Выбрать главу

Une jeune femme fit soudain irruption dans la salle. D’un geste fébrile, elle désigna le téléviseur installé dans l’angle de la pièce :

— Allumez, passez sur Sky News, ils ont abattu Destrel !

Gassner, incrédule, prit appui sur la table pour ne pas chanceler. À l’écran, le présentateur du flash spécial remerciait un correspondant joint par téléphone. Il fit face à la caméra et déclara :

— C’est donc ce matin peu avant 10 heures que des agents des gouvernements français et britannique ont interpellé le professeur Marc Destrel et son épouse Catherine à l’aéroport de Glasgow, alors qu’ils s’apprêtaient à embarquer sur un vol à destination de Rome. Les enquêteurs ne savent pas à l’heure actuelle quelles étaient leurs intentions une fois arrivés là-bas. Personne n’aurait pu prédire que ce professeur mondialement respecté pour ses travaux se trouverait un jour mêlé à un tel débordement de violence. La communauté scientifique est sous le choc et les représentants des services de sécurité présents sur place se refusent à faire le moindre commentaire.

L’homme porta la main à son oreillette :

— On m’annonce que nous sommes maintenant en mesure de vous présenter en exclusivité les enregistrements vidéo des caméras de surveillance de l’aéroport qui ont filmé le drame.

L’image clinquante du studio de télé fit place à celle, moins nette, en noir et blanc et muette, des caméras de contrôle de l’aéroport. On y distinguait le couple vu du haut de l’aérogare, se dirigeant avec un maigre sac de voyage vers le comptoir d’embarquement.

Une dizaine d’hommes et de femmes qui, quelques instants plus tôt, semblaient être de simples voyageurs, se regroupèrent pour les encercler. On voyait nettement le professeur étreindre son épouse. S’ensuivit un échange verbal dont le ton, à en juger par les gestes vifs de chacun, était loin d’être cordial. L’absence de son rendait chaque mouvement plus violent, plus révélateur. Destrel repoussa ses interlocuteurs, mais deux hommes agrippèrent alors Catherine Destrel pour la séparer de son mari. Un troisième homme dégaina une arme et s’interposa entre les deux scientifiques pour les écarter l’un de l’autre. C’est alors que le professeur sortit un revolver et fit feu. Sur l’image approximative, l’arme cracha deux éclairs lumineux. L’agent gouvernemental s’écroula aussitôt. La panique gagna le hall, le professeur continua de tirer en direction des hommes qui retenaient sa compagne, mais ce fut elle qui reçut les balles en pleine poitrine. Le professeur fit alors demi-tour et s’échappa en courant.

Il prit la fuite hors du hall et fut bientôt repéré par une autre caméra braquée sur l’accès à la zone de fret. On distinguait clairement la silhouette du professeur courant aussi vite qu’il le pouvait, son arme à la main. C’est en pleine course qu’il fut rattrapé par un projectile qui le traversa, puis par une bonne demi-douzaine d’autres. Il s’effondra au sol en glissant sur quelques mètres.

Le journaliste réapparut à l’image, visiblement bouleversé. Il mit quelques instants à se ressaisir.

— À l’heure où je vous parle, le bilan est donc de trois morts, dont un agent britannique du contre-espionnage, et de quatre blessés graves. Le professeur Destrel et son épouse sont décédés. Des rumeurs, que les autorités refusent également de commenter pour l’instant, font état d’éventuelles découvertes révolutionnaires que le professeur partait vendre à une puissance d’Asie. De source officielle, on nous précise cependant que lui et sa femme étaient soupçonnés d’espionnage et de haute trahison…

Gassner éteignit la télé.

— On peut avoir une copie des bandes de l’aéroport ? demanda-t-il à la jeune femme.

— Laissez-moi deux heures, répondit celle-ci.

— Essayez d’avoir les originales, histoire qu’on ne bosse pas sur des éléments trafiqués…

— Comptez sur moi, fit-elle avant de sortir dans un silence pesant.

Gassner se redressa difficilement. Il était sonné. Comme un robot, il commença à ranger les photos et ses fiches dans les dossiers.

— Je veux comprendre, maugréa-t-il. Minute par minute, je veux savoir ce qui s’est passé entre le moment où nous les avons perdus et ce carnage. Washington va nous rappeler, nous n’avons que quelques heures pour reconstituer le puzzle.

— Je m’excuse, mon colonel, demanda l’un des agents, mais à quoi ça va servir ? C’est fini.

Gassner le fixa d’un regard sévère et rétorqua :

— Eux sont morts, mais pas leurs découvertes. Leurs comptes rendus, leurs dossiers, leur matériel et leurs résultats ne tenaient sûrement pas dans le minuscule sac de voyage de Catherine Destrel. Nous n’avons peut-être pas encore tout perdu.

Le plus jeune des agents risqua une hypothèse :

— En prenant l’avion à Glasgow, ils venaient certainement de leur propriété près d’Aberfoyle.

— Leur maison dans ce trou perdu d’Écosse ? interrogea Gassner. Mais je croyais qu’ils n’y étaient pas hier…

— Nous n’avons fait que téléphoner. Ça ne répondait pas.

Gassner blêmit. L’agent se justifia aussitôt :

— C’est le bout du monde ! On ne peut pas envoyer quelqu’un vérifier chaque fois qu’un téléphone sonne dans le vide… Nous avons parié qu’ils ne se cacheraient pas dans un endroit aussi évident.

Gassner s’appuya des poings sur la table. Son visage devint rouge de colère. Il éructa :

— Vous avez parié ? Vous croyez que tout cela est un jeu, Smith ? Il fallait vérifier, bon sang ! Le hasard ou les suppositions ne doivent pas avoir cours à ce niveau d’enjeu. Vous les avez perdus alors que les Anglais et les Français, eux, ont réussi à les localiser ! Préparez l’hélico, on file là-bas. Personne ne doit fouiller leur maison avant nous…

3

Après s’être assuré à maintes reprises que personne ne suivait sa voiture de location, Greg Hyson s’engagea sur l’unique route en direction du loch Ard. Il était en retard. La pluie venait de cesser et déjà le soleil brillait comme en plein été. En temps normal, Greg l’aurait remarqué et se serait dit, comme souvent, que ce pays était étrange et magnifique, mais aujourd’hui le cœur n’y était vraiment pas. Sur la petite route qui serpentait entre les chapelets de lochs et les pentes boisées, il surveillait constamment son rétroviseur. Cette voie étroite était un long cul-de-sac. Hormis quelques touristes égarés, personne n’y venait par hasard. Il dépassa le hameau de Milton puis bifurqua deux kilomètres plus loin sur un chemin de terre qui montait en forêt. Il continua sur quelques centaines de mètres et arrêta son véhicule devant une barrière en bois. Il descendit, l’ouvrit en se dépêchant puis alla se garer derrière le sous-bois.

Greg connaissait bien l’endroit. Il était souvent venu s’y reposer avec les Destrel, et parfois y travailler avec eux. D’un pas pressé, il remonta vers la maison. En la découvrant au milieu des immenses arbres, les larmes lui montèrent aux yeux. Il s’arrêta. La demeure était là, majestueuse et grise, tournée vers le loch qu’elle dominait dans un spectaculaire panorama. Tout était à sa place et pourtant, Greg le savait, plus rien n’était comme avant. Sa gorge se noua. Rien ne l’avait préparé à vivre cela.

Il s’élança vers la porte de service. Il n’avait pas une minute à perdre. Il avait appris la tragédie par la radio, sur la route. Même si depuis quelques semaines, il savait qu’il ne les reverrait jamais, il était horrifié que tout se soit passé d’une manière aussi barbare. En tournant la clé dans la serrure, il sentit une chape de plomb lui tomber sur les épaules. Ses deux meilleurs amis étaient morts.