Conway secoua négativement la tête.
— Peut-être ne voulaient-ils pas m’inquiéter.
— Moi non plus, répondit Hendricks en riant. Franchement, les risques d’explosion sont infimes, à condition que nous prenions certaines précautions, naturellement. Mais si vos hommes envahissaient l’épave pour la découper de toutes parts au chalumeau, ce serait presque inévitablement la catastrophe.
Tout en discutant, ils avaient traversé deux autres compartiments et ils se trouvaient à présent dans une petite coursive. Conway avait noté au passage que l’intérieur de chaque pièce avait une couleur différente. La race du survivant, pensa-t-il, devait avoir des notions hautement individualistes quant au domaine de la décoration intérieure.
— Quand pensez-vous pouvoir l’atteindre ? demanda-t-il.
C’était une question simple et concise qui nécessitait une réponse longue et compliquée, expliqua tristement Hendricks. L’extra-terrestre avait fait connaître sa présence par des bruits, ou plus exactement par des vibrations que ses mouvements avaient engendrées dans la structure métallique du vaisseau. Mais en raison de l’état de l’épave et du fait que ses déplacements étaient de durée irrégulière, il était impossible de le localiser avec précision. Ils découpaient un passage vers le centre de l’épave, car ils estimaient que s’il devait subsister un compartiment encore étanche il ne pouvait se trouver que dans cette zone. De plus, ils n’avaient pu percevoir les derniers mouvements du survivant en raison du bruit et des vibrations provoqués par l’équipe de sauveteurs.
En résumé, il leur faudrait entre trois et sept heures.
Conway pensa qu’après l’avoir trouvé il leur faudrait encore prélever un échantillon de son atmosphère, l’analyser et la reproduire ; s’assurer de la pression et de ses besoins gravifiques ; le préparer pour le transfert jusqu’à l’hôpital et faire le maximum sur place pour ses blessures, avant qu’il pût être soigné convenablement.
— C’est bien trop long, déclara Conway, consterné. Nous allons devoir tout préparer avant de trouver notre patient … Nous y sommes contraints. Voilà ce que nous allons faire …
Rapidement, Conway donna l’ordre de faire arracher des plaques du sol, pour mettre à nu les grilles gravitationnelles qui se trouvaient au-dessous. Ce genre de choses n’était pas de son domaine, mais il ne faisait aucun doute que le lieutenant pourrait faire une estimation suffisamment précise de leur puissance. Toutes les races de la Galaxie qui naviguaient dans l’espace utilisaient la même méthode pour neutraliser ou recréer la gravité. Si l’espèce à laquelle le survivant appartenait employait un système différent, alors ils feraient aussi bien de renoncer immédiatement …
— On peut déduire les caractéristiques physiques de toutes les formes de vie à partir d’échantillons de leur nourriture, de la taille et de la puissance de leurs grilles gravifiques, et de l’air emprisonné dans des sections de tuyauterie. Un certain nombre de données de cette nature devrait nous permettre de reproduire son environnement habituel …
— Certains des objets qui flottent autour de nous sont peut-être des boîtes de conserve, fit remarquer Kursedd.
— C’est possible, mais nous devons tout d’abord obtenir et analyser un échantillon d’air. Cela nous donnera une idée approximative de son métabolisme, et nous permettra de faire la différence entre les boîtes qui contiennent de la peinture et celles qui contiennent du sirop …
Quelques secondes plus tard, la recherche du système d’alimentation en air du vaisseau était commencée. La tuyauterie qui traversait chaque compartiment d’un vaisseau spatial était nécessairement importante, mais le nombre de conduits visibles, même dans les plus petites cabines de cet appareil, le déconcertaient par leur complexité. Cette vision engendra un vague stimuli au fond de son esprit, mais ou ses centres d’association ne fonctionnaient pas correctement, ou le stimuli était trop faible, mais quoi qu’il en soit il ne put rien en déduire de positif.
Conway et les autres partaient du postulat suivant : si un compartiment pouvait être hermétiquement isolé, la tuyauterie qui amenait l’air dans cette section devait être munie de valves aux points d’entrée et de sortie. La découverte d’une section de conduit contenant de l’atmosphère n’était en conséquence qu’une question de temps. Mais le labyrinthe de tubes qui les entourait devait également être constitué par des réseaux d’alimentation et de contrôle des moteurs, dont certains étaient peut-être encore en fonction. Il fallait donc suivre chaque tuyau jusqu’à une cassure, qui permettait de l’identifier comme n’appartenant pas au système d’alimentation en air. C’était un procédé d’éliminations lent et décourageant, et Conway bouillait intérieurement de rage contre ce puzzle mécanique. Il aurait voulu que l’équipe qui se frayait un chemin dans l’épave entrât en contact avec le survivant, afin qu’il pût redevenir un médecin au lieu de tenir ce rôle de technicien empoté.
Deux heures plus tard, il ne restait plus qu’un gros conduit qui devait constituer la sortie, et un faisceau de tuyaux métalliques qui devait être l’alimentation en air.
Il y avait sept entrées !
— Un être qui a besoin de sept éléments chimiques … commença Hendricks, avant de se taire, médusé.
— Un seul de ces tuyaux doit contenir l’élément principal, fit remarquer Conway. Les autres doivent apporter des traces de gaz, ou des composants inertes, tel l’azote dans notre propre atmosphère. Si les valves régulatrices qui se trouvent sur chaque conduit ne se sont pas fermées lorsque le compartiment a perdu sa pression, nous pourrons déterminer les proportions du mélange.
Conway parlait avec confiance, mais au fond de lui-même il ne ressentait pas la même assurance. Il avait un sombre pressentiment.
Kursedd s’avança. L’infirmière sortit de sa trousse un petit chalumeau, puis elle régla la flamme pour en faire une fine aiguille incandescente de dix-huit centimètres de long, qu’elle amena doucement au contact d’un des sept tuyaux d’entrée. Conway s’approcha en tenant un tube à échantillon ouvert.
Une vapeur jaunâtre jaillit brusquement, et Conway se précipita. Son flacon ne contenait guère plus que du vide, mais la quantité de gaz suffirait pour une analyse. Kursedd attaqua un autre tube.
— À en juger par l’aspect, je dirais que c’est du chlore, dit-elle alors qu’elle poursuivait son travail. Et si le chlore est le composant principal de cette atmosphère, une salle PVSJ modifiée pourrait convenir au naufragé.
— Je n’ai pas l’impression que ce soit aussi simple que cela, lui répondit Conway.
À peine avait-il terminé sa phrase, qu’un jet de vapeur blanche sous pression emplit la pièce d’un épais brouillard. Kursedd bondit instinctivement en arrière, et elle écarta la flamme du tuyau percé. La vapeur devint un liquide clair qui forma des sphères qui bouillonnaient furieusement autour d’eux. Cela ressemblait à de l’eau et avait les mêmes réactions que ce liquide, pensa Conway alors qu’il prélevait un autre échantillon.
Lors de la troisième perforation, la flamme, qui resta un instant dans le jet de gaz qui s’échappait, s’enfla et sa brillance augmenta. Cette réaction ne pouvait prêter à erreur.
— De l’oxygène, dit Kursedd qui exprimait tout haut la pensée de Conway. Ou un gaz qui contient une grande proportion d’oxygène, en tout cas.
— L’eau ne m’intrigue pas outre mesure, déclara Hendricks, mais le chlore et l’oxygène forment un mélange irrespirable.