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— Aucune idée. Tout ce que je peux dire, c’est que, immédiatement après la mort de Mike, ils ont demandé expressément que le manuscrit ne soit pas divulgué tant qu’ils n’auraient pas eu l’occasion de le passer au crible.

— Et ils l’ont fait ?

— Impossible à dire.

J’ai repensé à ma conversation avec Rycart. Que lui avait confié McAra au téléphone déjà, juste avant de mourir ? « La clé de tout se trouve dans l’autobiographie de Lang… tout est dans le début. »

Cela signifiait-il que leur conversation avait été interceptée ?

Je sentais que quelque chose d’important venait de changer, qu’une partie de mon système solaire venait de modifier légèrement son orbite, mais je n’arrivais pas à déterminer précisément d’où cela venait. Il fallait que je trouve un endroit plus calme et que je prenne le temps de réfléchir. Cependant, j’avais conscience, déjà, que la sonorité de la fête n’était plus la même. La clameur des conversations diminuait. Les chut ! se multipliaient. Un homme réclama avec emphase « Silence ! » et je me suis retourné. Sur le côté de la salle, face aux grandes fenêtres et non loin de l’endroit où nous nous tenions, Ruth Lang attendait patiemment sur une estrade, un micro à la main.

— Merci, a-t-elle déclaré. Merci beaucoup. Bonsoir à vous tous.

Elle s’est interrompue et un grand silence s’est répandu sur les trois cents personnes présentes. Elle a repris sa respiration. Elle avait la voix enrouée.

— Adam me manque tout le temps. Mais il ne m’a jamais autant manqué que ce soir. Pas seulement parce que nous sommes tous réunis ici pour la sortie de ce livre merveilleux, et qu’il devrait être parmi nous pour partager la joie de l’histoire de sa vie avec nous, mais parce qu’il était si fort pour les discours alors que je suis lamentable à cet exercice.

J’ai été surpris par le professionnalisme de son éloquence, par la façon dont elle avait amené la tension émotionnelle pour la dégonfler d’une boutade. Il y eut des rires dans l’assemblée. Elle paraissait bien plus sûre d’elle en public que dans mon souvenir, comme si l’absence de Lang lui avait donné la place de s’épanouir.

— Par conséquent, a-t-elle repris, vous serez soulagés d’apprendre que je ne vais pas me lancer dans un discours. Je voudrais simplement remercier quelques personnes. Je voudrais d’abord remercier Marty Rhinehart et John Maddox, pour être non seulement des éditeurs formidables, mais aussi des amis précieux. Je voudrais remercier Sidney Kroll pour son esprit et ses conseils avisés. Et au cas où ceci donnerait l’impression que les seules personnes impliquées dans la publication des mémoires d’un Premier ministre britannique sont américaines, je voudrais aussi remercier tout spécialement Mike McAra, qui, pour des raisons tragiques, ne peut pas non plus être avec nous. Mike, tu es dans nos pensées.

La grande salle a résonné d’un roulement de « Bravo ! ».

— Et maintenant, a poursuivi Ruth, puis-je proposer un toast en l’honneur de celui que nous devons réellement remercier ?

Elle a levé son verre de jus d’orange macrobiotique ou je ne sais pas ce que c’était.

— À la mémoire d’un grand homme et d’un grand patriote, d’un père formidable et d’un mari merveilleux — à Adam Lang !

— À Adam Lang ! avons-nous tous tonné à l’unisson, puis nous avons applaudi, et continué d’applaudir, faisant encore monter l’intensité sonore, pendant que Ruth saluait gracieusement tous les coins de la salle, y compris le nôtre. C’est alors qu’elle m’a vu, a cillé puis s’est reprise et a souri en levant son verre vers moi en guise de salut.

Elle a quitté rapidement l’estrade.

— La veuve joyeuse, a sifflé Amelia. La mort lui va bien, vous ne trouvez pas ? Elle s’épanouit de jour en jour.

— J’ai l’impression qu’elle vient par ici, ai-je répliqué.

— Merde, a lâché Amelia en vidant son verre. Dans ce cas, je me tire d’ici. Ça vous dirait, de m’emmener dîner quelque part ?

— Amelia Bly, me proposeriez-vous de sortir avec vous ?

— Je vous retrouve dehors dans dix minutes. Freddy ! a-t-elle lancé, ravie de vous voir.

Alors qu’Amelia allait saluer quelqu’un d’autre, la foule devant moi a semblé s’écarter, et Ruth est apparue, très différente de la dernière fois où je l’avais vue : les cheveux brillants, la peau lissée, amincie par le chagrin et vêtue d’une tenue sur mesure noire et soyeuse. Sid Kroll la suivait de près. Elle a pris mes mains dans les siennes et a fait mine de m’embrasser, sans me toucher réellement mais en frôlant chaque joue de sa masse de cheveux courts.

— Bonjour Ruth. Bonjour Sid.

J’ai salué l’avocat d’un signe de tête. Il m’a fait un clin d’œil.

— On m’a assuré que vous ne pouviez pas supporter ce genre de manifestations, a-t-elle dit, me tenant toujours les mains et me fixant de ses yeux noirs et brillants, sinon je vous aurais invité. Vous avez eu mon mot ?

— Oui, merci.

— Mais vous n’êtes pas passé me voir !

— Je ne savais pas si vous vous montriez simplement polie.

— Moi, polie ! a-t-elle protesté en me secouant les mains avec un air de reproche. Il faut que vous veniez me voir.

Puis elle a fait cette chose que me font toujours les gens importants dans les cocktails : elle a regardé par-dessus mon épaule. Et j’ai vu, presque instantanément et sans erreur possible, une lueur d’inquiétude passer dans ses yeux, suivie aussitôt par un mouvement de tête presque imperceptible. J’ai libéré mes mains et me suis retourné pour voir Paul Emmett. Il était à moins de deux mètres de moi.

— Bonjour, a-t-il dit. Je crois que nous nous sommes déjà rencontrés.

J’ai fait volte-face vers Ruth. J’ai essayé de parler, mais aucun mot n’est sorti de ma bouche.

— Ah, ai-je proféré. Ah…

— Paul a été mon directeur d’études quand j’ai eu ma bourse Fulbright à Harvard, a-t-elle dit d’une voix calme. Il faut qu’on parle, vous et moi.

— Ah…

Je me suis écarté d’eux tous à reculons. Je suis rentré dans un homme qui a protégé son verre et m’a prié en riant de faire attention. Ruth disait quelque chose, l’air grave, et Kroll aussi, mais j’avais les oreilles qui bourdonnaient et je ne pouvais les entendre. J’ai vu Amelia qui me dévisageait et j’ai agité faiblement les mains, puis j’ai fui la grande salle et traversé le hall pour déboucher dans la splendeur impériale et creuse de Whitehall.

* * *

Lorsque je me suis retrouvé dehors, il paraissait évident qu’une nouvelle bombe venait d’exploser. J’entendais le hurlement des sirènes au loin, et une colonne de fumée s’élevant de quelque part derrière la National Gallery faisait déjà paraître celle de Nelson ridicule. Je me suis mis à courir de manière désordonnée vers Trafalgar Square et me suis précipité devant un couple outré sur le taxi qu’ils s’apprêtaient à prendre. Les issues se fermaient dans tout le centre de Londres comme sous l’effet d’un incendie de forêt galopant. Nous nous sommes engagés dans une rue à sens unique pour trouver la police en train d’en bloquer l’autre bout à grand renfort d’adhésif jaune. Le chauffeur a aussitôt passé la marche arrière, me projetant en avant sur le bord de mon siège. Je suis resté dans cette position pendant tout le reste du trajet, la main accrochée à la poignée au-dessus de la portière, tandis que nous tournions et virions par les petites rues en direction du nord. Lorsque nous sommes arrivés devant mon immeuble, je lui ai réglé le double de sa course.

« La clé de tout se trouve dans l’autobiographie de Lang… tout est dans le début. »