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« J’ai… j’ai une connexion avec le CECH Drakon », s’écria l’opérateur des trans avec soulagement.

La fenêtre qui s’ouvrit devant Iceni montrait un Drakon en cuirasse de combat sur fond de débris fumants. Elle mit un moment à comprendre que ces ruines avaient naguère été le centre de commandement du SSI. Elle n’avait visité le QG qu’à une seule occasion, s’y sentant déjà plus ou moins prisonnière jusqu’au moment où elle en était ressortie saine et sauve.

Les yeux de Drakon trahissaient davantage d’inquiétude que de triomphe, mais il embrassa son environnement d’un geste détaché. « On a réussi. Certes, il reste encore quelques serpents qui ont pris la poudre d’escampette, mais tous leurs chefs sont morts, et nous rattraperons très bientôt les fuyards.

— Où est Hardrad ?

— C’est désormais une question qui relève de la métaphysique. »

Iceni dut réfléchir un instant pour comprendre le sens de sa réponse.

« Je ne vous savais pas autant d’humour noir, CECH Drakon.

— C’est “général Drakon”, à présent. Comme vous l’avez dit vous-même, nous devons rejeter les us et coutumes syndics.

— Je vois. » C’était là, de la part de Drakon, une décision unilatérale contre laquelle elle ne pouvait pas s’élever mais qui n’en restait pas moins inquiétante. « Veillez à examiner scrupuleusement sa dépouille avant d’en disposer. Elle est peut-être truffée de dispositifs miniaturisés de stockage de données.

— C’était le cas, affirma Drakon. Mais tous étaient reliés à son métabolisme par un système de l’homme mort. Elles se sont effacées à sa mort.

— Dommage. Puisque je sais maintenant que vous avez le contrôle de la surface de la planète, je vais pouvoir me concentrer sur ma propre tâche. Je dois livrer un combat ici.

— Kolani y réfléchira peut-être à deux fois lorsqu’elle saura que tous les serpents de la planète ont été éliminés.

— Je veillerai à ce qu’elle l’apprenne, lâcha Iceni. Je vous recontacterai après la bataille. »

Mais Drakon secoua la tête. « Qu’est-ce qui pourrait bien empêcher Kolani de larguer des projectiles cinétiques sur nous durant ce combat ?

— Elle tiendra à garder la planète intacte pour ses maîtres. Remettre entre leurs mains une ruine réhabilitée ne les impressionnerait guère. Si elle s’y résolvait, on lui reprocherait davantage ses pertes qu’on ne la féliciterait de ses succès. J’en ai la conviction.

— Content de vous en voir certaine, du moment que vous n’avez pas à vous inquiéter de recevoir ces cailloux sur la tête, rétorqua Drakon. Je vous souhaite un heureux combat.

— Merci. » L’image s’éteignit et Iceni la fixa avec morosité. Travailler avec Drakon relèverait sans doute du défi, mais prendre des mesures pour l’éliminer restait du domaine du projet à long terme.

Si du moins elle tenait à l’éliminer. Elle avait remarqué que les CECH qui cherchaient à se débarrasser d’un rival finissaient par liquider des gens qui faisaient bien leur boulot, ce qui, à longue échéance, se soldait toujours par un désastre.

Les yeux d’Iceni se reportèrent peu à peu sur son écran, où les représentations des forces mobiles de Kolani se dirigeaient régulièrement vers une interception de la trajectoire de ses propres unités. « Elle arrive droit sur nous. »

Akiri hocha la tête d’un air morne. « La CECH Kolani va concentrer ses tirs sur notre croiseur. Elle cherchera à vous supprimer, persuadée que votre mort incitera les autres unités à se rendre.

— Tout comme je dois moi aussi la liquider si je veux éviter de détruire celles qui lui restent fidèles. » Iceni fixa d’un œil noir son écran où s’affichaient, calculées informatiquement, les projections d’un engagement. Elle disposait de trois croiseurs lourds contre les deux de Kolani, mais celle-ci avait davantage de petits vaisseaux. Lors d’un échange de tirs frontal, la puissance de feu des deux forces serait peu ou prou équivalente. Victoire ou défaite reposeraient sur la chance, le nombre de frappes qui toucheraient les cibles principales, les points d’impact et la mise hors circuit de tel ou tel système vital.

Elle détestait dépendre du hasard. « Comment désemparer le croiseur lourd de Kolani sans risquer, à la même enseigne, la destruction du nôtre ? » demanda-t-elle à Akiri et Marphissa.

Tous deux la dévisagèrent en affichant une expression intriguée. « Nous lui rentrons illico dans le lard, répondit finalement Marphissa. Une passe de tirs directe et frontale. C’est notre meilleure chance.

— Black Jack ne chargerait jamais bille en tête, affirma Iceni.

— Les opérations de Geary et le résultat de ses accrochages avec les forces des Mondes syndiqués ont été classés secret-défense, avança prudemment Akiri. Nous ne disposons d’aucun rapport officiel à cet égard. »

Bien sûr que non. La faute à cette stupide fixation sécuritaire des Mondes syndiqués qui classifiait des informations essentielles et interdisait à leur personnel plutôt qu’à l’ennemi d’en prendre connaissance. « Pour parler abruptement, Black Jack a infligé de façon répétée des pertes épouvantables aux flottilles des Syndics, tout en ne subissant lui-même que des dommages limités. Il recourait à des tactiques que nous nous efforçons toujours d’analyser mais qui, selon moi, différaient selon la situation.

— Les rumeurs étaient donc fondées ? demanda Marphissa avec effroi.

— Oui. Les forces mobiles des Mondes syndiqués ont été décimées. Il n’en reste que bien peu. Vous avez pu vous rendre compte de visu de ce dont dispose encore l’Alliance.

— Pouvez-vous également… ?

— Non. Je ne suis pas Black Jack. J’ai étudié ce que nous savons de ces engagements, et je ne comprends toujours pas pourquoi il a recouru à telle ou telle manœuvre, comment il les a synchronisées, ni… »

Puis-je feindre d’être Black Jack ? De faire ce qu’il ferait ? Non pas charger frontalement la flottille adverse alors que le rapport de forces est pratiquement égal. Lui… ferait en sorte de le modifier. « Mais j’ai peut-être une idée. » Iceni afficha une préconisation de manœuvre d’interception du groupe de Kolani, manœuvre assez simple dans la mesure où elle leur fonçait droit dessus, en visant la position qu’atteindrait la flottille d’Iceni si elle continuait d’orbiter autour de la planète dans sa révolution autour de l’étoile. « À toutes les unités, accélérez à 0,1 c et virez de trente-deux degrés sur bâbord à T 14.

— La force de la CECH Kolani maintient elle aussi sa vélocité à 0,1 c, déclara Marphissa. Quarante-sept minutes avant le contact si elle rectifie ses vecteurs en voyant nos manœuvres.

— Faut-il concentrer nos tirs sur le croiseur C-990 ? s’enquit Akiri, dont les mains s’activaient déjà pour entrer cette priorité dans les systèmes de visée.

— Vous attendrez mon ordre pour fixer une cible prioritaire. » Tout le monde dévisagea Iceni d’un œil surpris. « Je n’entrerai les cibles prioritaires qu’au tout dernier moment, afin de m’assurer que cette information ne puisse en aucune façon parvenir à la force de Kolani. » À la brusque véhémence de sa voix, chacun comprit que nul ne devait remettre cette décision en doute, et tous retournèrent docilement à la tâche qui leur était impartie. Les CECH, c’est l’arbitraire, devaient-ils se dire, et ils adorent microgérer. Qu’elle entre donc elle-même cette instruction si ça peut lui faire plaisir. Oh, mais ce n’est pas si simple. Je ne suis peut-être pas Black Jack, mais je peux moi aussi tenter une manœuvre inattendue.

Quarante-sept minutes. Non, quarante-six maintenant. Elle était déjà passée par là, par ce long préambule avant le combat, avant de charger un adversaire qu’on voyait plusieurs minutes, heures ou jours avant le premier échange de tirs. Iceni avait toujours trouvé que ça ressemblait à ces rêves où l’on a l’impression d’une chute vertigineuse, d’une chute qui se prolonge au-delà de toute raison, en regardant la mort se rapprocher de plus en plus. Mais, contrairement à ces rêves qui s’achèvent avant l’impact, les batailles aboutissent toujours au choc d’une collision.