Il ne faisait aucun doute que le SRTT était effraye, et Prilicla commentait à chaque instant ses réactions émotionnelles. Mais il n’avait pas suffisamment peur.
— Silence ! hurla brusquement Conway. Passons à la seconde partie du programme !
Le vacarme précédent n’avait constitué qu’un prélude. À présent venaient les choses sérieuses, mais silencieuses, parce qu’ils devaient pouvoir entendre tous les sons émis par le SRTT.
Des fusées éclairantes jaillirent tout autour de la silhouette tremblante qui occupait le centre de la salle. C’était des fusées à l’éclat aveuglant, mais qui ne dégageaient qu’une chaleur négligeable. Simultanément, des rayons tracteurs et presseurs poussaient ou tiraient le SRTT. Ils le faisaient glisser en tous sens le sol, le projetaient par instant dans les airs ou l’écrasaient contre le plafond. Les rayons fonctionnaient sur le même principe que les ceintures gravitationnelles, mais ils pouvaient être contrôlés avec plus de précision, et leur focalisation était plus exacte. D’autres opérateurs de rayons commencèrent à diriger les fusées éclairantes vers la silhouette suspendue qui se débattait follement, pour les faire retomber ou dévier au tout dernier instant.
À présent, le SRTT était vraiment effrayé, à tel point que même les non-empathiques pouvaient percevoir sa peur. Les formes qu’il adoptait donneraient d’innombrables cauchemars à Conway, durant les semaines à venir.
Il porta un micro à ses lèvres et abaissa l’interrupteur.
— Y a-t-il des réactions, là-haut ?
— Rien pour l’instant, répondit la voix de O’Mara qui était retransmise par tous les haut-parleurs qui avaient été installés autour de la salle. Quoi que vous fassiez en ce moment, il va falloir pousser les choses plus loin.
— Mais cette créature est déjà plongée dans une extrême détresse … déclara Prilicla.
— Si vous ne pouvez pas supporter ce spectacle, vous n’avez qu’à sortir ! aboya Conway en se tournant vers son assistant.
— Calmez-vous, Conway, dit sévèrement O’Mara. Je sais ce que vous devez ressentir, mais pensez au but que nous poursuivons …
— Mais si nous n’obtenons pas de résultats … Oh, ne faites pas attention. — Conway se tourna à nouveau vers Prilicla, pour s’excuser, avant de s’adresser à l’officier qui se tenait près de lui. — Connaissez-vous un moyen sûr pour le faire craquer plus vite ?
— Je n’aimerais pas qu’on l’expérimente sur moi, mais je suggérerais de le faire tourner sur lui-même. Une rotation rapide peut démoraliser complètement certaines espèces oui peuvent supporter presque toutes les autres formes de pression …
On ajouta un mouvement rotatif aux coups que les rayons presseurs assénaient déjà au SRTT. Pas un simple tournoiement, mais un mouvement violent, rotatif et de tangage, dont la seule vue retournait l’estomac de Conway. Les fusées éclairantes plongeaient et s’abattaient autour du SRTT, comme des lunes folles autour de leur planète primaire. Nombreux étaient les hommes qui avaient perdu leur enthousiasme, et Prilicla tremblait et vacillait sur ses six jambes fines, étreint par un ouragan d’émotions qui menaçait de le détruire.
Il avait eu tort de mêler Prilicla à tout cela, pensa Conway avec colère. Aucun empathique ne devrait être obligé de subir une pareille torture. Il avait commis une erreur dès le début. Son idée était cruelle, sadique, et inutile. Il était pire qu’un monstre …
Dans les airs, au centre de la salle, la forme indistincte qui se tordait en tournoyant, commença à émettre un gloussement aigu et terrifié.
Un fracas épouvantable jaillit des haut-parleurs muraux : hurlements, cris, craquements, et bruits de pas qui couvraient ceux de quelque chose d’infiniment plus lent et plus lourd. Ils purent entendre la voix de O’Mara hurler une sorte d’explication à quelqu’un, puis une autre personne hurla :
— Pour l’amour de Dieu, arrêtez ! Le père du môme s’est réveillé et il va devenir complètement dingue …
Rapidement, mais avec douceur, ils firent ralentir puis stopper le mouvement tournant du SRTT, et ils le firent descendre jusqu’au sol. Ensuite, ils attendirent, tendus, tandis que les cris et les craquements qui leur parvenaient depuis la salle d’observation numéro trois atteignaient leur paroxysme puis s’apaisaient lentement. Autour de la pièce les hommes restaient immobiles. Ils s’observaient les uns les autres, regardaient la créature qui geignait, prostrée sur le sol, ou fixaient les haut-parleurs, attendant la suite. Elle ne se fit pas attendre.
C’était un gloussement identique à celui qui avait été diffusé sur le circuit de communications intérieures quelques heures plus tôt, mais sans l’accompagnement de parasites. Et parce que tous avaient branché leurs traducteurs, les paroles leur parvenaient également en anglais.
Le vieil SRTT avait retrouvé son intégrité physique, et il parlait en termes enfantins et rassurants à son enfant égaré. Il disait que le petit avait été polisson, qu’il devait cesser de vagabonder et de se mettre dans tous ses états, et que rien de désagréable ne lui arriverait plus s’il lui obéissait, et s’il suivait les instructions des êtres qui l’entouraient. Le SRTT termina en ajoutant que plus tôt il obéirait, plus tôt ils pourraient rentrer à la maison.
Conway savait que sur le plan mental, le fugitif avait été sérieusement ébranlé. Peut-être avait-il poussé les choses trop loin. Tendu par l’anxiété, il l’observait. La forme de l’être était encore imprécise, et il progressait en rampant sur le sol. Lorsqu’il commença doucement et avec soumission à donner de petits coups de tête contre les genoux d’un Moniteur, le cri de joie qui s’éleva faillit le faire replonger dans la terreur.
— Lorsque Prilicla m’a donné la clé qui permettait de comprendre ce qui affectait le vieil SRTT, j’ai su aussitôt que le traitement devrait être énergique, déclara Conway aux professeurs et aux diagnosticiens qui étaient regroupés autour du bureau de O’Mara.
Le fait qu’il fut assis en aussi auguste compagnie était un indice certain de l’approbation qu’il recevait, mais malgré cela il se sentait nerveux, lorsqu’il ajouta :
— Sa régression vers l’état fœtal, sa complète dissolution en des cellules indépendantes et non pensantes qui flottaient dans l’océan primordial, étaient déjà bien avancées. Peut-être trop, à en juger par son aspect. Le commandant O’Mara avait essayé sur lui divers traitements de choc qu’il pouvait ignorer ou annuler en raison de sa structure cellulaire fantastiquement adaptable. Mon idée était d’utiliser les liens émotionnels et physiques, qui, avais-je découvert, existent entre l’adulte SRTT et son dernier né.
Conway fit une pause et regarda rapidement autour d’eux. La salle d’observation numéro trois semblait avoir été dévastée par une bombe, et Conway savait que quelques minutes d’agitation frénétique s’étaient écoulées entre le moment où le vieil SRTT était sorti de son état comateux et celui où des explications lui avaient été fournies. Il s’éclaircit la voix avant d’ajouter :
— Nous avons donc bloqué le jeune SRTT dans la salle de jeu DBLF, et nous avons essayé de l’effrayer le plus possible, tandis que ses cris de frayeur étaient retransmis jusqu’à son parent qui se trouvait ici. Ça a marché. Le vieil SRTT n’a pas pu se désintéresser du sort de son dernier né, le plus aimé de ses enfants, qui courait apparemment le plus horrible des dangers. L’inquiétude parentale et l’amour ont englouti et détruit sa psychose, et l’ont obligé à revenir au présent et à la réalité. Il a pu apaiser son enfant, et toutes les personnes concernées sont à présent heureuses.