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MOI : Est-il vrai que vous ayez eu une grave dispute avec lui ? Juste avant sa mort ?

LANG : Mike a proféré des accusations absurdes. Je pouvais difficilement faire comme s’il n’avait rien dit.

MOI : Puis-je vous demander quelle sorte d’accusations ?

LANG : Je préfère ne pas les répéter.

MOI : Cela avait-il un rapport avec la CIA ?

LANG : Mais vous le savez sûrement déjà, puisque vous êtes allé voir Paul Emmett ?

[75 secondes de silence]

LANG : Je veux que vous compreniez que tout ce que j’ai fait, que ce soit en tant que chef du parti ou comme Premier ministre — absolument tout —, je l’ai fait par conviction, parce que je croyais que c’était juste.

MOI : [Inaudible]

LANG : Emmett prétend que vous lui avez montré des photos, c’est vrai ? Je peux les voir ?

Puis il n’y a rien d’autre que le bruit des réacteurs pendant qu’il examine les photos, et j’avance jusqu’au moment où il s’attarde sur les filles, à ce pique-nique au bord de l’eau. Il semble d’une tristesse indicible.

— Je me souviens d’elle. Et d’elle. Elle m’a écrit une fois, quand j’étais Premier ministre. Ruth n’était pas contente. Ô Seigneur, Ruth…

O Seigneur, Ruth…

O Seigneur, Ruth…

Je l’écoute et le réécoute. Il est évident à sa voix, maintenant que je l’ai suffisamment décryptée, qu’en cet instant, alors qu’il pense à sa femme, toute son inquiétude va à elle. J’imagine qu’elle avait dû l’appeler tard dans l’après-midi, complètement affolée parce que j’étais allé voir Emmett et lui avais montré des photos. Il fallait qu’elle lui parle en personne le plus vite possible — toute l’histoire menaçait d’être révélée —, d’où la panique pour trouver un avion. Dieu seul sait si elle se doutait de ce qui attendait son mari sur la piste : je ne le pense pas, même si l’on n’a jamais vraiment élucidé les manquements aux règles de sécurité qui ont permis au drame de se produire. Mais c’est la façon dont Lang ne finit pas sa phrase que je trouve émouvante. « Qu’as-tu fait ? » est sans doute ce qu’il avait l’intention d’ajouter. « Ô Seigneur, Ruth, qu’as-tu fait ? » C’est, me semble-t-il, à cet instant précis que les jours de suspicion se cristallisent brusquement dans son esprit, et qu’il prend conscience que les « accusations absurdes » de McAra étaient certainement fondées en fin de compte, et que la femme qu’il connaît depuis trente ans n’est pas celle qu’il croyait.

Pas étonnant qu’elle ait proposé mon nom pour terminer l’autobiographie. Elle avait beaucoup de choses à cacher et elle a dû penser avec certitude que l’auteur des mémoires un peu flous de Christy Costello serait la dernière personne sur terre à pouvoir les découvrir.

Je voudrais écrire davantage, mais, en regardant la pendule, je crains malheureusement qu’il ne faille se contenter de ça, du moins pour le moment. Comme vous vous en doutez, je préfère ne pas traîner trop longtemps au même endroit. Je sens déjà que des étrangers commencent à s’intéresser à moi d’un peu trop près. Mon plan est d’emballer un exemplaire de ce manuscrit et de le remettre à Kate. Je devrai le glisser dans sa boîte dans une heure environ, avant que quiconque ne soit réveillé, accompagné d’une lettre lui demandant de veiller sur ce paquet mais de ne pas l’ouvrir. Elle ne devra le lire que si elle n’a aucune nouvelle de moi dans un mois, ou si elle apprend qu’il m’est arrivé quelque chose, et elle pourra alors décider de la meilleure façon de le faire publier. Elle pensera que je sombre dans le mélo, et elle aura raison. Mais je lui fais confiance. Elle le fera. S’il y a quelqu’un d’assez têtu et prêt à remuer ciel et terre pour que cette chose soit imprimée, c’est bien Kate.

Où pourrais-je aller maintenant ? Je n’arrive pas à me décider. Je sais ce que j’aimerais vraiment faire. Cela va peut-être vous surprendre, mais je voudrais retourner à Martha’s Vineyard. C’est l’été en ce moment, là-bas, et, curieusement, cela me plairait de voir ces chênes de Bannister en feuilles et de regarder les bateaux de plaisance quitter Edgartown toutes voiles dehors pour se lancer à l’assaut de Nantucket Sound. J’aimerais retourner sur cette plage de Lambert’s Cove et sentir le sable chaud sous mes pieds nus, regarder les familles jouer dans les vagues et étendre mes membres dans la chaleur du soleil lumineux de Nouvelle-Angleterre.

Ce qui me place devant un dilemme que vous saurez sans doute apprécier, maintenant que vous avez atteint le dernier paragraphe de ce livre. Suis-je censé me réjouir de ce que vous lisiez ceci ou non ? Je suis heureux, sans doute, de pouvoir enfin m’exprimer en mon nom et avec ma propre voix. Et déçu, cela va sans dire, parce que cela signifie vraisemblablement que je suis mort. Mais, comme le disait toujours ma mère, j’ai bien peur que dans cette vie, on ne puisse pas tout avoir.

REMERCIEMENTS

Je voudrais remercier Andrew Crofts pour m’avoir permis d’utiliser des citations de son excellent manuel, Ghostwriting (A. & C. Black, 2004). Deux autres nègres à succès, Adam Sisman et Luke Jennings, ont eu la bonté de partager leur expérience avec moi. Philippe Sands, avocat de la Couronne, m’a gratifié de ses conseils généreux concernant le droit international. Rose Styron a consacré plusieurs jours à me faire visiter Martha’s Vineyard : je n’aurais pu trouver guide plus aimable et mieux informé. Mon éditeur américain, David Rosenthal, et mon agent aux États-Unis, Michael Carlisle, se sont montrés encore plus efficaces et encourageants que d’habitude, et ils sont l’un et l’autre aussi éloignés de leurs pairs dans ce livre qu’il est possible de l’être.

Robert HARRIS
Cap Bénat, le 26 juillet 2007