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— Vous ne pensez pas sérieusement qu’il pourrait vous arriver la même chose ? a dit Lang.

— Ça m’a traversé l’esprit.

— Vous n’avez aucune crainte à avoir. Je peux vous le garantir.

J’imagine que mon scepticisme se voyait comme le nez au milieu de la figure.

— Oh, allez, vieux ! m’a-t-il pressé, ses doigts se serrant à nouveau sur ma chair. Il y a quatre policiers qui voyagent avec nous dans cet avion en ce moment même ! Pour qui nous prenez-vous ?

— Eh bien, justement, ai-je rétorqué. Quel genre de personne êtes-vous vraiment ?

Nous volions bas au-dessus des arbres. Les feux du Gulfstream balayaient de sombres vagues de feuillages. J’ai essayé de dégager mon bras.

— Pardon, ai-je insisté.

Lang m’a lâché à contrecœur et j’ai attaché ma ceinture. Il en a fait autant. Ensuite, il a regardé l’aérogare par le hublot puis s’est retourné vers moi, consterné, alors que nous plongions gracieusement vers la piste.

— Seigneur, vous en avez déjà parlé à quelqu’un, n’est-ce pas ?

Je me suis senti devenir écarlate.

— Non, ai-je protesté.

— Si.

— Non.

Sur l’enregistrement, ma voix est aussi faible que celle d’un enfant pris la main dans le sac.

Il s’est incliné à nouveau vers moi.

— À qui en avez-vous parlé ?

En contemplant la forêt sombre qui s’étendait au-delà de l’aéroport, là où n’importe quoi pouvait être tapi, j’ai eu le sentiment que c’était ma seule assurance-vie.

— Richard Rycart, ai-je lâché.

Cela a dû être un coup terrible pour lui. Il ne pouvait manquer de comprendre que c’était la fin de tout. Je le vois encore, immobile, semblable à ces immeubles autrefois chic mais désormais condamnés, quelques instants après que les charges de démolition ont explosé : pendant quelques secondes, la façade demeure curieusement intacte avant de commencer à s’effondrer lentement Lang était ainsi. Il m’a adressé un long regard vide, puis s’est laissé retomber dans son fauteuil.

L’avion s’est immobilisé devant l’aérogare. Les moteurs se sont tus.

À cet instant, enfin, j’ai fait quelque chose d’intelligent.

Tandis que Lang restait prostré, à contempler sa ruine, et qu’Amelia se précipitait pour découvrir ce que j’avais pu dire, j’ai eu la présence d’esprit d’éjecter le disque du mini-enregistreur et de le glisser dans ma poche. À sa place, j’ai inséré le disque vierge. Lang était trop sonné pour faire attention, et Amelia trop préoccupée par lui pour remarquer quoi que ce soit d’autre.

— Bon, a-t-elle décrété d’un ton ferme. C’est assez pour ce soir.

Elle a pris le verre vide de sa main placide et l’a remis au steward.

— Il faut que nous vous ramenions chez vous, Adam. Ruth attend à la grille.

Elle s’est penchée pour détacher la ceinture de l’ex-Premier ministre, puis a saisi la veste de son costume sur le dossier du fauteuil. Elle la lui a présentée de façon qu’il puisse se glisser dedans et l’a agitée légèrement, à la façon d’un torero avec une cape, mais sa voix avait une inflexion très tendre quand elle a appelé :

— Adam ?

Il s’est levé, comme en transe, pour lui obéir, son regard vide tourné vers le cockpit tandis qu’elle guidait ses bras dans les manches. Elle m’a jeté un regard meurtrier par-dessus l’épaule de Lang, et a articulé, furieusement et très distinctement, avec sa diction impeccable coutumière :

— Qu’est-ce que vous foutez ?

C’était une bonne question. Qu’est-ce que je foutais ? À l’avant de l’appareil, la porte s’est ouverte et trois des agents des Services spéciaux sont descendus. Un courant d’air froid a parcouru la cabine. Lang s’est dirigé vers la sortie, précédé de son quatrième garde du corps, Amelia juste derrière lui. J’ai rapidement fourré mon enregistreur et les photos dans ma sacoche et je les ai suivis. Le pilote était sorti du cockpit pour le saluer, et j’ai vu Lang redresser manifestement les épaules avant de s’avancer vers lui, main tendue.

— C’était parfait, a dit Lang d’un ton vague, comme toujours. C’est ma compagnie aérienne préférée.

Il a serré la main du pilote puis s’est penché derrière lui pour faire de même avec le copilote et le steward.

— Merci, merci beaucoup.

Ensuite il s’est tourné vers nous, toujours souriant de son sourire professionnel, mais celui-ci s’est effacé rapidement ; Lang paraissait accablé. Le garde du corps avait déjà descendu la moitié de l’escalier. Il ne restait plus qu’Amelia, moi, et les deux secrétaires qui attendions de sortir à sa suite. Je parvenais tout juste à reconnaître la silhouette de Ruth, qui se découpait contre la vitre illuminée de l’aérogare. Elle était trop éloignée pour que je puisse voir son expression.

— Ça ne vous ennuie pas de patienter un petit peu ? a-t-il demandé à Amelia. Et vous aussi ? a-t-il ajouté en se tournant vers moi. Il faut que je parle en privé à ma femme.

— Tout va bien, Adam ? s’est enquise Amelia.

Elle le connaissait depuis trop longtemps, et je suppose qu’elle l’aimait trop pour ne pas savoir que quelque chose n’allait pas du tout.

— Ça va aller, a assuré Lang.

Il lui a effleuré le coude, puis nous a adressé à tous, y compris moi et les membres d’équipage, un petit salut de la tête.

— Mesdames, messieurs, merci et bonsoir.

Il a franchi la porte et s’est arrêté en haut des marches pour regarder autour de lui tout en lissant ses cheveux. Amelia et moi le regardions depuis l’intérieur de l’avion. Il était exactement tel que je l’avais vu la première fois — cherchant encore, par habitude, un public avec lequel communiquer, bien que l’esplanade illuminée et venteuse devant l’aérogare fût déserte, à l’exception des gardes du corps qui attendaient en bas et d’un technicien au sol en bleu, qui travaillait tard et devait être pressé de rentrer chez lui.

Lang a dû lui aussi repérer Ruth à la vitre, car il a soudain levé la main en guise de salut, puis a descendu l’escalier avec grâce, pareil à un danseur. Il a mis le pied sur la piste et a parcouru une dizaine de mètres vers l’aérogare quand le technicien a appelé « Adam » en agitant le bras. La voix était anglaise, et Lang a dû reconnaître l’accent d’un compatriote, parce qu’il s’est tout à coup écarté de ses gardes du corps pour marcher vers l’homme, main tendue. Et c’est ma dernière image de Lang : celle d’un homme qui gardera éternellement la main tendue. C’est imprimé sur ma rétine — son ombre chaleureuse plaquée contre la boule de feu d’un blanc incandescent qui l’a totalement englouti ; puis il n’y a plus eu que les débris qui volaient partout, les gravillons acérés, le verre, la chaleur intense et le silence sous-marin de l’explosion.

SEIZE

« Si vous risquez d’être le moins du monde déçu de ne pas voir votre nom figurer sur le livre ou de ne pas être invité au cocktail donné pour sa sortie, vous serez un nègre très malheureux. »

Je n’ai rien vu d’autre que ce premier éclair de lumière éblouissante : j’avais trop de bouts de verre et de sang dans les yeux. La puissance de l’explosion nous a tous projetés en arrière. Amelia, je l’ai appris plus tard, s’est cogné la tête contre le bord d’un siège et a sombré dans l’inconscience tandis que je gisais dans l’allée, plongé dans l’obscurité et le silence durant ce qui aurait pu être des minutes ou des heures. Je n’ai ressenti aucune douleur, sauf lorsque l’une des deux secrétaires terrifiées m’a enfoncé son haut talon dans la main en cherchant désespérément à sortir de l’avion. Mais je ne pouvais rien voir, et j’ai dû attendre plusieurs heures avant d’entendre convenablement. Aujourd’hui encore, j’ai parfois des bourdonnements dans les oreilles. Cela me coupe du reste du monde, comme des interférences radio. On a fini par m’emporter et m’administrer une merveilleuse piqûre de morphine qui m’a explosé dans le crâne tel un feu d’artifice réconfortant. J’ai ensuite été évacué par hélicoptère avec tous les autres rescapés vers un hôpital près de Boston — un établissement très proche en fait de l’endroit où habitait Emmett.