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Gwen garda la tête baissée jusqu’à ce qu’elle eût atteint l’entrée du passage dérobé. Elle franchit une douzaine au moins d’accès verrouillés et de sauvegardes de toutes sortes avant de se sentir assez en sécurité pour ôter son manteau en poussant un gros soupir de soulagement. Qui donc était ce Buthol ? Pourquoi ses concitoyens se répandaient-ils en louanges sur Drakon alors qu’ils se posaient des questions sur elle-même ? À quoi donc Drakon œuvrait-il ? À faire sa propre propagande aux yeux des citoyens ?

Il était tard. Elle était lasse et avait besoin de réfléchir, de se donner le temps de digérer ce que lui avait appris Malin, de laisser son subconscient ruminer leur entrevue.

La présidente Iceni alla se coucher.

Le lendemain matin, curieusement en proie à la migraine d’une gueule de bois alors qu’elle n’avait pas bu la veille au soir, de sorte qu’elle avait l’impression d’être punie pour une faute qu’elle n’avait pas commise et dont elle n’avait donc tiré aucun plaisir, elle prit un lait malté pour faire passer des analgésiques.

Elle s’assit à son bureau en se demandant par où commencer. Le cuirassé. Le dernier rapport de la kommodore Marphissa lui était parvenu quarante-huit heures plus tôt. Certes, elle restait constamment informée sur son statut, mais…

Sur le point d’envoyer à la kommodore un message vertement rédigé, elle se retint juste à temps. Marphissa n’avait rien fait pour mériter une telle engueulade.

Mais cet homme, ce Buthol dont elle avait entendu parler la veille ?

Une rapide recherche sur son terminal d’information fit apparaître une liste d’articles écrits par ledit Buthol, ainsi que quelques billets d’opinion et autres éditoriaux.

Buthol exigeait des élections immédiates. Il soupçonnait la présidente de détourner des fonds et demandait la publication intégrale des revenus fiscaux. Il affirmait que seule une véritable démocratie (une personne, une voix) où chaque décision importante serait prise par le peuple en son entier plutôt que par ses représentants servirait les intérêts de tous.

Les bulletins d’information s’accordaient tous à dire qu’il n’avait encore que peu de partisans mais que ses discours et ses essais retenaient de plus en plus l’attention.

Iceni lut tout cela en sentant la moutarde lui monter au nez. Pour qui se prend-il ? M’accuser de corruption, moi ? Ou bien aspirerait-il à devenir dictateur parce que je n’accorde pas le pouvoir à la populace dès qu’il me le demande ?

« Togo ! Ici tout de suite ! »

Togo rappliqua à une vitesse laissant entendre que le ton d’Iceni avait été spécialement impérieux. « Oui, madame la présidente.

— Pourquoi diable ne m’as-tu jamais parlé de ce Kater Buthol ? »

Togo cligna des paupières puis consulta le lecteur. « Oh, oui ! Il a quelques fidèles. On le surveille.

— Il attire beaucoup l’attention. Et m’attaque ad hominem !

— Madame la présidente, vous m’avez ordonné de laisser les élections aux postes subalternes se dérouler sans intervention extérieure…

— Sauf si les propos ou les agissements d’un quidam représentaient une menace. » Elle le fusilla des yeux. « Ce Kater Buthol n’a enfreint aucune loi ? »

Togo secoua la tête. « Il s’est toujours prudemment astreint à rester dans la légalité, mais sur le fil du rasoir. Vous pourriez ordonner son arrestation, mais les charges retenues contre lui ne reposeraient que sur des preuves forgées de toutes pièces. Je pourrais vous les fournir dès ce soir.

— Ça ne nous avancera pas ! Attirer davantage l’attention du public sur ce bouffon en en faisant une espèce de martyr est bien la dernière chose dont j’aie besoin. » Elle se rejeta en arrière avec un geste écœuré. « Ce Buthol est très exactement le genre de problème dont je peux me passer pour l’instant. Trouve une solution ! Ce sera tout.

— À vos ordres, madame la présidente. » Togo s’éclipsa avec une promptitude inhabituelle.

Iceni passa le reste de la journée à s’absorber dans son travail et à tenter de rattraper son retard, notamment dans le domaine des élections aux fonctions subalternes, censées réduire la pression exercée par les citoyens aspirant à un changement. Qu’elles atteignissent cet objectif n’était pas évident.

Qu’il fût occasionnellement suggéré que le général Drakon ferait un excellent président était davantage troublant. Tant pour le bien du système stellaire que parce que, la menace d’une attaque syndic étant toujours suspendue au-dessus de leurs têtes, les citoyens avaient besoin d’un nouveau dirigeant capable d’affronter ce danger. Était-ce Drakon lui-même qui répandait ces bruits ? Ça ne laissait pas d’être inquiétant. Moins, sans doute, que si les citoyens en arrivaient de leur propre chef à ces conclusions. De toute évidence, Iceni devait redorer son blason aux yeux du peuple. Il fallait qu’on sût qui avait gagné ces affrontements à Midway et à Kane, qui avait réquisitionné le cuirassé et qui en savait bien plus long sur les tactiques des forces mobiles que n’en avait jamais appris le général Drakon, même si elle-même l’avait en partie oublié.

Lorsqu’elle trouva enfin le sommeil, Iceni avait dressé les premières lignes d’une campagne de relations publiques.

Le lendemain matin, elle commit l’erreur de commander un petit-déjeuner trop copieux et faillit s’étouffer sur une bouchée en consultant les bulletins d’information soulignés à son attention, eu égard à ses dernières recherches.

La police rapporte que Kater Buthol, l’agitateur politique et candidat aux élections dans son quartier, a été victime cette nuit d’un cambriolage au cours duquel il aurait lutté contre son agresseur, qui l’aurait abattu d’une balle. Buthol était déjà mort quand la police est arrivée sur les lieux.

Iceni gardait les yeux rivés sur l’article, sidérée, en se demandant pourquoi elle ne le trouvait pas seulement surprenant mais encore choquant. Difficile de me plaindre. Ça arrive à point nommé. Je ne perdrai plus le sommeil en m’inquiétant de cet imbécile et Togo pourra…

Togo.

Qu’ai-je dit à Togo hier ? Qu’est-ce que je lui ai dit, déjà ?

De trouver une solution au problème Buthol, quelque chose comme ça ?

Ce qu’il a dû prendre pour une incitation à me débarrasser de lui.

Pour une fois dans mon existence, je ne voulais pas de cela. Mais qu’on règle correctement ce problème.

Et peut-être ai-je ordonné malgré tout son exécution.

Elle fixait toujours son écran. Rappeler Togo ne servirait de rien. Il connaissait la chanson. Il ne s’agissait pas d’une de ces affaires habituellement tolérées, où l’on envoie quelqu’un devant un peloton chargé des exécutions publiques pour avoir failli à son devoir. Avec une bonne excuse, on pouvait se débarrasser de n’importe quel quidam sans faire de vagues, pourvu qu’il fût assez peu élevé dans la hiérarchie. Mais tous ceux qu’on tenait à éliminer ne commettaient pas un délit, et parfois les gens qu’on cherchait à neutraliser avaient un patron puissant. Il existait depuis longtemps des subterfuges bien établis permettant de procéder à ces liquidations sans courir le risque d’en pâtir personnellement. Qu’elle demandât à Togo s’il avait tué Buthol ou commandité son meurtre, il le nierait probablement parce que c’était toujours ainsi qu’il réagirait, afin que Gwen pût à son tour s’en laver les mains. Elle ne lui avait pas dit « tue-le ». Togo refuserait d’admettre qu’il l’avait tué. Combien de fois n’avaient-ils pas joué cette comédie afin de s’assurer que tout séjour dans les salles d’interrogatoire tenues par le SSI se révélerait infructueux pour les inquisiteurs ?