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PAUL QUINN, DÉPUTÉ DU BRONX, DÉNONCE LES RETARDS APPORTÉS DANS L’ASSAINISSEMENT DES TAUDIS.

LE MAIRE QUINN SOUHAITE UNE RÉFORME DE LA CHARTE.

LE SÉNATEUR QUINN CANDIDAT À LA MAISON-BLANCHE.

PAUL QUINN MÈNE LES NÉO-DÉMOCRATES VERS UNE VICTOIRE ÉCRASANTE DANS TOUTE L’UNION.

PREMIER MANDAT DU PRÉSIDENT QUINN : APPROBATION UNANIME.

Il parlait toujours, sans cesser de sourire, maintenant le contact de nos regards, me laissant empalé. Il m’interrogeait sur mon métier, cherchait à percer mes opinions politiques, réaffirmait les siennes.

— On dit que vous avez la plus grosse cote d’amour parmi les extrapolateurs du Nord-Est… Cependant, je donnerais ma main à couper que pas même vous n’auriez pu prévoir l’assassinat de Gottfried… Pas besoin d’être grand prophète pour plaindre ce pauvre DiLaurenzio – quand on songe qu’il prétend régenter la mairie de New York à pareille époque… Cette ville est ingouvernable, il faut l’avoir en souplesse, savoir la flatter… Êtes-vous aussi écœuré que je le suis par cette Loi de Voisinage qui ne trompe personne ?… Que pensez-vous du projet de fusion à l’usine Continental Edison de la 23e Rue ?… J’aurais voulu que vous voyiez tous ces graphiques de production qu’on a trouvés dans le coffre de Gottfried…

Il montrait une grande habileté à insister sur les lieux communs de la philosophie politique. Mais il devait savoir que je partageais la plupart de ses opinions, car s’il était si bien renseigné à mon sujet, il n’ignorait certainement point que je figurais dans les rangs néo-démocrates, que j’avais établi des prévisions pour le Manifeste du XXIe siècle et son pendant, le fameux opuscule Vers une humanité plus vraie, que je pensais comme lui à propos des priorités, des réformes et de la folie des Puritains quand ils prétendaient faire passer des lois sur les mœurs. Plus il discourait, plus je me sentais attiré vers cet homme.

Je me mis à faire des comparaisons frappantes entre Quinn et quelques grandes figures politiques d’autrefois – Franklin Delano Roosevelt, Rockefeller, Johnson, le premier Kennedy. Tous possédaient ce don chaleureux, cette merveilleuse duplicité qui les rendait capables d’observer les rites de la séduction et, parallèlement, de prouver à leurs proies les plus intelligentes que personne n’était dupe : c’est une simple formalité, nous le savons vous et moi, mais ne pensez-vous pas que je m’en tire à la perfection ? Même à cette époque, en ce premier soir de 1995, quand il n’était qu’un jeune député totalement ignoré à l’extérieur de sa circonscription, je l’ai vu prendre rang dans l’histoire politique du pays, au côté de Roosevelt et John Fitzgerald Kennedy. Plus tard, je fis des rapprochements beaucoup plus grandioses entre Paul Quinn et les imitateurs de Napoléon, Alexandre, voire Jésus, et si de tels propos vous font ricaner, veuillez-vous souvenir que je suis maître dans l’art de la stochastique, et que ma vision est plus claire que la vôtre.

Cette fois-là, Quinn ne me souffla mot de ses projets pour accéder à un poste plus élevé. Comme nous rejoignions les autres invités, il précisa seulement :

— Il est encore trop tôt pour que je forme une équipe. Mais quand je m’y mettrai, j’aurai besoin de vous. Haig gardera le contact.

— Alors, que penses-tu de lui ? me demandait Mardokian cinq minutes plus tard.

— Il sera maire de New York en 98.

— Et après ?

— Si tu veux en savoir davantage, mon vieux, téléphone à mon bureau et prends rendez-vous. Pour cinquante dollars l’heure, je te montrerai la boule de cristal.

Il me décocha une petite bourrade et tourna les talons en riant.

Peu après ce bref dialogue, je partageais une cigarette avec la belle aux cheveux d’or qui s’appelait Automne. Automne Hawkes, tel était son nom – rien de moins que la nouvelle soprano (follement acclamée) du Metropolitan. Nous eûmes vite fait de négocier un arrangement – uniquement par les yeux, langage muet du corps – concernant le restant de notre nuit. Elle m’apprit qu’elle accompagnait Victor Schott – jeune géant du type prussien anguleux, sanglé dans une tunique noire de coupe militaire extraordinairement médaillée – que ledit Victor devait lui faire connaître le septième ciel cet hiver, mais qu’il semblait avoir préféré suivre chez lui le conseiller Holbrecht, laissant ainsi la belle Automne chercher son bonheur ailleurs. Et, ma foi, elle le cherchait. Cependant, je ne me leurrais point sur ses préférences véritables, car je vis les regards affamés qu’elle lançait à Paul Quinn, et ses prunelles brillaient. Mais Quinn était ici pour affaires : aucune femme ne pouvait l’en détourner (ni aucun homme !).

— Je me demande s’il chante ? murmura-t-elle d’un ton plein de sous-entendus.

— Songeriez-vous à essayer quelques duos avec lui ?

— Yseult et Tristan. Turandot et Calaf. Aida et Radamès.

— Vous admirez ses idées politiques ?

— Je le pourrais, si je savais en quoi elles consistent.

— Il est libéral et sain d’esprit, précisai-je.

— Alors, j’admire ses idées. Je pense aussi qu’il est extraordinairement viril et splendidement beau.

— L’on prétend que les politiciens en puissance font de piètres amants.

Elle haussa les épaules.

— Ces témoignages par on-dit ne m’impressionnent guère. Il me suffit de regarder un homme… une seule fois… pour savoir immédiatement s’il est apte.

— Mille grâces ! plaisantai-je.

— Trêve de compliments. Je me trompe aussi, bien sûr, ajouta-t-elle avec une douceur venimeuse… Pas toujours, mais cela peut arriver.

— Il en va de même pour moi.

— Au sujet des femmes ?

— Au sujet de tout. Je possède une double vue, vous comprenez ? Pour moi, l’avenir est comme un livre ouvert.

— Vous semblez très sérieux.

— Je le suis. C’est grâce à cela que je gagne ma vie. Les extrapolations.

— Et que voyez-vous dans mon avenir ? demanda-t-elle, mi-craintive, mi-fanfaronne.

— Dans l’immédiat, ou à long terme ?

— Les deux.

— Dans l’immédiat, une nuit de folle débauche et un paisible retour à pied sous un léger crachin. À plus longue échéance, triomphes continuels, gloire, villa aux Baléares, deux divorces et le bonheur pour finir.

— Somme toute, vous seriez un de ces Bohémiens qui disent la bonne aventure ?

Je secouai la tête :

— Rien de plus qu’un technicien de la stochastique, Votre Seigneurie.

Elle jeta un coup d’œil en direction de Quinn.

— Et pour lui, que voyez-vous ?

— Lui ? Il sera Président. C’est le moins que je puisse dire.

7

Au matin, quand nous sortîmes tranquillement bras dessus, bras dessous pour traverser les taillis embrumés de la Zone de Sécurité Six, un épais crachin tombait. Maigre triomphe pour moi – car je subis comme tout le monde les caprices du temps. Automne me quitta pour ses répétitions, l’été prit fin, Sundara revint d’Oregon heureuse et à bout de forces, de nouveaux clients accaparèrent mes pensées moyennant des honoraires coquets – et la vie continua.

Il n’y eut pas de suite immédiate à ce premier entretien avec Paul Quinn, mais je n’en attendais pas. C’était justement l’époque où la vie politique de New York bouillonnait. Quelques semaines plus tôt, un solliciteur mécontent s’était approché du maire Gottfried présent à un banquet du Parti Libéral. Ôtant le pamplemousse de l’assiette posée devant le maire stupéfait, il avait collé à sa place un gramme d’ascenseur, le nouvel explosif français qu’utilisaient les différentes factions politiques. Anéantissement de Son Honneur, du meurtrier, de quatre personnalités du comté et d’un serveur, dans une apothéose de flammes. Ce qui créa une vacance du pouvoir, car chacun posait en principe que Gottfried le Redoutable serait élu pour quatre ou cinq autres mandats – et tout à coup, cet homme invincible n’était plus, comme si Dieu lui-même cessait d’exister un dimanche matin, au moment où le cardinal va distribuer le pain et le vin. Le nouveau maire, l’ex-conseiller municipal DiLaurenzio, était un médiocre : en bon dictateur, Gottfried aimait s’entourer de pâles figurants tout disposés à lui obéir.