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— Par un sas ? s’enquit celle-ci.

— Cet agent du SSI prenait plaisir à saper mon autorité auprès de l’équipage, CECH Iceni.

— Je vois. À l’avenir, évitez de vous conformer de façon trop appuyée à vos instructions. » Malgré la sympathie que lui inspirait le commandant du C-413, Iceni ne tenait pas à ce que les matelots s’habituent à défenestrer les représentants de l’autorité. Cette addiction risquait de devenir par trop indécrottable.

Le croiseur léger et les quatre avisos de la formation d’Iceni vinrent à leur tour au rapport pour lui prêter allégeance. Une fois les vaisseaux qui l’entouraient dûment rangés de son côté, elle appela un C-625 manifestement vacillant. « La majorité des forces mobiles de cette flottille ont d’ores et déjà prêté serment de se soumettre à mes ordres. Vous seriez bien avisé de suivre le plus tôt possible leur exemple. » Il lui faudrait attendre près de trois heures sa réponse, pourvu toutefois que le croiseur réponde du tac au tac. « Que se passe-t-il à la surface ? » demanda-t-elle à Akiri.

Celui-ci décocha une mimique sourcilleuse à l’opérateur en fonction, lequel, compte tenu des événements, fit son rapport d’une voix ferme mais légèrement éberluée. « On assiste à d’importants combats dans le QG du SSI et trois de ses antennes. Les communications en provenance de la surface signalent que tous les commissariats sont également attaqués. Nous avons reçu un message fragmentaire du CECH Hardrad, mais il a été coupé avant que ne nous parviennent instructions ou informations.

— Très bien. Les forces terrestres se chargent donc des serpents à la surface, déclara Iceni pour la gouverne de tous ceux qui se trouvaient à portée de voix. Le CECH Drakon joue son rôle. » Ce qui faisait sans doute passer Drakon pour un partenaire de moindre envergure, mais renforcer cette impression parmi les forces mobiles pouvait se révéler utile. Elle s’interrompit un instant pour souffler posément puis appela Kolani. « CECH Kolani, ici la CECH Iceni. J’ai pris le commandement direct des forces mobiles de ce système stellaire. Il vous faut reconnaître mon autorité et me prêter allégeance. J’attends votre réponse dans l’immédiat. »

Nouveau message, adressé cette fois à une autre unité de la formation de Kolani. « J’ai pris le commandement direct des forces mobiles de ce système stellaire. Il vous faut reconnaître mon autorité et me prêter allégeance. J’attends votre réponse dans l’immédiat. »

Elle ne recevrait de réponse de l’une ou de l’autre que dans vingt minutes au plus tôt. « Dès que les forces mobiles de Kolani modifieront leur trajectoire, faites-le-moi savoir », ordonna-t-elle à Akiri.

Celui-ci secoua la tête. « Tous les croiseurs légers et avisos de Kolani sont sous le feu de ces deux croiseurs lourds. Ils ne pourront pas filer sans combattre.

— Exact, convint-elle sur un ton laissant entendre qu’elle en avait déjà tenu compte.

— Mais, si l’un d’eux prenait le parti de Kolani, les croiseurs lourds seraient à la portée de ses armes. Une seule salve tirée par surprise pourrait leur infliger des dommages handicapants. »

Iceni sourit. « C’est vrai.

— Kolani ne va-t-elle pas précisément guetter cet instant ? » s’enquit Akiri.

Avoir sous la main des subordonnés qui savent repérer les problèmes au lieu de les sous-estimer (ou, pire encore, de les ignorer) faisait d’ordinaire le bonheur d’Iceni. Mais des subalternes qui soulèvent toutes les difficultés possibles et imaginables sans distinguer leurs aspects positifs ni les solutions à leur apporter, c’est là une autre affaire. Elle fixa Akiri en arquant un sourcil. Cette mimique avait le don d’inspirer une crainte réelle à ses inférieurs, et Akiri ne manqua pas de légèrement pâlir. « Oui, répéta Iceni. Il lui faudra surveiller ses propres forces mobiles et se demander simultanément si elle doit nous combattre.

— Je vois », admit hâtivement Akiri avant de se remettre au travail sur son écran.

Du coin de l’œil, Iceni crut voir Marphissa jeter à Akiri un regard de mépris encore manifeste. Aucun des opérateurs de la passerelle n’avait remarqué ce qui venait de se passer, du moins ne le montraient-ils pas, ce qui laissait entendre que cette scène n’était pas une première et que d’autres, identiques, s’étaient déjà déroulées, probablement quand Kolani elle-même avait rabroué Akiri. Quand Iceni avait appris que Kolani lui avait plusieurs fois remonté publiquement les bretelles, elle s’était doutée qu’elle n’aurait aucun mal à le recruter. Mais, en comprenant pourquoi elle avait jugé bon de l’humilier ainsi, elle avait également compati avec Kolani et s’était même demandé pour quelle raison elle ne l’avait pas encore remplacé. Kolani n’avait pas la réputation de se montrer très tolérante avec les gens qui ne s’acquittaient pas de leur boulot en fonction de ses propres critères. Et rien, dans les états de service d’Akiri, n’aurait dû lui interdire de le sacquer. Elle avait donc fait preuve d’une certaine incohérence dans son attitude envers Akiri ; Iceni se grava ce problème dans la mémoire en se promettant d’enquêter à son sujet dès qu’elle en aurait le temps.

Pour l’instant, en tout cas, il lui faudrait endurer une longue période d’attente forcée, tout en restant à l’affût et concentrée. Attendre que des réponses lui parviennent de Kolani et des autres forces mobiles distantes de dix minutes-lumière. Attendre d’apprendre dans quelle mesure les opérations de Drakon avaient réussi. Ou échoué. Elle s’aperçut que son regard s’était posé sur la partie de son écran montrant la surface de la planète à l’aplomb de son croiseur. Les installations du SSI s’y affichaient en surbrillance en raison des combats qui s’y déroulaient. Si elle recevait des informations selon lesquelles un ou plusieurs des assauts de Drakon avait fait chou blanc, il lui serait facile de les désigner pour cibles à un bombardement cinétique. Pointez, verrouillez, tirez. Simplissime. Et une ville serait en partie détruite avec tous ses habitants.

J’en ai largué sur les planètes de l’Alliance. Ça ne m’a pas été difficile. Je ne songeais pas aux citoyens qui vivaient là-dessous. Les gens de l’Alliance se donnent-ils le nom de citoyens ? Pourquoi est-ce que je ne connais pas la réponse à cette question ? Je les ai tués et je ne sais même pas à quel titre ils répondaient.

Bien sûr, ça rendait leur meurtre plus facile.

Je n’ai jamais été contrainte à participer à une opération de stabilité interne, ni à déclencher le bombardement d’un de nos mondes pour mettre un terme à une émeute ou à une rébellion. J’ai eu de la chance. Mais il me faut faire aujourd’hui virtuellement face à la même décision.

Black Jack a-t-il réellement été envoyé par les vivantes étoiles pour nous arrêter ? Il a aussi empêché l’Alliance de poursuivre les bombardements de civils. Était-ce à cela qu’il était destiné ? Mon père me disait que les étoiles nous observent, tous autant que nous sommes, mais ça fait très longtemps, et je ne suis plus certaine de gober ces légendes. J’ai pu constater que les hommes et les femmes qui s’octroyaient le plus de pouvoir au sein des Mondes syndiqués étaient ceux-là mêmes que rien n’arrêtait. Pourquoi ne les appréhendait-on pas ? J’ai vu le résultat des bombardements de nos planètes par l’Alliance, mais rien qui indiquât qu’une puissance invisible veillait sur les faibles et les opprimés. Il faut rester fort, faute de quoi on trinque. Pourquoi une puissance supérieure bienveillante mettrait-elle si longtemps à réagir ?

Mais nous avons bel et bien perdu et l’Alliance a gagné. Et, pour l’heure, ce sont les serpents du SSI, la plus malveillante et impitoyable facette des Mondes syndiqués, qui sont en train de crever dans leurs forteresses.