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— Vraiment ?

Lang a hoché la tête pour annoncer :

— Une preuve.

— Parfait.

Je n’avais pas la moindre idée de ce dont il parlait.

— Ce truc fonctionne ? a-t-il demandé.

Il y a un fracas assourdissant au moment où je prends l’appareil.

— Oui, je crois. Ça ne vous ennuie pas ?

Je le repose avec un bruit sourd.

— Au contraire, a dit Lang. Je veux m’assurer que vous preniez bien tout parce que je suis certain que nous pourrons nous en servir. C’est important. Nous devrions garder ça comme une exclusivité pour les mémoires. Ça donnera un sacré coup de pouce pour le contrat d’adaptation. Washington s’apprête à me fournir une déclaration sous serment selon laquelle aucun ressortissant du Royaume-Uni n’a été impliqué directement dans la capture de ces quatre hommes au Pakistan, a-t-il ajouté en se penchant en avant pour souligner son propos.

— Vraiment ?

Vraiment ? Vraiment ? Je ne cesse de répéter ça comme un perroquet, et je tressaille chaque fois que j’entends cette obséquiosité dans ma voix. Le courtisan flagorneur. Le nègre effacé.

— Mais oui ! C’est le directeur de la CIA en personne qui fournira une déposition à La Haye pour certifier qu’il s’agissait d’une opération clandestine cent pour cent américaine, et, si cela ne suffit pas, il est prêt à laisser les agents qui ont effectivement conduit l’opération témoigner à huis clos.

Lang s’est carré dans son fauteuil et a bu un trait de cognac.

— Voilà qui devrait faire réfléchir Rycart. Comment va-t-il pouvoir maintenir une accusation pour crime de guerre, à présent ?

— Mais votre ordre de mission au ministère de la Défense…

— Il est authentique, a-t-il concédé avec un haussement d’épaules. C’est vrai, je ne peux pas nier que j’ai recommandé l’usage de la force aérienne d’intervention. Et il est tout aussi véridique que le gouvernement britannique ne peut nier que nos forces spéciales se trouvaient à Peshawar à l’époque de l’opération Tempête. Et nous ne pouvons pas nier non plus que ce sont nos services de renseignement qui ont pisté ces hommes jusqu’à l’endroit où ils ont été arrêtés. Mais il n’y a aucune preuve que nous ayons transmis cette information à la CIA.

Lang m’a souri. J’ai demandé :

— Mais nous l’avons fait ?

— Il n’y a aucune preuve que nous ayons transmis cette information à la CIA…

— Mais si nous l’avons fait, ce serait certainement considéré comme de l’aide et de la complicité…

— Mais il n’y a aucune preuve que nous ayons transmis cette information à la CIA.

Il faisait durer encore son sourire, quoique agrémenté à présent d’un imperceptible pli de concentration sur le front, comme un ténor qui ferait durer une note à la fin d’une aria difficile.

— Comment l’a-t-elle obtenue, alors ?

— C’est une question délicate. Pas par un canal officiel, c’est certain. Et tout aussi certain que ce n’est pas passé par moi.

Il y a eu un long silence. Le sourire s’est évanoui.

— Eh bien, a fini par demander Lang, qu’est-ce que vous en pensez ?

— Ça paraît un peu… (j’ai essayé de trouver une façon assez diplomatique de le dire)… technique.

— Ce qui signifie ?

Ma réponse sur la bande est tellement fuyante, tellement dégoulinante de circonlocutions nerveuses, qu’il y a de quoi éclater de rire.

— Eh bien, vous savez, vous admettez vous-même que vous vouliez que les forces d’intervention les arrêtent — sans aucun doute pour, vous savez, des raisons compréhensibles —, et même si elles n’ont pas accompli effectivement le travail elles-mêmes, le ministère de la Défense, si j’ai bien compris, n’a pas vraiment pu nier leur participation, sans doute parce que nos forces ont réellement été impliquées, même si — même si — elles n’étaient que garées au coin de la rue. Et, apparemment, les services de renseignements — vous savez — britanniques ont bien indiqué à la CIA où les trouver et les arrêter. Et ensuite, quand on les a torturés, vous n’avez pas condamné la méthode.

La dernière phrase a été prononcée très vite. Lang a répliqué froidement :

— Sid Kroll est très satisfait de l’engagement que lui a donné la CIA. Il pense que la procureur devra peut-être même renoncer à toute l’affaire.

— Eh bien, si Sid le dit…

— Mais merde ! s’est soudain exclamé Lang.

Et il a frappé le bord de la table. Sur l’enregistrement, on dirait une explosion. Le type des Services spéciaux qui somnolait sur la banquette a levé brusquement les yeux.

— Je ne regrette pas ce qui est arrivé à ces quatre types. Si on avait compté sur les Pakistanais, on n’aurait jamais pu mettre la main sur eux. Il fallait les arrêter pendant qu’on en avait l’occasion, et si nous les avions laissés filer, ils seraient passés dans la clandestinité, et la prochaine fois qu’on en aurait entendu parler, ça aurait été quand ils se seraient mis à tuer nos concitoyens.

— Vous ne regrettez vraiment pas ?

— Non.

— Pas même pour celui qui est mort pendant son interrogatoire.

— Oh, lui, a fait Lang avec dédain. Il avait un problème cardiaque — un problème cardiaque non diagnostiqué. Il aurait pu mourir à tout moment. Il aurait même pu mourir un matin en se levant de son lit.

Je n’ai rien dit. J’ai feint de prendre des notes.

— Écoutez, a dit Lang, je ne soutiens pas la torture, mais permettez-moi de vous préciser quelque chose. Primo, cela donne effectivement des résultats — j’ai vu les rapports. Secundo, avoir le pouvoir, au bout du compte, c’est s’efforcer d’opter pour le moindre mal, et, quand on y réfléchit, qu’est-ce que quelques minutes de souffrance pour une poignée d’individus par rapport à la mort — je dis bien la mort — de milliers de personnes ? Tertio, n’essayez pas de me faire croire que c’est quelque chose de propre à la guerre contre le terrorisme. La torture a toujours fait partie intégrante de la guerre tout court. La seule différence, c’est que dans le passé, il n’y avait pas ces putains de médias pour aller le crier sur les toits.

— Les hommes arrêtés au Pakistan clament qu’ils sont innocents, ai-je avancé.

— Bien sûr qu’ils clament leur innocence ! Qu’est-ce que vous voulez qu’ils disent d’autre ?

Lang m’a examiné attentivement, comme s’il me voyait vraiment pour la première fois.

— Je commence à croire que vous êtes trop naïf pour ce travail.

Je n’ai pas pu résister. J’ai répliqué :

— Contrairement à Mike McAra ?

— Mike ! s’est esclaffé Lang en secouant la tête. Mike avait un autre genre de naïveté.

L’appareil entamait une descente plus rapide à présent. La lune et les étoiles avaient disparu. Nous dévalions les nuages. Je sentais les changements de pression dans mes oreilles et j’ai dû me pincer le nez en déglutissant brusquement pour y remédier.

Amelia a parcouru l’allée centrale.

— Tout va bien ? a-t-elle demandé.

Elle semblait soucieuse. Elle avait dû entendre l’accès de colère de Lang. Tout le monde avait dû l’entendre.

— Nous travaillons juste un peu sur mes mémoires, a répondu Lang. Je lui racontais ce qui s’est passé pour l’opération Tempête.

— Vous enregistrez ? a insisté Amelia.

— Si ça ne pose pas de problème, ai-je répliqué.

— Vous devriez faire attention, a-t-elle dit en se tournant vers Lang. Rappelez-vous ce qu’a dit Sid Kroll.