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Dès le début, ils avaient tous fait des suppositions erronées à propos de ce patient. Sa nouvelle théorie s’appuyait sur une hypothèse unique, simple, et fondamentale. Si on admettait cela, l’hostilité, la posture physique, et les réactions mentales de la créature étaient facilement explicables. Cela indiquait même l’unique traitement qui pouvait être entrepris. Chose encore plus importante, cela donnait à Conway des raisons de croire que le patient n’appartenait pas à une race particulièrement hostile et méchante, ainsi que sa conduite avait pu le laisser supposer.

Le seul ennui, c’était que sa nouvelle théorie pouvait, elle aussi, être entièrement fausse.

Son enthousiasme disparut et la cote de sa certitude descendit à quatre-vingt-cinq pour cent. Un autre problème se posait : il ne pourrait parler du traitement qu’il désirait entreprendre à personne. Le faire entraînerait la perte de son titre de professeur, et s’il insistait pour le poursuivre il serait irrémédiablement renvoyé de l’hôpital. Oui, ce à quoi il réfléchissait était aussi grave que cela.

Conway s’approcha à nouveau du patient et brancha le traducteur. Avant même d’ouvrir la bouche, il savait que la réaction serait telle que de prononcer ces paroles constituait un acte de pur sadisme, mais il devait tester sa théorie afin d’avoir une certitude.

— Ne vous inquiétez pas, mon jeune ami. Vous serez bientôt exactement comme avant …

La réaction fut si violente que le Dr. Prilicla, dont la faculté d’empathie lui faisait partager tout ce que ressentait le patient, dut quitter la salle.

Ce ne fut qu’à cet instant que Conway prit une véritable décision.

Durant les trois jours qui suivirent, Conway se rendit régulièrement auprès du malade. Il notait avec minutie la vitesse de progression des excroissances épaisses et fibreuses qui couvraient à présent les deux tiers de son corps. Il ne faisait aucun doute que le processus s’accélérait et que la tumeur devenait plus épaisse. Il envoya des prélèvements au service de pathologie, qui répondit que le patient semblait souffrir d’une forme nouvelle et particulièrement virulente de cancer de la peau. On lui demandait si un traitement chirurgical, ou des séances de bombardements de radiations, pouvaient être entrepris immédiatement. Conway répondit qu’à son avis, il était impossible d’employer l’une ou l’autre de ces méthodes sans mettre la vie du malade en danger.

La chose la plus constructive que fit Conway durant cette période, fut de donner l’ordre à ceux qui contacteraient le patient par l’entremise du traducteur, de ne pas essayer de le rassurer à tout prix. L’être avait déjà bien trop souffert de toutes leurs bonnes intentions stupides. Si Conway avait pu interdire l’accès de la salle à toute autre personne que Kursedd, Prilicla, et lui-même, il l’aurait fait.

Mais il passa la majeure partie de son temps à essayer de se convaincre qu’il n’était pas dans l’erreur.

Depuis le premier examen, Conway avait délibérément évité le professeur Mannon. Il ne tenait pas à parler de ce cas avec son vieil ami, parce que Mannon était trop intelligent pour se laisser berner. Et Conway ne pouvait dire la vérité à quiconque, pas même à lui. Il aurait voulu que le capitaine Summerfield fût trop occupé dans l’épave pour pouvoir arriver aux mêmes conclusions que lui, que O’Mara et Skempton eussent oublié jusqu’à son existence, et que Mannon se désintéressât complètement de cette affaire. Mais ses espoirs allaient être déçus. Le professeur Mannon l’attendait dans la salle lorsqu’il y fit sa seconde visite de la journée, le cinquième jour. Il demanda à Conway la permission de regarder le patient, puis, oubliant la politesse dont il avait fait preuve, pour la forme, il lui dit :

—  … Écoutez, jeune gringalet, j’en ai par-dessus la tête de vous voir fixer distraitement vos chaussures ou le plafond, chaque fois que je m’approche de vous. Si je n’étais pas dans la peau d’un Tralthien, je me sentirais vraiment offensé. Je sais, naturellement, que les professeurs nouvellement promus prennent leurs responsabilités exagérément à cœur durant les premières semaines, mais votre conduite récente a été franchement grossière.

Il tendit la main pour empêcher Conway de lui répondre.

— J’accepte vos excuses, et à présent parlons travail. J’ai discuté avec Prilicla et les types du service de pathologie. Ils m’ont appris que la tumeur couvre à présent tout le corps, qu’elle est opaque aux rayons X, et que l’on ne peut que faire des suppositions quant à l’emplacement et à l’activité des organes internes du patient. Vous ne pouvez ôter ce machin qui le recouvre sous anesthésie, parce que la paralysie des appendices pourrait également affecter le cœur. D’autre part, toute opération est impossible avec ces tentacules qui s’agitent en tous sens. Mais le malade s’affaiblit, par manque de nourriture, et on ne peut y remédier qu’en libérant sa bouche. Je sais aussi que pour compliquer encore les choses, les derniers prélèvements indiquent que cette tumeur s’étend également vers l’intérieur du corps, et que certaines indications laissent penser que si on ne l’opère pas rapidement, la bouche et la queue vont se souder. Pour former une énorme coquille de noix, est-ce bien ça ?

Conway hocha affirmativement la tête.

Mannon prit une profonde inspiration, avant de dire :

— Supposons que vous l’amputiez de ses membres avant d’ôter la tumeur qui recouvre la queue et la tête, puis que vous remplaciez le tégument par une matière synthétique … Une fois que le patient sera capable de se nourrir, il reprendra rapidement des forces suffisantes pour que l’on puisse répéter cette opération sur tout son corps. C’est un procédé expéditif, je l’admets. Mais en raison des circonstances, il me semble être le seul capable de sauver la vie du patient. Vous pourrez toujours, par la suite, greffer des membres artificiels à …

— Non ! dit violemment Conway.

À la façon dont Mannon le regardait, il sut qu’il avait pâli. Si sa théorie était juste, n’importe quelle opération s’avèrerait fatale pour le patient. Et si elle ne l’était pas et que le patient fût ce qu’il semblait être : une créature méchante, pervertie, et implacablement hostile, et que ses amis parviennent à le retrouver, alors …

D’une voix plus calme, Conway ajouta :

— Supposons qu’un de vos amis ayant une maladie de la peau soit récupéré par un toubib extra-galactique, et que ce dernier ne trouve rien de mieux à faire que de l’écorcher vivant après l’avoir amputé de ses bras et de ses jambes. S’il vous arrivait de retrouver votre ami, ou plutôt ce qu’il en resterait, vous ne seriez guère content. Même en tenant compte du fait que vous êtes civilisé, tolérant, et prêt à faire des concessions, ( qualités qui, entre parenthèses, ne semblent pas être celles de notre patient, ) j’ose suggérer que ça voudrait barder !

— Cette analogie est complètement absurde, et vous le savez. Il faut parfois courir des risques, Conway. Et le moment est venu de le faire.

— Non.

— Peut-être avez-vous une meilleure idée ?

Conway attendit un instant avant de répondre avec prudence :

— J’ai une idée, et je la mets en pratique. Mais je ne tiens pas à en parler pour l’instant. Si je réussis, vous serez le premier à en être informé, et si j’échoue, vous le saurez également. Tout le monde sera au courant.

Mannon haussa les épaules et se détourna. À la porte, il s’arrêta pour dire, sur un ton gêné :

— Quoi que vous fassiez, cela doit être complètement tiré par les cheveux pour que vous gardiez le secret à ce point. Enfin, souvenez-vous que si vous faites appel à moi et que les choses tournent mal, le blâme sera partagé …