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Le lendemain matin, Conway resta deux heures auprès de son patient, avant le début de la réunion qu’il avait demandé à O’Mara d’organiser. Tout ce qu’il avait découvert, c’est-à-dire pas grand-chose, rendait évident que rien de constructif ne pourrait être fait pour le patient sans le concours de spécialistes.

Le Dr. Prilicla, cette créature extrêmement fragile, arachnéenne, qui appartenait à la classification GLNO, fut le premier à venir le rejoindre. O’Mara et le colonel Skempton, l’officier responsable des services techniques, pénétrèrent ensemble dans la salle. Quant au professeur Mannon, qui avait été retenu par une opération dans le bloc DBLF, il arriva en retard et au pas de course. Il ralentit, puis il fit lentement et à deux reprises, le tour du patient.

— On dirait un pet-de-nonne, avec des moules collées autour, dit-il.

Tous le regardèrent.

— Ce ne sont pas des moules, corrigea Conway en poussant un appareil à rayons X, mais une grosseur que les types du labo de pathologie estiment être maligne. Et si vous l’observez à l’aide de cet appareil, vous pourrez constater que ce n’est pas non plus un pet-de-nonne. Cet être possède l’anatomie normale d’une créature DBLF : un corps cylindrique légèrement osseux, avec une musculature puissante. Le naufragé n’a pas la forme d’un anneau mais il en donne l’impression parce que, pour une raison que j’ignore, il a essayé d’avaler sa queue.

Mannon regarda attentivement l’écran. Il émit un borborygme d’incrédulité, puis il se redressa.

— C’est un vrai cercle vicieux, dit-il pour tout commentaire.

— Cette excroissance est plus épaisse là où la queue et la bouche du patient se rejoignent. En fait, cette partie est tellement distendue qu’il est presque impossible de distinguer la jonction. On peut supposer que cette grosseur provoque de la douleur, ou qu’elle est très irritante. Une démangeaison intolérable expliquerait pourquoi cette créature se mord la queue. À moins que sa position actuelle ne soit due à une contraction musculaire involontaire, provoquée par cette tumeur. Une sorte de spasme épileptique …

— Je préfère de beaucoup la seconde hypothèse, déclara Mannon. D’après l’écartement des mâchoires, ces dernières doivent être bloquées dans cette position depuis très longtemps.

Conway hocha la tête.

— Malgré la puissance des grilles gravitationnelles du vaisseau, dit-il, nous avons établi que les besoins du patient, tant en ce domaine que dans celui de la pression atmosphérique, sont très proche des nôtres. Ces ouïes qui s’ouvrent juste derrière la tête et qui n’ont pas encore été atteintes par la tumeur, sont des orifices respiratoires. Les ouvertures plus petites, partiellement couvertes par des rabats de chair, sont des oreilles. Notre patient peut donc entendre et respirer, mais pas se nourrir ou communiquer avec nous. Ne pensez-vous pas que nous devrions commencer par libérer sa bouche ?

Mannon et O’Mara hochèrent la tête en signe d’approbation. Prilicla étendit ses quatres appendices manipulateurs dans un geste ayant la même signification, et le colonel Skempton se mit à fixer le plafond en se demandant apparemment ce qu’il faisait là. Sans plus attendre, Conway le lui expliqua.

Tandis que lui-même et le professeur Mannon décideraient des procédés thérapeutiques à employer, le colonel et le Dr. Prilicla s’occuperaient du problème posé par la communication avec le patient. Grâce à ses facultés empathiques, le GLNO pourrait guetter une réaction, tandis que deux techniciens traducteurs de Skempton effectueraient des tests auditifs. Une fois que la longueur d’onde du patient serait connue, un appareil traducteur pourrait être modifié pour converser avec lui, et l’être serait à même de les aider à trouver un diagnostic et un traitement.

— Cette pièce est suffisamment bondée comme ça, dit sèchement le colonel. Je m’en occuperai personnellement.

Il décrocha le micro de l’interphone et donna l’ordre de faire apporter le matériel dont il avait besoin. Conway se tourna vers O’Mara.

— Laissez-moi deviner, dit le psychologue avant que Conway ne pût ouvrir la bouche. Vous m’avez réservé la tâche la plus facile : celle de rassurer le patient une fois que nous pourrons communiquer avec lui. Je devrai le convaincre que les deux bouchers que vous êtes ne lui veulent aucun mal.

— C’est exactement ça, répondit Conway en souriant, avant de reporter toute son attention sur le malade.

Prilicla leur apprit que le survivant ne percevait pas leur présence, et que ses radiations émotionnelles étaient si faibles, qu’il devait être à la fois inconscient et bien près d’un épuisement physique total. En dépit de cela, Conway leur conseilla de ne pas toucher le patient.

Conway avait déjà vu de nombreuses tumeurs malignes, mais celle-ci les surpassait toutes.

Comme l’écorce dure et fibreuse d’un arbre, elle couvrait entièrement la bouche du malade, ainsi que sa queue. Et pour augmenter encore leurs ennuis, la structure osseuse de la mâchoire, dont la connaissance serait d’une importance capitale lors de l’intervention chirurgicale, ne pouvait être vue clairement sur l’écran de l’appareil de radioscopie, parce que la tumeur était presque imperméable aux rayons X. Les yeux de l’être se trouvaient également quelque part, sous cette coquille épaisse et opaque, ce qui leur donnait une raison supplémentaire de faire preuve d’une extrême prudence.

Mannon désigna l’image brouillée que l’on pouvait voir sur l’écran, et il dit avec véhémence :

— Il ne se grattait pas pour soulager une quelconque démangeaison. Ses dents sont vraiment plantées dans sa chair. Sa queue est pratiquement sectionnée. Cela me fait plutôt penser à une posture épileptique. À moins que la créature ne soit masochiste, ce qui indiquerait un déséquilibre mental …

— Oh, bravo ! s’exclama avec dégoût O’Mara.

L’équipement de Skempton arriva. Prilicla et le colonel commencèrent à régler un traducteur pour le patient. Comme ce dernier était pratiquement inconscient, les sons test devaient avoir une très forte puissance pour atteindre son cerveau, et Mannon et Conway durent quitter la salle pour terminer leur discussion.

Une demi-heure plus tard, Prilicla vint leur dire qu’ils pouvaient à présent s’adresser au patient, mais que l’esprit de la créature ne semblait que partiellement consciente. Ils regagnèrent la salle en hâte.

O’Mara disait à la créature qu’ils étaient ses amis, qu’ils l’aimaient, et qu’ils éprouvaient une profonde sympathie pour elle. Il ajoutait qu’ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour l’aider. Il parlait doucement dans son propre traducteur, et une série de cliquètements et de gloussements jaillissait de celui qui avait été placé près de l’oreille du patient. Dans les pauses qui entrecoupaient les phrases, Prilicla commentait les sentiments du naufragé.

— De la confusion, de la colère, et une grande peur, dit-il.

Durant plusieurs minutes, l’intensité et la nature des émotions restèrent semblables, et Conway décida de passer à la phase suivante. Il s’adressa à O’Mara.

— Dites-lui que je vais essayer de le toucher. Ajoutez que je le prie de bien vouloir m’excuser si cela le fait souffrir, mais que je n’ai pas l’intention de lui faire du mal.

Il prit une longue sonde dont l’extrémité avait la forme d’une aiguille, et il toucha doucement la zone où la tumeur était plus épaisse. Le GLNO ne nota aucune réaction. Apparemment, seul un contact sur la partie non encore atteinte par cette excroissance, pouvait déclencher des réactions violentes chez le patient. Conway eut l’impression d’avoir finalement obtenu un résultat.