Un raclement de bois fit vibrer la porte, puis quelqu’un manipula un trousseau de clés avant de déverrouiller la serrure. Le battant s’entrouvrit, laissant apparaître le contour d’une tête dans une faible clarté. Le visage enfoui dans les bras, allongé sur le sol comme s’il était encore inconscient, Peter observait les visiteurs du coin de l’œil. La porte s’ouvrit en grand et trois silhouettes se découpèrent. Celle du milieu fut jetée dans la pièce et la porte se referma aussitôt. La serrure fut rebouclée et la barre remise en place.
Stefan était tombé dans la poussière. S’appuyant sur ses coudes endoloris par le choc, il essayait de se mettre à genoux. Valeria et Peter s’approchèrent de leur ami.
— Ils ne vous ont rien fait ? demanda celui-ci, la voix faible.
— Non, répondit Peter. On s’est réveillés là. Et toi ?
— C’est Jenson. Il ne nous lâchera pas avant d’avoir ce qu’il veut.
Stefan se laissa tomber sur le côté et souffla.
— Je suis bien content de vous retrouver, les dernières heures m’ont paru assez longues…
Valeria tendit la main pour le réconforter. Elle rencontra son épaule et la serra chaleureusement.
— Il a tenté son expérience sur toi ? demanda-t-elle.
— Pas encore, il garde sûrement ça pour plus tard. Ils voulaient d’abord savoir où était la mallette…
— Il t’a torturé ? s’enquit Peter, alarmé.
— On peut dire ça. Debbie, son assistante, est là aussi. Ils sont complices. Celle-là, si je la coince… C’est une médium. Méfiez-vous d’elle. Elle est redoutable.
Valeria se souvint de la jeune femme avec répulsion. Stefan gémit. Peter l’aida à s’asseoir le long du mur, près de la porte.
— Je ne sais pas combien de temps je pourrai résister, continua-t-il. Ils vont sûrement aussi s’en prendre à vous. Il ne faut pas rester là.
— Valeria sait où nous sommes, révéla Peter.
— Moi aussi, ironisa Stefan : nous sommes dedans jusqu’au cou.
— C’est la cave de la maison des Destrel, précisa la jeune femme.
— Ah… La boucle est donc bouclée, commenta Stefan. Et comment l’as-tu découvert ?
— C’est Catherine Destrel qui le lui a dit… annonça Peter.
Un silence s’installa. Stefan songeait à ce que cette nouvelle impliquait.
— Si Jenson apprend ça, dit-il, il va être convaincu que son expérience a marché et il sera encore plus impatient de me connecter à ses engins de malheur.
— Tu penses que ce qui arrive à Valeria n’est pas la conséquence de l’expérience ?
— Je ne suis pas spécialiste, mais si je me réfère aux notes des Destrel, c’est impossible.
— Cela signifierait qu’une âme pourrait communiquer spontanément, observa la jeune femme.
— … Et en direction du sujet de son choix, renchérit Peter. Les âmes parlent à qui elles veulent.
— On a un problème plus urgent à régler. Il faut se tirer d’ici. Jenson va nous éplucher jusqu’à ce qu’on en crève.
— Ils sont combien là-haut ? demanda Peter.
— Jenson, Debbie et deux hommes. Je les ai entendus, ils vont nous apporter à manger. Il faut en profiter pour attaquer, ce sera sans doute notre seule occasion.
— Ils sont armés ? s’inquiéta Valeria.
— Sûrement, mais est-ce qu’on a le choix ?
43
Peter soutenait Valeria. Les vertiges de la jeune femme étaient de plus en plus longs mais de moindre intensité. Son cerveau bouillonnait, elle entrevoyait désormais beaucoup de souvenirs liés à la maison. À la différence de Peter, elle n’avait pas besoin de dormir pour recevoir les implants psychiques venus de Cathy Destrel.
L’oreille collée à la porte, Stefan écoutait. Il tenait la bouteille vide par le goulot, prêt à s’en servir. Ils n’auraient droit qu’à une seule chance. Il avait aussi arraché la gaine métallique protégeant les fils électriques du plafonnier en panne et s’en était fait une sorte de fouet.
— Ça va ? demanda-t-il à voix basse.
— On est prêts.
— Tu les entends venir ? interrogea Valeria.
Avant même que Stefan réponde, ils entendirent les pas dans l’escalier. Une seule personne. La lenteur de la démarche et le très léger tintement de vaisselle indiquaient que l’homme était chargé. Il posa le plateau devant la porte et retira la barre, sortit le trousseau de clés de sa poche et déverrouilla. Calant la porte avec le pied, il l’entrebâilla. À la vue des trois jeunes gens effondrés sur le sol, il ouvrit en grand et glissa le plateau à l’intérieur.
D’un mouvement sec, Stefan fit siffler son fouet, qui atteignit l’homme au visage. Le grand type poussa un cri rauque et porta ses mains à son œil. Stefan bondit et se jeta sur lui. Il le frappa violemment à la tête avec sa bouteille. Au même moment, Peter assena un puissant crochet à l’estomac de leur geôlier. L’homme s’affala sur lui-même contre le mur du couloir.
D’une main, Peter attrapa le pain posé sur le plateau et de l’autre, aida Valeria à sortir. Après de longues heures dans l’obscurité, même la faible lumière du couloir était aveuglante.
— Il faut remonter, indiqua Stefan. L’autre type doit être dans une chambre située juste à gauche en haut de l’escalier. On y va avec Peter et on se le fait par surprise.
— Non, trancha Valeria. On passe par là.
Elle désigna un étroit couloir qui partait dans l’autre direction et s’enfonçait dans la cave.
— Il y a une trappe de service qui donne directement dehors.
— Tu en es sûre ?
— Je vous l’ai dit, je connais cet endroit.
Peter retira les chaussures et la veste du garde et les tendit à la jeune femme.
— Je sais que ce n’est pas ta pointure, mais ça ou courir dehors pieds nus…
Il confisqua également son revolver.
Les trois jeunes gens se faufilèrent à travers le dédale humide. Par moments, Valeria hésitait une ou deux secondes, mais elle finissait toujours par s’y retrouver.
— Eh, Mike ! Qu’est-ce que tu fous ?
L’autre garde venait d’interpeller son complice qui tardait à remonter.
— Dépêchons-nous, fit Peter.
La voix du garde résonna de nouveau.
— Mike, réponds !
Les trois fuyards l’entendirent dévaler l’escalier. L’homme jura en découvrant son complice sur le sol et le cachot grand ouvert. Il se mit à hurler :
— Professeur, professeur ! Ils se sont enfuis !
Essayant de rester concentrée malgré la peur qui montait en elle, Valeria pénétra dans une salle et, sans hésiter, escalada le tas de vieux charbon empilé au fond. Elle fut soulagée de découvrir deux battants métalliques en haut de la paroi.
— C’est là. Ça donne dehors.
Peter grimpa pour la rejoindre. Les battants étaient fermés par une serrure. Le jeune homme tira, sans succès.
— C’est fermé à clé ! On est bloqués.
Ils entendaient déjà leurs poursuivants dans le couloir. Le garde et Jenson étaient sur leurs talons.
— Attendez ! s’exclama Valeria.
Avec frénésie, elle se mit à inspecter le pourtour des tuyaux de chauffage et d’écoulement qui parcouraient les murs de la pièce.
— Ils arrivent, s’inquiéta Stefan. Qu’est-ce qu’on fait ?
Peter descendit du charbon et vérifia que le revolver du garde était bien chargé. Six balles. Il se plaça en embuscade à l’entrée de la pièce, prêt à faire feu sur ce qui se présenterait dans le couloir.
La voix de Jenson monta :
— Vous ne pourrez pas sortir, vous le savez bien. Rendez-vous !
Valeria poursuivait sa fouille. Pour l’instant, elle n’avait déniché que des toiles d’araignée et des excréments de rongeurs.