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— Qu’ont-ils fait de Jenson ?

— Ils l’ont embarqué pour l’interroger. Ce salopard a l’air décidé à faire de la résistance mais personne ne l’écoute. À leurs yeux, il est d’abord complice d’un gigantesque détournement de fonds publics, et il a aussi trahi la confiance de sa hiérarchie puisque j’ai appris qu’à l’origine, le département d’État l’avait recruté comme consultant pour la NSA. C’est un vrai sac de nœuds et comme ils ne peuvent pas s’en prendre à Morton, ils vont sûrement s’acharner sur lui. Étonnamment, il n’a pas dit un mot sur vous.

— Il se réserve pour plus tard…

— Trop tôt pour le dire, mais de toute façon, il ne pourra pas grand-chose. Il n’a plus Morton pour le protéger. Sans appui politique, il va trinquer. Et maintenant, passons aux bonnes nouvelles : les avis de recherche vous concernant ont été annulés et grâce à un copain au FBI, j’ai même pu les faire effacer des banques de mémoire centrales. Il n’existe plus aucune trace du fait qu’on vous ait poursuivis un jour. Pour les papiers d’identité de Simon, c’est bon. Ils sont partis ce matin en express. Vous devriez les avoir demain matin, en poste restante, au bureau de Bingham.

— Génial. Et pour vous ?

— Comment ça ?

— Qu’allez-vous devenir ?

— Je ne me fais pas trop de soucis. Dans ces cas-là, on ne s’acharne pas sur les seconds couteaux. Ma ligne de défense est toute trouvée : je n’ai fait qu’obéir à mon supérieur. C’est la règle chez les militaires. On ne peut pas me condamner pour cela. Alors je vais encore passer un peu sur le gril et ils vont me remettre au placard ailleurs. Sauf que cette fois je ne vais pas hésiter à charger mon chef…

— Il faut vous souhaiter bon courage ?

— Merci. Pas d’angoisse. Je vais me débrouiller.

Puis, après une hésitation, Dumferson ajouta :

— Vous savez, je ne me rends pas encore très bien compte de ce que j’ai vécu ces dernières vingt-quatre heures, et je crois que je ne le réaliserai jamais vraiment. Mais je suis heureux de vous avoir rencontré. Je vais vous avouer un truc idiot : lorsque Gassner est mort, nous avons tous souffert de ne pas avoir pu lui dire ce que nous avions sur le cœur à son sujet.

— C’était si grave que ça ?

— Il était insupportable, intraitable, infatigable, mais c’était de loin le mec le plus droit et le plus juste que nous ayons rencontré. En vous aidant, j’ai l’impression d’avoir payé un peu de ma dette envers lui. S’il avait vécu, j’aurais bien aimé devenir son ami. J’espère qu’un jour on se reverra et qu’on aura le temps d’en parler.

— Quand vous voudrez.

— En attendant, il y a encore du boulot. Je veux passer les affaires de Jenson au peigne fin tant qu’il est retenu par les fédéraux.

— Bon courage et à demain, même heure.

— Reposez-vous et prenez soin de la jeune femme, elle en a bien besoin. À demain.

Assise sur un tas de vieilles bûches moussues à demi éboulé devant la maison, Valeria profitait des dernières lueurs du jour. Les yeux perdus dans le ciel qui virait lentement du bleu au pourpre, elle jouait, rêveuse, avec le pendentif qui avait enfin retrouvé sa place autour de son cou. La petite émeraude sertie d’argent tournoyait, glissait d’un doigt à l’autre.

La vieille Buick déboucha du chemin de terre en ronronnant et s’arrêta devant le garage de bois. Peter descendit et remarqua la jeune femme.

— Si tu restes là, lui dit-il en claquant sa portière, tu vas servir de dîner aux moustiques.

Elle posa sur lui un regard serein. Il s’approcha. Par timidité, il éprouva le besoin de faire semblant de s’intéresser au vieux garage. Il jeta un œil par le carreau cassé d’une fenêtre.

— Il n’y a plus grand-chose là-dedans, fit-il. Quelques outils rouillés…

— Il a dû servir de cabane à tous les gamins des environs, commenta Valeria qui suivait le jeune homme des yeux.

Elle le retrouvait tel qu’elle l’avait vu la première fois. Sa grande silhouette semblait tenir en équilibre sur des échasses. Assise, elle le trouvait encore plus grand. Dans le contre-jour, les mèches de ses cheveux blonds décoiffés accrochaient la lumière. Il vint finalement s’asseoir à côté d’elle.

— Quelles nouvelles de Dumferson ?

— Il fait le ménage. Ça se passe bien.

— Tant mieux.

— Et toi, comment ça va ? demanda Peter.

— Étonnamment bien. J’ai juste envie de dormir.

— Pas surprenant. Avec toutes les drogues qu’ils t’ont injectées, ton organisme doit avoir besoin de récupérer. Tu fais des cauchemars ?

— Non, je ne rêve pas. Je suppose que mon esprit se protège de tout ce qui s’est passé. Les derniers jours sont de plus en plus confus dans mon souvenir, ils deviennent flous. Je n’en garde qu’une peur sourde et un rejet complet.

— Il faut tourner la page. Nous sommes libres désormais.

— C’est vrai, tu as raison.

Valeria détourna son visage.

— J’ai parlé avec Simon, dit-elle. C’est un homme surprenant. Il a pas mal de points communs avec nous. Lui aussi a hérité d’un don qui a bouleversé sa vie. Il y a beaucoup réfléchi. Je crois qu’il pourrait nous aider à comprendre ce qui nous arrive.

— Tu es certaine d’avoir envie de te plonger là-dedans maintenant ?

— Disons que puisqu’on doit vivre avec ça, autant apprendre tout ce que nous pouvons. Histoire d’être moins dépassés. Cela nous concerne, après tout.

— Pour ma part, j’ai envie d’un peu de calme. Simon t’a dit ce qu’il comptait faire une fois qu’il aura ses papiers ?

— Il veut retourner en Inde, refaire sa vie. Mais il n’est pas encore décidé. Il est certain de vouloir quitter les États-Unis et après, c’est encore vague. Il a peut-être quelques parents éloignés près de Calcutta. Il va avoir du mal à oublier tout ce qu’il a subi.

— On n’efface pas comme ça cinq ans de captivité dans le cachot le plus high-tech du monde.

— Lui dit que ce n’est pas l’enfermement qui l’a le plus marqué.

— Et qu’est-ce que c’est alors ?

— Ce qu’il sait. Tout ce qu’il a appris, tout ce dont il a été le témoin. Auparavant, il sentait des choses mais cela restait une façon un peu décalée de voir la vie. Au centre, il a mesuré à quel point c’était hors norme. Il dit qu’il ne peut plus voir l’existence comme avant. À présent, il ne sait plus rien faire sauf capter les flux, les évaluer. Tout son être est conditionné à cela. Il dit aussi que son plus grand choc est de nous avoir rencontrés. Sentir ce que nous émettons, particulièrement toi, a changé sa vision du monde pour toujours. En fait, il ne croit plus à la mort.

Dans la pénombre qui s’installait, Peter observa furtivement le profil de Valeria.

— J’arrive moi aussi à cette conclusion, dit-il. Mais il y a autre chose. Si je ne me trompe pas, Simon ne sentira bientôt plus rien de spécial à mon contact.

Surprise, elle tourna la tête vers lui.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Parce que j’ai l’impression que Gassner n’est plus en moi.

Prononcer cette simple phrase l’allégea tout à coup.

— Que veux-tu dire ?

— Grâce à lui, j’avais certaines aptitudes, des raisonnements et des capacités qui m’étaient jusqu’alors inconnus. Depuis hier, je me rends compte que je suis en train de les perdre. Comme si Gassner sortait de moi, comme si son esprit repartait avec tout ce qu’il avait apporté.

Valeria voulut saisir la main du jeune homme, mais elle n’osa pas.

— Cela t’inquiète ? demanda-t-elle.

— Ça me perturbe. Son identité s’est tellement confondue avec la mienne que, par moments, je ne faisais plus aucune différence entre nous. Du coup, je ressens une absence, comme si un peu de moi disparaissait. C’est paradoxal.