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— En page de titre ?

— Je t’en prie ! Dans les remerciements. Mais ça n’échappera pas à la presse spécialisée. J’y veillerai. Même si, pour le moment, ta participation reste strictement confidentielle. Ils insistent particulièrement là-dessus.

Je l’ai entendu ricaner dans le combiné et je l’ai imaginé en train de se renverser en arrière dans son fauteuil.

— Oh oui, c’est tout un nouveau monde qui s’ouvre devant toi, mon garçon !

Ce en quoi, il avait raison.

TROIS

« Si vous êtes affreusement timide et si vous avez du mal à installer un climat de détente propice à la confidence, alors vous n’êtes peut-être pas fait pour le travail de nègre. »

Le vol 109 d’American Airlines devait quitter Heathrow à dix heures trente le dimanche matin. Rhinehart m’a fait envoyer par coursier, le samedi après-midi, un aller simple en classe affaires, ainsi qu’un contrat et l’accord de confidentialité. J’ai dû signer les deux pendant que le coursier attendait. J’ai fait confiance à Rick pour avoir vérifié toutes les clauses du contrat et n’ai même pas pris la peine de le lire ; quant à l’engagement de confidentialité, je l’ai parcouru rapidement dans l’entrée. Avec le recul, c’est presque amusant : « Je considérerai toutes les informations confidentielles comme étant strictement privées et confidentielles, et prendrai toutes les mesures nécessaires pour empêcher qu’elles ne soient divulguées ou transmises à un quelconque tiers ou autorité compétente… Je n’utiliserai ni ne divulguerai ni ne permettrai la divulgation par quiconque des informations confidentielles dans l’intérêt d’un tiers… Ni moi ni les autorités compétentes ne pourrons en aucune façon reproduire ou céder tout ou partie des informations confidentielles sans accord préalable du propriétaire… » J’ai signé sans la moindre hésitation.

J’ai toujours aimé pouvoir disparaître rapidement. Il ne m’a jamais fallu plus de cinq minutes pour mettre ma vie londonienne en veilleuse. Toutes mes factures étaient réglées par prélèvement automatique. Je n’avais aucun abonnement à suspendre — ni laitier ni livreur de journaux à prévenir. La femme de ménage, que je ne voyais d’ailleurs pratiquement jamais, passait deux fois par semaine et en profitait pour monter le courrier. J’avais débarrassé mon bureau. Je n’avais pas de rendez-vous prévus. Je ne connaissais mes voisins ni d’Ève ni d’Adam. Kate semblait partie pour de bon. La plupart de mes amis avaient depuis longtemps intégré le royaume lointain de la vie de famille d’où, si j’en crois mon expérience, aucun voyageur ne revient jamais. Mes parents étaient morts. Je n’avais pas d’enfants. J’aurais très bien pu me faire disparaître : pour ce que le reste du monde en aurait su, ma vie aurait suivi son cours normal. J’ai fourré des affaires pour une semaine, un pull et une paire de chaussures dans une valise. Puis j’ai mis mon ordinateur portable et mon enregistreur miniature dans ma sacoche. J’utiliserais les services de blanchisserie de l’hôtel. J’achèterais ce qui me manquerait sur place.

J’ai passé le reste de la journée et toute la soirée confiné dans mon bureau, à lire les livres que j’avais achetés sur Adam Lang et à préparer une liste de questions. Je ne voudrais pas trop rentrer dans le délire Docteur Jekyll et Mister Hyde, mais, à mesure que le jour déclinait — tandis que les lumières s’allumaient dans les grandes tours de l’autre côté de la gare de triage et que des étoiles clignotantes vertes, blanches et rouges filaient vers l’aéroport —, je commençais à entrer dans la peau d’Adam Lang. Il avait quelques années de plus que moi, à part ça, nous avions des origines similaires. Ces analogies ne m’avaient pas frappé auparavant : enfant unique, né dans les Midlands, scolarisé au lycée local, diplômé de Cambridge, passionné de théâtre universitaire, et qui ne s’intéressait nullement à la politique étudiante.

Je suis revenu vers les photos : « La performance désopilante de Lang en poulet responsable d’un élevage d’humains en batterie dans le spectacle du Footlights de Cambridge en 1972 lui valut une ovation. » Je nous imaginais tous les deux en train de draguer les mêmes filles, de filer présenter une mauvaise pièce au Festival « off » d’Édimbourg à l’arrière d’une vieille camionnette Volkswagen, de crécher à plusieurs dans un meublé, de nous défoncer. Cependant, d’un point de vue métaphorique, j’en étais, d’une certaine façon, resté au stade du poulet alors que lui avait fini par devenir Premier ministre. C’est à ce moment-là que mes capacités naturelles d’empathie m’ont fait défaut, car il ne semblait rien y avoir dans ses vingt-cinq premières années d’existence pour expliquer la suite. J’aurais bien le temps, me suis-je raisonné, de trouver sa voix.

Cette nuit-là, j’ai fermé la porte à double tour avant d’aller me coucher et j’ai rêvé que je suivais Adam Lang sous la pluie, dans un labyrinthe de rues en briques rouges. Puis je montais dans un taxi ; le chauffeur se retournait pour me demander où je voulais aller, et il avait le visage souriant de Lang.

* * *

Le lendemain matin, Heathrow évoquait un de ces mauvais films de science-fiction situés dans un futur proche, où les forces de sécurité ont pris le contrôle de l’État. Deux véhicules blindés de transport de troupes étaient garés devant le terminal. Une douzaine de types armés de fusils-mitrailleurs à la Rambo, les cheveux mal coupés, patrouillaient à l’intérieur. De longues files de passagers faisaient la queue pour être fouillés et passés aux rayons X, leurs souliers dans une main, et dans l’autre une poche en plastique transparent contenant leurs pitoyables affaires de toilette. On nous vend le voyage comme étant la liberté, mais nous sommes à peu près aussi libres que des rats de laboratoire. Alors que je piétinais en chaussettes, je me suis dit que c’était de cette façon qu’ils allaient gérer le prochain holocauste : il leur suffirait de nous donner des billets d’avion et nous ferions exactement ce que l’on nous dirait de faire.

Une fois franchis les services de sécurité, j’ai traversé le hall parfumé des boutiques hors taxes pour gagner le salon d’American Airlines, ne cherchant qu’un distributeur de café et les pages sportives du journal du dimanche. Une chaîne satellite d’informations marmonnait dans un coin. Personne n’y prêtait attention. Je me suis servi un double espresso et je m’apprêtais à lire les résultats de football dans un tabloïd quand j’ai entendu le nom « Adam Lang ». Trois jours plus tôt, comme tout le monde dans la salle d’attente, je n’y aurais pas prêté attention, mais à présent, on aurait pu aussi bien appeler mon nom. Je suis allé me planter devant l’écran pour essayer de comprendre de quoi il était question.

Au départ, ça ne paraissait pas très important. Rien de nouveau sous le soleil. Quatre citoyens britanniques avaient été interpellés au Pakistan quelques années auparavant — « enlevés par la CIA » d’après leur avocat — puis avaient été conduits dans divers centres secrets et torturés. L’un d’eux était mort pendant l’interrogatoire, les trois autres avaient été emprisonnés à Guantanamo. Mais l’histoire prenait apparemment un nouveau tour : un journal du dimanche avait obtenu un document du ministère de la Défense qui semblait suggérer que Lang avait ordonné à une unité du SAS de s’emparer de ces hommes et de les remettre à la CIA. Suivaient diverses déclarations indignées, de la part d’un représentant des droits de l’homme, puis d’un porte-parole du gouvernement pakistanais. Des images d’archives montraient Lang encore Premier ministre arborant une couronne de fleurs autour du cou lors d’une visite au Pakistan. On citait ensuite un porte-parole de Lang qui affirmait que l’ancien Premier ministre ne savait rien de ce rapport et se refusait à tout commentaire. Le gouvernement britannique n’avait cessé de rejeter toutes les demandes d’enquête. Le magazine est ensuite passé à la météo et c’en a été terminé d’Adam Lang.