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— Parce que pas plus tard que lundi dernier, un jeune homme est venu me poser des questions sur le même sujet.

— Et alors ? fit Madeline.

— Alors, en plus de quinze ans, personne ne m’en a jamais parlé, et soudain, en quelques jours, deux personnes s’y intéressent.

— C’est un Espagnol ? s’enquit Madeline.

— Non, un Hollandais, d’une vingtaine d’années. Il était hébergé chez les MacPherson. Je crois qu’il est toujours dans les parages. Du moins, il y était encore ce midi puisque je l’ai croisé à l’épicerie.

— Il cherchait aussi la chapelle Sainte-Kerin ?

— Tout à fait. La seule construite sur les bords du loch Chon. Elle était d’ailleurs assez jolie.

— « Était » ? interrogea Valeria, anxieuse. Elle n’existe plus ?

— Ça devait être en 1983 ou 84, ils ont agrandi le loch Katrine — un de ceux qui alimentent Glasgow en eau potable. Le loch Chon faisait partie du nouveau dispositif hydrologique. Ils l’ont agrandi aussi, en le remplissant au-delà de son niveau naturel, et la chapelle s’est trouvée submergée…

— Vous voulez dire que la chapelle est engloutie dans le loch ? s’exclama Valeria.

— C’est cela. Lorsqu’ils ont construit les barrages sur les grands lochs, l’eau est montée en cascade dans les plus petits, dont le loch Chon. La chapelle a disparu. À l’époque, une petite chapelle de plus ou de moins, tout le monde s’en fichait.

— La chapelle est donc vraiment là ! s’enthousiasma Valeria.

— Certes, mais engloutie à jamais, répondit Rose. Au fait, que lui voulez-vous donc, à cette chapelle ?

Valeria raconta son rêve :

— Ma vision est tellement précise que j’ai l’impression de sentir les pierres sous mes doigts. J’entends le vent qui souffle dans le clocher. Je connais chaque pli de la robe de sainte Kerin sur le vitrail, la ferrure de la porte est décorée de clous forgés, il en manque un seul près de la serrure…

— C’est impressionnant, commenta Mrs Dwight. On jurerait que vous y êtes allée…

Valeria posa de nombreuses questions sur la chapelle elle-même. Rose n’avait eu que de rares occasions d’y pénétrer. En faisant appel à ses souvenirs, elle décrivit avec précision la porte en ogive, l’unique fenêtre et son vitrail, le lierre qui l’entourait, le petit clocher à l’aplomb du pignon et la toiture de pierres sèches. Valeria écoutait, avide d’entendre cette femme lui décrire son rêve. Tout coïncidait. Elle n’avait rien inventé. C’était à la fois rassurant et encore plus mystérieux. Valeria était tout à coup volubile, enthousiaste à l’idée d’avoir résolu son énigme. Le fait de comprendre pourquoi elle avait manqué la chapelle lui redonnait toutes ses forces.

— C’est incroyable, tout ce que vous me dites correspond !

— Il fallait venir quelques années plus tôt, et vous l’auriez vue en vrai.

Rose lui confia tout ce qui lui revenait. Le parfum des fleurs, l’eau qui ruisselait du toit sans gouttière lorsque la pluie tombait.

Valeria n’en perdait pas un mot. Elle bondissait sur sa chaise chaque fois qu’elle reconnaissait un élément précis de sa vision.

Lorsque, ayant épuisé tous les aspects du sujet, Rose réussit enfin à prendre congé, elle salua poliment Valeria et entraîna Madeline avec elle dans le jardin. Discrètement, elle lui souffla :

— L’autre, le Hollandais, il ne m’a rien raconté, mais il n’avait pas l’air plus net…

— Allons, Rose, vous n’avez jamais été jeune ? Ils ont bien l’âge de rêver et de se raconter des histoires !

Ce soir-là, Mrs Jenkins ne parvint pas à distraire sa jeune pensionnaire. Valeria ne dormit pratiquement pas. Elle n’attendait qu’une chose : l’aube, pour aller chez les MacPherson rencontrer ce jeune Hollandais…

10

— Cette fois, il s’agit d’autre chose.

— Encore une de vos visions imprécises ?

— Non, je n’ai jamais ressenti cela.

— Expliquez-vous.

— Je pressens une autre force. Elle a surgi.

Sous le soleil revenu comme par enchantement, les toits des maisons luisaient de l’averse à peine terminée. Valeria rejeta sa capuche en arrière et dégagea ses cheveux. Seules les boucles sur son front étaient humides. Elle sortit du recoin abrité de la devanture du drugstore où elle avait trouvé refuge. En quelques minutes, la rue reprit vie.

Tôt dans la matinée, lorsqu’elle avait traversé le village, personne n’avait reconnu la frêle touriste retrouvée inconsciente la veille. Depuis plus d’une heure, elle guettait le retour du jeune homme qui logeait chez les MacPherson. Madeline, qui décidément connaissait tout le monde, les avait appelés le matin. Ils lui avaient appris qu’il était parti en excursion du côté de Stirling. Il s’appelait Peter Apledoorn.

Valeria aurait pu aller se promener en attendant, mais elle n’en avait pas envie. Elle ne voulait surtout pas courir le risque de le manquer. Elle se rendait bien compte que cette histoire de chapelle tournait à l’obsession, mais elle n’y pouvait rien. C’était plus fort qu’elle. Tout cela ne lui ressemblait pas, elle qui était si raisonnable d’habitude. Mais rien de tout ça n’avait de logique. L’idée de rencontrer quelqu’un qui avait le même but qu’elle lui avait redonné l’espoir de comprendre ce qui lui arrivait. Elle était impatiente de connaître ses raisons à lui.

À chaque voiture qui passait, elle espérait que ce serait enfin celle qui viendrait se garer devant chez les MacPherson. Elle observait aussi les allées et venues des gens. Il y avait les touristes, plutôt routards dans les environs, et les gens du cru. Beaucoup la saluaient. Le temps passait finalement assez vite. Son vol de retour était prévu pour le lendemain soir. D’ici là, elle aurait sûrement le temps de rendre visite à Mrs Dwight pour la remercier. Peut-être aurait-elle des vieilles photos de la chapelle ?

Une voiture blanche décéléra pour venir se parquer juste en face. Valeria essaya de voir à travers la vitre, mais les reflets l’en empêchèrent. Un grand jeune homme mince s’extirpa du véhicule. Il se cogna la tête et jura. Il était blond comme les blés, mal coiffé et habillé d’un T-shirt informe et d’un pantalon usé aux genoux. Il se contorsionna maladroitement pour attraper un sac plastique sur la banquette arrière, ce qui fit sourire Valeria. Elle le trouva instantanément sympathique. La situation avait quelque chose de surréaliste. Ils ne se connaissaient pas, ne vivaient pas dans la même région du globe, mais ils étaient tous les deux venus ici pour la même chose. Une histoire de fous. Valeria le savait, Peter pas encore.

Elle traversa la chaussée et marcha vers lui. Il ne l’avait même pas remarquée quand elle se planta devant lui.

— Bonjour ! dit-elle d’une voix chantante.

— Salut.

Il lui rendit son sourire mais ne s’arrêta pas.

— Attendez ! dit-elle. Je voudrais vous parler.

Le jeune homme se retourna, incrédule.

— À moi ?

— Oui, à vous.

— Vous savez, dit-il avec un sourire malicieux, je suis toujours content quand une jolie fille m’adresse la parole, mais ça ne m’arrive pas souvent. Vous voulez me vendre quelque chose ?

— Pas vraiment.

— Vous êtes du coin ?

— Plusieurs kilomètres au sud. Madrid.

Peter mit quelques instants à comprendre.

— Et vous voulez me parler de quoi ?

— C’est un peu compliqué, je ne sais pas par où commencer. On pourrait aller boire un verre au pub…

— Eh ben vous, vous ne perdez pas de temps !

Valeria rougit aussitôt.