, elle ne voulait pas rompre le charme, elle voulait s’adonner au plaisir de marcher, légère et impatiente de son futur.

La matinée s’écoula au rythme de ses pas. En quelques heures, elle avait appris une autre façon d’avancer. Tous ses sens étaient en éveil. Elle retrouvait le goût de l’observation, elle savait qu’aux abords des grands buissons de fougères, elle entendrait les lapins détaler. Elle s’était habituée aux envols sonores des oiseaux des marais. De chaque fleur tiédie par le soleil montaient des parfums différents.

Elle arriva bientôt à l’extrémité ouest du loch. Le sentier, envahi de hautes herbes parsemées de fleurs sauvages d’un magnifique mauve, ne devait pas être très fréquenté. La chapelle n’était sûrement plus loin. Les rives étaient à présent rocheuses, et Valeria marchait juste au bord. Parfois, un mouvement de l’onde laissait deviner les poissons qui s’y cachaient. Peut-être existait-il ici aussi un monstre marin légendaire ? L’eau limpide était brunie par la tourbe.

Valeria décida de faire une pause et choisit une grande pierre plate. La roche n’était pas aussi chaude que celle de l’Henares en Espagne, mais elle y était bien. Assise en tailleur, elle observa attentivement les bois touffus qui bordaient le loch. Les arbres trapus aux formes noueuses ressemblaient à des créatures échappées d’un conte de fées. Elle tira la bouteille d’eau de son sac puis, cherchant plus au fond, l’enveloppe dans laquelle elle avait emporté une photocopie de l’image de la chapelle. Valeria étudia le cliché avec attention. Le petit bâtiment se trouvait sur un promontoire rocheux, à quelques mètres de l’eau. Tenant la photo à bout de bras, Valeria la compara avec le paysage. Elle ne pouvait pas se repérer avec les monts en arrière-plan, l’image était cadrée trop serrée. Sur la photo, les abords immédiats de la chapelle ressemblaient beaucoup à l’endroit où elle se trouvait. Son cœur battait fort : elle n’était plus loin, elle le sentait.

Elle s’obligea à un court repos avant de poursuivre sa recherche. Elle voulait éviter d’arriver épuisée à la chapelle. Pour sa rencontre avec le lieu, elle se devait d’être en forme. Plus rien d’autre n’avait d’importance.

Valeria n’avait aucun doute. En suivant le sentier qui longeait le loch, elle finirait forcément par tomber sur ce qu’elle cherchait. Il faisait beau, elle avait un excellent moral et se plaisait de plus en plus dans ce pays froid et pluvieux. Pour un peu, elle se serait sentie chez elle.

Elle but encore quelques gorgées, avala un demi-sandwich sans quitter le loch des yeux, puis se remit en route. Elle progressa à bonne allure, convaincue que l’anse suivante servait d’écrin à la petite chapelle.

Pourtant, au fil des heures, à mesure qu’elle avançait sans découvrir Sainte-Kerin, un étrange sentiment s’immisça en elle. Elle commença à douter. L’allégresse des premières heures céda peu à peu la place à une sourde angoisse. Elle avait parcouru les trois quarts du tour du loch et n’avait toujours pas découvert son monument. Ce n’était pas du découragement, non — le sentiment était plus puissant, plus profond. Il était proche de la panique. La jeune femme n’était plus sûre de rien. Mentalement, elle passait en revue tous les éléments les uns après les autres. L’indication sous la photo pouvait comporter une erreur. Ainsi, sa seule preuve de l’existence réelle de la chapelle s’en trouverait-elle réduite à néant. Après tout, ni Madeline ni le vieux Sheridan n’avaient entendu parler de Sainte-Kerin…

Maintenant, la fatigue se faisait sentir. Les crampes menaçaient. Valeria avançait comme un robot, son regard traquant tout ce qui pouvait ressembler à un empilement de pierres, même en ruine. Plusieurs fois, elle se faufila sous des enchevêtrements de ronces, espérant y dénicher son sanctuaire. Plus elle approchait de la fin de son tour du loch, plus elle se sentait faiblir, comme si ce rendez-vous manqué avec son rêve la vidait de toute énergie. En elle, une mystérieuse voix lui murmurait qu’il était trop tard, que la découverte n’aurait pas lieu. Presque étourdie, elle trébucha sur une branche et se rattrapa de justesse à un jeune chêne. Ses tempes battaient. Elle crut apercevoir un pan de mur, mais il ne s’agissait que d’un tas de vieilles bûches. À force de trop vouloir, son esprit allait finir par faire surgir des mirages.

Au détour d’un bois, alors qu’elle avait de plus en plus de mal à garder les idées claires, elle reconnut le sentier où Sheridan l’avait déposée. Elle avait achevé le tour du loch. La chapelle ne s’y trouvait pas. Sans qu’elle puisse s’expliquer pourquoi, les larmes lui montèrent aux yeux. Son sac pesait soudain très lourd. Elle avait la gorge sèche. Abattue, elle se dirigea vers la route principale. Son cerveau était en ébullition. Pour rentrer, il fallait encore qu’elle marche pendant des heures. La nuit serait bientôt là. Elle se sentit fléchir. Sur le sentier, loin de tout, anéantie, elle s’effondra sans connaissance.