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« La situation se détériore rapidement », rendit-il compte.

Quatre

« Quinze minutes avant le contact avec la force de la CECH Kolani. »

Assise devant son écran, Iceni le fixait en s’efforçant d’évaluer comment elle devait synchroniser ses manœuvres. Profondément absorbée dans ses pensées, elle ne cessait de rencontrer des obstacles, quelle que fût l’hypothèse qu’elle envisageait.

« Dix minutes avant contact. »

À une vélocité combinée de 0,2 c, même de très grandes distances peuvent se réduire en un éclair. Iceni savait à quelle vitesse pouvaient s’écouler ces dix minutes alors qu’elle tentait encore laborieusement de découvrir une solution. Sur les enregistrements qu’elle avait visionnés, Black Jack semblait doué d’une sorte d’instinct pour les manœuvres qu’elle espérait exécuter, mais elle n’avait ni son expérience ni ses talents. Certains rapports indiquaient bien qu’une équipe d’officiers le secondait, dont cette femme qui commandait à son vaisseau amiral. Mais Iceni, elle, n’avait personne…

Une phrase entendue récemment lui revint en mémoire. Vous ne serez pas seule sur la passerelle. Marphissa. Était-elle assez douée pour régler ce problème ? Akiri, lui, ne l’était assurément pas, mais l’adjointe pouvait l’épauler. « Adjointe Marphissa. Conférence privée. »

Akiri témoigna fugacement inquiétude et jalousie quand l’adjointe rejoignit hâtivement Iceni puis attendit sans mot dire que la CECH eût activé le champ d’intimité de son fauteuil. « Voici ce que je projette de faire. Pouvez-vous synchroniser convenablement cette manœuvre ? » Ce disant, Iceni vit d’abord s’écarquiller puis se plisser les yeux de Marphissa.

« Oui », finit par répondre celle-ci.

Cette affirmation était-elle le reflet d’une trop grande assurance ou bien d’une mûre réflexion empreinte de professionnalisme ? « Vous en êtes sûre ?

— Pas absolument, madame la CECH. Mais je suis raisonnablement convaincue d’y parvenir.

— Voyez-vous quelqu’un qui pourrait faire mieux à bord de ce croiseur ?

— Pas à ma connaissance.

— Alors exécutez la manœuvre au mieux de ce qui vous paraît possible pour le moment, ordonna Iceni. Sans pour autant l’annoncer à la cantonade, je vous confierai le pilotage du bâtiment une minute avant le contact. Je me chargerai des systèmes de visée de toutes les unités mob… de tous les vaisseaux qui nous sont fidèles.

— Bien, madame la CECH. Je comprends et j’obéirai. »

Marphissa regagna son poste, pendant qu’Akiri la suivait des yeux avec inquiétude. Quand promotions et rétrogradations dépendaient des caprices d’un CECH, tout entretien privé de l’un d’eux avec un subordonné avait de quoi turlupiner le supérieur de ce dernier.

« Cinq minutes avant contact. »

Tous les systèmes de visée des croiseurs lourds, croiseurs légers et avisos sous son contrôle désormais parés, Iceni était dévorée d’envie d’accorder sans plus tarder la priorité à leur cible, mais elle patienta. Si d’aventure Kolani disposait toujours d’un accès au réseau reliant toutes ces unités, elle avait peut-être encore le temps d’être informée de son plan.

Akiri et les opérateurs des trans de la passerelle feignaient tous de ne pas l’observer, mais la fébrilité d’Akiri était de nouveau apparente. « Madame la CECH, nous avons toujours besoin de vos instructions quant aux priorités d’acquisition des cibles pour les systèmes de visée des unités mobiles.

— Vous les aurez. » Iceni s’émerveilla de la sérénité de sa propre voix.

« Trois minutes avant contact. »

Quelque cinq millions et demi de kilomètres séparaient encore les deux forces qui se ruaient l’une vers l’autre à une vélocité combinée de soixante mille kilomètres par seconde. Iceni secoua la tête en s’efforçant d’appréhender mentalement de telles distances et de telles vélocités. Elle n’y parvenait pas vraiment. Black Jack lui-même n’en était peut-être pas capable. Un être humain pouvait tout au plus régler l’échelle sur son écran de telle manière qu’elles produisent l’illusion d’être accessibles à son esprit, et assez acceptables par lui pour qu’elles pussent servir de cadre de référence à son travail.

« Deux minutes avant contact. »

Iceni entra précautionneusement ses priorités de tir, en s’arrêtant à trois reprises pour vérifier qu’elles étaient bien les bonnes, puis les transmit aux systèmes de combat de son croiseur et des autres forces mobiles qu’elle contrôlait.

Akiri parut brièvement soulagé lorsque ces instructions s’affichèrent sur son écran, puis il tressaillit d’étonnement. « Que… ? »

Mais Iceni entrait déjà la directive confiant à Marphissa le contrôle des manœuvres. En se retournant, elle la vit lui indiquer d’un signe de tête qu’elle était prête.

« Une minute avant contact. »

Iceni inspira profondément avant d’activer son circuit de com. « Au nom du peuple ! » transmit-elle, pour la gouverne de tous les auditeurs éventuels. La vieille interjection, qui semblait avoir perdu toute signification depuis belle lurette, réussirait peut-être à enflammer ses partisans.

Marphissa se concentra, assise toute droite devant son écran, une main déjà posée sur ses touches de commande.

Akiri décocha un regard soucieux à Iceni. « Madame la CECH, la force de la CECH Kolani va concentrer ses tirs sur notre croiseur.

— Ce croiseur ne sera peut-être pas là où elle s’attend à le trouver, repartit Iceni.

— Les unités de la CECH Kolani tirent des missiles », annonça l’opérateur des combats.

Nouveau regard nerveux d’Akiri. Mais Iceni secoua la tête. « Retenons nos tirs, sauf ceux des systèmes défensifs. »

Les dernières secondes avant le contact filèrent à une vitesse inouïe. Les rayons de particules des lances de l’enfer jaillirent des vaisseaux sur l’ordre d’Iceni, visant les missiles en approche. La plupart des projectiles explosèrent quand les lances de l’enfer les frappèrent, et d’autres encore quand des tirs de barrage de mitraille, ces billes en accélération relativiste dont les dommages qu’elles causaient reposaient sur leur masse et l’énergie cinétique qu’elles accumulaient, criblèrent les missiles en dernier recours, juste avant qu’ils ne touchent leurs cibles. Le croiseur d’Iceni n’en tressauta pas moins quand deux d’entre eux détonèrent près de ses boucliers, y créant de dangereux points faibles.

Iceni sentit brusquement des forces l’assaillir quand Marphissa activa au dernier moment les commandes de manœuvre. Le bourdonnement des tampons d’inertie, trop grave normalement pour qu’on le perçût, devint suraigu dès qu’ils se mirent à protester contre le stress qu’on leur imposait.

Le croiseur piqua vers le haut en luttant contre sa vitesse acquise pour s’écarter de la trajectoire qu’il observait depuis plus d’une demi-heure.

Sous lui, exactement à l’aplomb, les deux forces s’interpénétrèrent à une vitesse si fulgurante que les sens humains ne pouvaient même pas enregistrer l’instant de leur fusion. Le croiseur d’Iceni avait largué quelques missiles à la dernière seconde, tout comme d’ailleurs les vaisseaux alliés.

Mais aucun ne visait le bâtiment de Kolani. Missiles et lances de l’enfer prirent tous pour cible l’arrière de son autre croiseur. Le C-818 vacilla sous les multiples frappes qui abattirent ses boucliers de poupe et endommagèrent ses principales unités de propulsion.