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Lorsqu’elle avait buté sur le mur, elle s’était assise contre, ramenant ses jambes sur sa poitrine, le menton calé entre ses genoux. Repliée sur elle-même, elle avait désespérément cherché le moindre point de lumière, la plus petite lueur qui aurait pu se glisser par une porte ou un soupirail. Mais elle n’avait rien décelé. Ses pupilles étaient dilatées comme jamais, à l’affût, mais en vain. La sensation était à ce point étrange qu’elle se demanda même si elle n’était pas devenue aveugle. Même dans les plus sombres placards où elle se terrait lorsqu’elle était gamine, elle avait toujours aperçu une clarté. Ici, rien. C’est peut-être ce que l’on ressent quand on perd la vue. Les larmes lui étaient venues. À l’enfer blafard du centre succédait celui, obscur et sec, de ce cachot.

Peu à peu, elle s’était mise à écouter avec la même intensité qu’elle avait cherché à voir. Ses mouvements produisaient un son étouffé. Et puis, à force de tenter de capter le moindre bruit, même lointain, elle avait fini par l’entendre. Quelque part, à une distance indéterminée mais sans doute assez proche, un souffle presque inaudible. Elle avait mis un moment avant d’en être certaine, mais il s’agissait d’une respiration. La panique l’avait peu à peu gagnée. Elle avait murmuré, imploré, mais sans rien entendre en retour. Elle se sentait comme une souris dans le vivarium d’un cobra. Elle était prostrée, terrifiée, redoutant l’attaque soudaine.

Dans cette nuit totale, ses peurs primales resurgissaient, renforcées par les terreurs que Jenson avait fait naître en elle. Qui était tapi dans l’obscurité ? Elle craignait que l’ombre colossale aperçue dans sa chambre juste avant de perdre conscience ne la surprenne de nouveau. Elle devait se concentrer de toutes ses forces pour arrêter d’imaginer des monstres rampants aux dents acérées qui rôdaient près de ses pieds nus.

La respiration dans le noir se fit soudain plus forte. Valeria se recroquevilla encore un peu plus. Tout à coup, ce fut un gémissement qui monta.

— Qui est là ? interrogea de nouveau la jeune femme, la gorge nouée. Mon Dieu… se lamenta-t-elle en refermant son peignoir du mieux qu’elle pouvait.

La respiration n’était plus là.

— Valeria ?

La jeune femme était dans un tel état de nervosité qu’elle ne comprit pas immédiatement d’où venait la voix.

— Valeria, c’est toi ?

— P… Peter ?

— Oui, enfin ce qu’il en reste…

Le jeune homme se renversa sur le flanc et soupira. Il se redressa et se massa les tempes pour essayer d’atténuer l’atroce douleur qui lui tenaillait le cerveau. Il sentit soudain deux bras l’enserrer : Valeria venait de se jeter sur lui. Elle l’étreignit de toutes ses forces.

— Oh Peter, j’ai eu si peur !

Ses mains se promenèrent sur le visage du jeune homme, parcourant son nez, ses paupières. Elle caressa ses cheveux, agrippa son sweat. Ils tombèrent tous les deux à la renverse sur le sol. Peter referma les bras autour de la jeune femme et essaya de la calmer. Elle hoquetait, sanglotait. Lui-même avait du mal à reprendre ses esprits.

— Que s’est-il passé, demanda-t-il. Où sommes-nous ?

— Je n’en sais rien, dit-elle en reprenant son souffle. J’ai été enlevée à l’hôtel et je me suis réveillée ici. C’est bizarre : sans rien voir, j’ai la sensation de connaître cet endroit. Et toi, comment t’es-tu retrouvé ici ?

— Lorsque j’ai appelé Dumferson, je suis tombé sur Jenson. Je courais vous prévenir lorsqu’une brute m’a coincé… Et Stefan ?

— Il ne doit pas être loin.

— Il faut essayer de sortir, décréta le jeune homme.

Avec délicatesse, il se dégagea de l’étreinte de Valeria et se leva. Avançant prudemment, bras en avant, il commença à explorer la pièce. Il traversa une toile d’araignée. À tâtons, il ne tarda pas à rencontrer un mur. Il en parcourut la surface — des briques sans aucun doute. Il découvrit une gaine électrique en métal et la suivit jusqu’à un interrupteur.

— Attention les yeux, annonça-t-il. Je vais essayer d’allumer la lumière.

Au déclic, rien ne se produisit. Poursuivant son investigation, Peter découvrit une porte. Méthodiquement, il parcourut ses contours. Elle était en bois mais certainement renforcée parce qu’elle sonnait le plein. Ni poignée, ni serrure.

— Nous sommes piégés comme des rats, conclut-il.

— Tu crois que Jenson est derrière tout cela ?

— Qui d’autre ?

Peter revint vers la jeune femme. Il aurait apprécié que Gassner soit encore là pour l’aider à sortir de ce mauvais pas.

— Tu n’as pas trop faim ? demanda-t-il.

— Non, juste un peu soif mais ça va.

— Il va falloir tenir.

Peter passa son bras autour de Valeria. Elle s’abandonna, contente de ne pas être seule, heureuse d’être avec lui.

— Tu crois qu’ils ont aussi eu Simon ? interrogea Peter.

— Tout est possible. La petite opération de Jenson était bien montée. On s’est fait cueillir en beauté.

— Si seulement nous savions où nous sommes…

Valeria éprouva un vertige. Elle allait mettre cela sur le compte de l’épuisement nerveux lorsqu’un autre, beaucoup plus puissant, survint. Elle chancela. Tout à coup, des dizaines d’images lui traversèrent l’esprit. Un peu déroutée, elle s’appuya contre Peter.

— Je divague, dit-elle. J’ai des visions. Tout ça me porte sur le système.

Une nouvelle série d’images la submergea. Un coucher de soleil à travers une fenêtre à petits carreaux, sa main posée sur un torse d’homme, un chat se glissant par une porte entrebâillée.

— Je crois savoir où on est, murmura-t-elle soudain.

— Comment ça ?

— Nous sommes toujours en Écosse, dans la maison de Cathy et Marc Destrel. Oui, c’est ça, j’en suis certaine.

— Ça t’est venu comme ça ?

— Je le sens, nous sommes chez eux.

Peter saisit le visage de sa compagne.

— Tu as eu des vertiges ?

— Plusieurs.

— Bon sang, je voudrais tellement voir tes yeux. Raconte-moi, la pressa-t-il. Les images arrivent comme un film en accéléré ?

— Oui, c’est exactement ça…

— Elle est en train de venir en toi.

— Catherine Destrel ?

— J’ai ressenti la même chose avec Gassner. Ne t’inquiète pas. On ne souffre pas. C’est déstabilisant au début mais on s’habitue. Pourtant tu n’as pas subi le processus de réveil, Stefan a dit que l’installation du centre ne pouvait pas fonctionner…

— Je ne comprends pas.

Valeria fut prise d’un nouveau vertige. Soudain, à l’extérieur, un coup sourd résonna. Des pas approchèrent, plusieurs personnes descendant un escalier.

— Allonge-toi au fond, ordonna Peter à voix basse. Fais semblant de dormir.