Valeria ôta son pull et entra dans la salle de bains. Elle étudia son visage dans le miroir. Ses traits paraissaient plus durs, ses yeux plus sombres. Elle effleura sa joue et soupira. Achevant de se déshabiller, elle passa sous la douche. Elle ouvrit l’eau et mit la main sous le flot pour vérifier la température. Elle l’augmenta de quelques degrés et se glissa dessous. Son corps fut envahi d’une onde de bien-être. Elle pencha la tête en arrière et lissa ses cheveux sous le jet. L’eau l’apaisait. Elle se voyait bien partie pour prendre la plus longue douche de l’Histoire.
Tout à coup, il lui sembla entendre un bruit dans la chambre. Elle tendit l’oreille. Rien. Elle mit son impression sur le compte du stress et attrapa la minuscule bouteille de shampooing offerte par l’hôtel. Un second bruit attira son attention. Peut-être s’agissait-il de Peter ou de Stefan qui, dans la chambre voisine, claquaient une porte ou un placard ? La troisième fois, Valeria coupa l’eau et entrouvrit la porte de la cabine de douche.
— Il y a quelqu’un ?
Personne ne répondit, mais il lui sembla percevoir un mouvement dans la pièce voisine. Elle attrapa un peignoir, l’enfila et s’approcha de la porte. Peut-être s’agissait-il du service d’étage ou d’une femme de ménage ?
Dans la chambre, tout semblait en ordre. Elle décida d’allumer la télévision pour profiter d’un bruit de fond rassurant. Elle s’approcha de l’appareil, prit la télécommande posée dessus et appuya machinalement sur la cinq. Juste avant que l’image n’apparaisse, dans le reflet sombre de l’écran, elle eut le temps d’apercevoir une ombre dressée derrière elle. Elle poussa un cri. La télécommande chuta sur la moquette…
Étendu sur son lit, Peter ne parvenait pas à se concentrer sur autre chose que la trotteuse de sa montre. Joindre Dumferson virait à l’obsession. Il se redressa et, comme un quart d’heure plus tôt, pivota pour s’asseoir sur le bord du matelas. Il saisit le combiné placé sur la table de nuit et composa le numéro qu’il connaissait maintenant par cœur. Une fois encore, l’appel prit quelques secondes pour atteindre l’autre côté de l’Atlantique. La première sonnerie retentit, puis une seconde. Peter était tellement sous pression que même dans un intervalle si court, il avait à la fois le temps d’imaginer que Dumferson ne répondrait toujours pas, mais aussi de croire qu’il allait l’entendre et que toutes ses peurs s’envoleraient aussitôt. À la quatrième sonnerie, Peter discerna enfin le déclic. Son cœur se mit instantanément à battre plus fort.
— Allô ? fit la voix.
— C’est Peter. Je suis si content de vous entendre.
— Moi aussi, Peter.
La voix était différente, plus grave, plus distinguée aussi. Le jeune homme crut qu’il avait fait un faux numéro.
— Excusez-moi, dit-il, je souhaitais parler à Douglas Dumferson.
— J’ai bien peur que cela ne soit plus possible, mon garçon.
Peter sentit un frisson glacial lui parcourir la colonne vertébrale. Il venait de reconnaître Jenson.
— Peter, ne raccroche pas. Nous devons parler.
— Où est Dumferson ? paniqua-t-il. Pourquoi répondez-vous sur sa ligne ?
— Je vais t’expliquer, écoute-moi. Je veux te proposer quelque chose. Nous pouvons nous entendre.
Une peur absolue gagna le jeune homme. Tout à coup, il songea que Jenson était peut-être en train d’essayer de localiser son appel. D’un geste brusque, il raccrocha.
Il resta quelques instants sans parvenir à reprendre le contrôle de ses pensées. Il se frictionna le visage avec énergie et se précipita pour prévenir ses compagnons. Lorsqu’il ouvrit la porte de sa chambre, il se heurta à un colosse en costume sombre qui semblait l’attendre. Peter n’eut même pas le temps de se débattre. L’homme le rejeta dans sa chambre, entra et referma tranquillement la porte derrière eux. Peter perdit l’équilibre et trébucha sur le coin du lit avec un cri sourd. L’homme se pencha ; Peter sentit sa main sur son cou. Puis il vit le visage de son agresseur basculer et disparaître dans la nuit.
41
— Vous savez ce que c’est ? demanda Jenson en agitant deux CD audio sous le nez de Stefan.
Le jeune homme, solidement ligoté sur un vieux siège métallique, le regardait sans comprendre.
— Non. Visiblement, cela ne vous dit rien. Et pourtant, ça vous concerne de près.
Jenson soupira. Il reprit ses allées et venues dans la cave poussiéreuse.
— Vous ne voulez toujours pas me parler ?
Pour toute réponse, Stefan lui adressa un regard assassin. Jenson ne détourna pas les yeux pour autant. Il soutint son regard avec arrogance. Il le pouvait : il contrôlait de nouveau la situation.
— J’ai tout mon temps, annonça-t-il. Mais n’imaginez pas que vous allez vous en sortir comme ça.
Stefan s’était fait kidnapper dans le parc de l’hôtel, alors qu’il était sorti faire quelques pas dans le labyrinthe de buis. Les hommes de Jenson l’avaient approché sans aucune difficulté. Il les avait pris pour des clients de l’hôtel et s’était fait assommer par surprise.
Lorsqu’il était revenu à lui, Stefan était prisonnier dans ce trou. Aucun bruit, aucune rumeur ne venait de l’extérieur. Le réduit sentait le vieux carton humide. Une lampe à l’abat-jour crevé était posée sur une pile de caisses, sans doute abandonnées là depuis longtemps.
— Soyez malin, tenta de le convaincre Jenson. Nous avons tous à y gagner.
Il lui présenta les CD une fois de plus.
— Je les ai écoutés, c’est édifiant. Vous y racontez beaucoup de choses passionnantes, en particulier au sujet de votre rêve, vous savez, cette chapelle… C’est impressionnant ce que l’on peut livrer sous hypnose.
Stefan blêmit. Satisfait de son effet, Jenson poursuivit :
— C’est Julius Kerstein lui-même qui me les a remis. C’est une mine d’informations très instructive. En la recoupant avec ce que j’ai pu apprendre de Mlle Serensa, je déduis que c’est dans cette chapelle que vous avez trouvé les documents relatifs aux travaux des Destrel…
Stefan s’efforça de ne rien laisser paraître. Pour se concentrer sur autre chose, une nouvelle fois, il tenta de faire jouer les liens qui entravaient ses poignets derrière le dossier, mais rien n’y fit. Ils étaient trop serrés. Jenson ne le lâchait pas du regard. Il se comportait comme un chat avec une souris, s’approchant au gré des coups qu’il souhaitait porter. Il s’immobilisa devant Stefan.
— Votre dossier universitaire est assez brillant, déclara-t-il. Vous n’êtes pas stupide. Alors essayez de raisonner. Vous et moi avons des connaissances que nous pourrions mettre en commun. C’est notre intérêt à tous les deux. Nous pouvons finir ensemble ce que j’ai commencé. Vous savez, au centre d’étude, pendant des années, j’ai étudié des cas remarquables qui m’ont conduit à quelques belles découvertes. Certaines sont assez passionnantes, mais je désire les inscrire dans un ensemble plus vaste. Je n’ai que des notes de musique et je veux l’instrument qui les joue. Notre système cérébral est sous-exploité, c’est un lieu commun, mais moi, je sais à quel point et j’en ai la preuve. Vous voyez, je joue franc-jeu avec vous. Je sais aussi ce que le cerveau peut produire avec un peu d’entraînement. Si vous le souhaitez, je vous expliquerai tout dans le détail. C’est assez fascinant.
Jenson était volubile, il se montrait réellement passionné. Il reprit :