En conséquence, le vaisseau venait d’une planète enregistrée comme inhabitée. Mais en un siècle, quelqu’un avait pu y installer une base, ou même une colonie. Et le vaisseau ambulance s’éloignait de ce monde en direction de l’espace intergalactique …
Une culture qui venait d’une autre Galaxie pour implanter une colonie à la bordure de celle-ci, pensa sinistrement Conway, devait être traitée avec énormément de respect. Et de prudence. Surtout en raison du fait que son unique représentant ne pouvait être considéré comme un être particulièrement sympathique. De plus, ses congénères, qui étaient probablement très avancés sur le plan médical, risquaient de ne pas être transportés de joie en apprenant que quelqu’un avait saboté le traitement d’un de leurs patients.
Conway savait que sur le plan logistique, les guerres de conquêtes interstellaires étaient impossibles. Mais cela ne s’appliquait pas aux simples guerres d’annihilation pendant lesquelles on faisait exploser l’atmosphère des planètes afin de rendre ces dernières à jamais inutilisables, sans aucune pensée d’occupation ou d’annexion. En se remémorant son dernier contact avec le patient, Conway se demanda s’ils avaient finalement rencontré une race totalement mauvaise et inamicale.
Le vibreur de l’interphone se fit brusquement entendre. Kursedd l’informait que le patient était resté tranquille durant la dernière demi-heure, mais que la tumeur semblait s’étendre rapidement et qu’elle menaçait de recouvrir un des orifices respiratoires. Conway lui répondit qu’il arriverait dans un instant. Il repoussa l’idée d’appeler le Dr. Prilicla, et il s’assit à nouveau.
Conway n’osait parler à personne de ce qu’il avait découvert. Le faire aurait provoqué l’envoi immédiat d’un détachement de Moniteurs qui se seraient essaimés dans l’espace et qui auraient pris prématurément contact avec les nouveaux venus. Si Conway estimait que ce serait un contact prématuré, c’était parce qu’il était persuadé que cette première rencontre entre les deux cultures serait comparable à une collision brutale. La seule possibilité d’amortir le choc serait de démontrer que la Fédération avait secouru, puis soigné et « guéri », un des colons galactiques.
Il était naturellement possible que le patient ne fût pas représentatif de son espèce, qu’il fût mentalement malade, ainsi que O’Mara l’avait suggéré. Mais Conway doutait fort que les congénères du survivant considèrent cela comme une excuse valable pour l’avoir abandonné à son sort. S’opposant à cet argument, il y avait le fait que le patient avait des raisons — logiques à ses yeux — d’avoir peur et de haïr ceux qui voulaient l’aider. Durant un court instant, Conway se demanda s’il pouvait exister une logique à ce point contre nature, une mentalité pour laquelle recevoir une assistance engendrait des sentiments de haine plutôt que de gratitude. Même le fait que cet être se fut trouvé dans un vaisseau ambulance ne prouvait strictement rien. Pour des gens tels que Conway, le concept d’ambulance avait une signification altruiste, de mission humanitaire, et le reste. Mais de nombreuses races, même au sein de la Fédération, ne voyaient en la maladie qu’une simple inefficacité physique, et ils agissaient en conséquence.
Lorsqu’il quitta sa chambre, Conway n’avait toujours pas la moindre idée du traitement qu’il appliquerait a son patient. Il ne savait pas non plus s’il disposait de beaucoup de temps. Pour l’instant, le capitaine Summerfield, Hendricks, et les autres Moniteurs qui exploraient l’épave, étaient trop déconcertés par une multitude d’énigmes pour arriver à la même conclusion que lui. Mais ce n’était qu’une question de temps — de jours ou peut-être même d’heures.
Peu après, le corps des Moniteurs contacterait les extra-galactiques, qui voudraient naturellement avoir des nouvelles de leur petit frère malade. Il fallait donc que d’ici là il fut soit guéri, soit sur le chemin de la guérison.
À moins que …
Conway essayait désespérément de ne pas penser à l’autre possibilité.
« Que se passera-t-il, si le patient meurt ? … »
Avant de faire un nouvel examen, Conway questionna Prilicla sur l’état émotionnel du malade, mais il ne put rien apprendre de nouveau. La créature était à présent immobile et presque inconsciente. Et lorsque Conway s’adressa à elle, par l’entremise du traducteur, elle émit une onde de peur, bien que Prilicla lui eût affirmé qu’elle avait compris ses paroles.
— Je ne vous veux aucun mal, disait lentement Conway qui s’approchait d’elle. Il est indispensable que je vous touche, mais je ne vous veux aucun mal …
Il adressa un regard interrogateur au GLNO.
— Je perçois toujours de la peur et également … un sentiment d’impuissance. Une acceptation de la situation, mêlée à des menaces … Non, un avertissement. Il semble vous croire, mais il veut vous mettre en garde contre quelque chose.
Conway pensa que c’était déjà bien plus encourageant. L’être le mettait en garde, soit, mais il lui importait peu qu’il le touchât. Conway effleura doucement la créature avec sa main gantée, sur une des zones de tégument non encore atteinte par la tumeur.
Il grogna sous la violence du choc qui lui repoussa le bras. Il recula en hâte, se frottant le bras, puis il débrancha le traducteur, afin de donner libre cours à ses sentiments.
Après un instant de silence, Prilicla s’adressa à Conway.
— Nous venons d’obtenir un renseignement très important, professeur Conway. En dépit de sa réaction physique, ses sentiments sont exactement les mêmes que ceux qu’elle éprouvait avant que vous ne la touchiez.
— Et alors ? demanda Conway sur un ton irrité.
— Cette réaction doit être involontaire.
Conway prit le temps d’assimiler cette donnée avant de faire remarquer avec dégoût :
— Cela signifie aussi que nous ne pourrions pas courir le risque d’une anesthésie générale, même si celle-ci était techniquement réalisable, parce que le cœur et les poumons sont eux aussi des muscles purement mécaniques. C’est une autre complication. Nous ne pouvons pas l’endormir et elle refuse de coopérer …
Conway se rendit auprès du panneau de commande et pressa des boutons. Les griffes qui retenaient le filet s’ouvrirent, et ce dernier fut soulevé par un grappin.
— Ce filet la blesse. Vous pouvez constater qu’elle a presque perdu un autre de ses tentacules.
Prilicla objecta que si le patient était libre de se déplacer à sa guise, il risquait de se blesser encore plus gravement. Conway fit alors remarquer qu’en raison de sa posture actuelle, avec sa queue dans sa bouche et son ventre ( qui portait les cinq paires de tentacules ) tourné vers l’extérieur, il lui était difficile de se déplacer. À présent qu’il y réfléchissait, cela lui rappelait une attitude de défense : celle adoptée par les chats terriens lorsqu’ils se couchaient sur le flanc, durant un combat, afin de pouvoir utiliser leurs quatre pattes griffues. C’était un chat à dix pattes, qui pouvait se défendre de tous les côtés à la fois.
Les réactions involontaires de cette créature étaient engendrées par l’évolution. Mais pourquoi cet être adoptait-il une pareille position défensive, et se rendait-il totalement inapprochable juste au moment où il aurait eu le plus grand besoin d’être aidé ? …
Brusquement, comme si un grand éclair éclatait dans son cerveau, Conway trouva la réponse. Ou plutôt, corrigea-t-il avec prudence, il y avait quatre-vingt-dix chances sur cent pour qu’il l’eût trouvée.