Peter fit un pas vers elle, ouvrit les bras et la serra contre lui.
11
— Que disent les médiums ?
— Ils ont un contact, ils perçoivent quelque chose.
— Rien de plus précis ?
— C’est déjà plus que jamais.
— Vous n’avez pas tort. Placez les équipes en état d’alerte. Et pas un mot en haut lieu avant d’avoir des certitudes…
Dans l’obscurité de la nuit sans lune, les abords du loch n’offraient plus le spectacle enchanteur d’un paysage préservé. En disparaissant, la lumière du jour avait emporté avec elle la quiétude. Des ombres fantomatiques semblaient glisser sur les flots et les rives n’étaient qu’une succession d’insondables zones d’ombre. Le vent courait dans les arbres, sifflant et agitant les branches et les fourrés d’innombrables mouvements suspects. Au creux d’un buisson, Valeria se tenait près des sacs. Peter était reparti garer la voiture près de la route pour ne pas attirer l’attention sur leur expédition.
Entre les feuilles, Valeria scrutait la nuit. Pour tenter de se rassurer, elle songea à Diego. Que penserait-il s’il la voyait ainsi cachée dans ce pays perdu, attendant dans l’obscurité un inconnu rencontré le matin même ? Imaginer sa jalousie la fit sourire. Aurait-elle seulement le courage de lui raconter son aventure ?
L’après-midi, Mrs Jenkins avait cherché à savoir pourquoi elle était rentrée bouleversée après le déjeuner. Valeria n’avait rien révélé. Du coup, Madeline soupçonnait une idylle avec le grand Hollandais. La brave femme avait bien tenté quelques allusions sur l’ami resté en Espagne. Elle avait aussi parlé de la faiblesse dont les femmes font preuve en cas de déprime et dont les hommes abusent parfois…
Valeria entendit craquer une branche. Elle se figea. Une ombre à peine visible apparut.
— Où es-tu ? demanda Peter à voix basse.
Soulagée, elle sortit de sa cachette. À tâtons, les deux jeunes gens attrapèrent les sacs.
— Il ne faut pas traîner, dit Peter. Porter le matériel jusqu’à la crique fera un excellent échauffement.
Dans la nuit noire, ils s’engagèrent sur le sentier.
— Fais bien attention, recommanda Valeria à son compagnon qui la précédait. Ne va pas tomber dans l’eau.
— On est pourtant là pour ça ! plaisanta-t-il. Et puis ne t’inquiète pas, moi aussi j’ai déjà fait le chemin.
À cette heure, plus aucun lapin ne détalait et les oiseaux étaient au nid. Seul le vent lugubre hantait le silence de la nuit.
— Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? demanda Peter.
— J’étudie les langues étrangères. Je prépare un diplôme d’interprète. Et toi ?
— Je viens de terminer ma troisième année d’ingénieur en physique appliquée.
— On n’avait aucune chance de se rencontrer.
— Sauf si j’avais participé à un voyage organisé ou si ton tour operator avait programmé la visite d’une centrale nucléaire où j’aurais bossé…
Ralentis par la charge du matériel, ils mirent près d’une heure pour parvenir sur le site. L’endroit se situait à quelques dizaines de mètres seulement de celui où Valeria avait fait halte la veille.
Peter tira une lampe torche de ses sacs et l’alluma en limitant la portée du faisceau avec sa main. Valeria jeta un coup d’œil circulaire.
— C’est étrange, dit-elle, tout est différent. Les arbres semblent plus proches.
— Depuis hier, pour nous deux, tout est différent, répliqua Peter en déballant les combinaisons sur le sol.
Il extirpa les bouteilles en précisant :
— Nous avons environ deux heures d’autonomie. C’est largement suffisant. La chapelle ne devrait se trouver qu’à quelques mètres sous la surface.
Sans hésiter, Valeria saisit la plus petite des combinaisons. Elle l’étudia d’un air dubitatif et descendit la fermeture à glissière.
— C’est le moment, dit-elle.
En se tournant pudiquement le dos, ils se déshabillèrent et passèrent leur vêtement de plongée. Valeria faillit tomber deux fois en enfilant les jambes et Peter se coinça les doigts dans la fermeture. S’équiper des bouteilles fut relativement plus simple. Chacun aida l’autre à placer son équipement sur le dos. En se découvrant l’un l’autre ainsi vêtus, ils ne purent s’empêcher de s’amuser de la situation. Il y avait quelque chose de surréaliste à se retrouver en pleine nuit au bord d’un loch perdu habillés en pingouins… Les deux jeunes gens s’assirent sur le rebord rocheux pour enfiler les palmes. En plongeant la main dans l’eau froide, Valeria frissonna.
Peter mouilla son masque avant de l’enfiler.
— Tu as l’air d’avoir déjà fait de la plongée, remarqua Valeria.
— Un peu, quand j’étais ado.
Elle sourit. Le jeune homme fixa un grand couteau sur le côté de son mollet. En apercevant le coup d’œil que Valeria lui jetait, il justifia :
— C’est juste au cas où il faudrait dégager des plantes…
Il lui tendit une torche.
— N’éclaire jamais vers le haut, dit-il. On pourrait se faire repérer de loin. Et ne nous éloignons pas l’un de l’autre.
Valeria acquiesça et positionna son embout respiratoire.
— Tu es prête ? demanda Peter.
Elle répondit d’un mouvement de la tête affirmatif.
— Alors on y va.
Il ajusta son masque, ouvrit les réserves d’air et contrôla sa montre. Il se laissa glisser dans l’eau sombre. Valeria s’appuya sur les rochers et s’immergea progressivement. Le flot glacé s’introduisit peu à peu entre la combinaison et sa peau. Il ne faudrait que quelques minutes pour que cette couche aqueuse se réchauffe, mais en attendant, Valeria hoquetait de froid. Face à face, Peter et elle n’avaient plus que leur tête hors de l’eau. La jeune femme se mouilla les cheveux en claquant des dents. Peter lui fit un OK avec le pouce et l’index et dirigea sa torche sous l’eau. Il plongea. Valeria alluma à son tour et, d’un coup de palme, s’enfonça à sa suite.
L’eau était limpide et les myriades de petites particules en suspension ne gênaient pas la visibilité. Le balai des faisceaux était féerique. Valeria n’avait aucun mal à suivre la grande silhouette qui s’enfonçait. Les chapelets de bulles d’air passaient devant elle en scintillant dans le halo de sa lampe.
La lumière de la torche de Peter se perdait dans le fond sans rien en révéler. Le jeune homme amorça un large virage. Ils frôlèrent d’imposants rochers, les contournèrent et descendirent encore plus profond. Il y avait peu de végétation, le relief était recouvert d’une fine couche de vase brune. En palmant, Valeria se réchauffait progressivement.
Soudain, comme un monstre émergeant des profondeurs, une masse apparut juste au-dessous d’eux. Valeria faillit s’étouffer et se cabra. La surprise passée, Peter s’en approcha. Il posa sa main sur le sommet pointu. Il regarda en direction de Valeria et désigna le monticule en hochant la tête. Aucun doute : il s’agissait d’un clocheton.
En se guidant le long de la faîtière, Peter remonta le toit. Il pivota vers la jeune femme. À travers son masque, elle vit son regard enthousiaste. La chapelle était là. Même s’ils ne pouvaient pas se parler, chacun devinait ce que ressentait l’autre.
Valeria caressa les pierres du clocher. Elle touchait enfin son rêve.
En tournoyant, ils descendirent au niveau de l’entrée. La petite fenêtre était à sa place, le lierre avait disparu, le sentier aussi. Le modeste édifice semblait posé au milieu du néant. Peter nagea jusqu’à la porte cintrée. Dans son sillage, il souleva quelques volutes de vase.