— Il vient d’éjecter une capsule de survie, annonça le préposé aux opérations. En voilà une autre !
— Deux seulement ? » marmotta Akiri.
Marphissa gesticula en direction du croiseur lourd désemparé. « Nous pourrions nous en rapprocher suffisamment pour lui dépêcher une équipe de débarquement et en prendre le contrôle.
— Je vous le déconseille, madame la CECH, intervint aussitôt Akiri. Quelque chose cloche avec le C-990. Si la CECH Kolani était encore vivante et en état d’exercer ses responsabilités, nous aurions déjà reçu un message, ne serait-ce que pour nous défier. Elle aurait aussi pu bombarder la planète de projectiles cinétiques. Réagir d’une manière ou d’une autre. Mais il ne s’est rien passé.
— Si elle était morte ou retenue prisonnière par son équipage mutiné, celui-ci aurait aussi tenté de communiquer avec nous, protesta Marphissa.
— Exactement ! Il y a donc un lézard. Il serait imprudent, selon moi, de s’approcher du C-990 dans un rayon correspondant à celui de l’explosion de son réacteur en surcharge. »
Iceni fixa longuement Akiri avant de hocher la tête. « Votre conseil me paraît bien avisé. Nous ne pouvons pas ignorer la possibilité d’un sabotage délibéré de son réacteur, ni celle de la résistance de son équipage survivant. Rapprochons-nous mais pas assez pour nous trouver à portée d’une surcharge, et envoyons un drone observer ce qui se passe à bord. »
« Très bien », lança finalement Drakon d’une voix assez claire et sonore pour interrompre les chamailleries de Morgan et Malin. Tous deux savaient qu’il leur fallait écouter quand il parlait sur ce ton. « Nous serons peut-être en mesure de disperser les foules en recourant à notre puissance de feu, mais ce serait là un expédient à court terme. Nous l’avons appris en tentant de maintenir l’ordre sur les planètes de l’Alliance que nous occupions. Il me faut une solution à longue échéance, et la seule envisageable est la collaboration de la majorité de la population au rétablissement de l’ordre. » Il dévisagea Rogero, Kaï et Gaiene. « Je vais transmette les mêmes ordres à tous les commandants de forces terrestres de la planète. Vous contacterez de votre côté la police locale et vous ordonnerez à ces policiers de virer leurs fesses des commissariats et de descendre dans la rue. Ne les menacez pas, dites-leur au contraire que nous les appuierons et déployez des pelotons à cet effet. Pas des sections, des pelotons. Il nous faut veiller à confier le commandement de ces unités à des subordonnés plutôt qu’à l’encadrement supérieur. Dites aux policiers que je prendrai d’autres mesures pour disperser ces foules, mais que nous avons besoin de leurs bottes dans les rues, car leur mission reste inchangée.
— Qu’en est-il de nos propres soldats ? s’enquit le colonel Gaiene. La discipline est relativement branlante, surtout dans les forces terrestres locales. » D’ordinaire, Gaiene affichait une attitude ouvertement je-m’en-foutiste, de sorte que l’inquiétude manifeste qu’exprimaient à présent ses traits n’en soulignait que davantage la gravité du problème.
« Attelez les forces locales à des pelotons de nos gens et faites passer le mot que tout soldat qui refuse d’obéir sera fusillé. D’autres questions ?
— Les autorités locales, mon général ? demanda Kaï. Qu’en fait-on ?
— Je leur transmettrai des instructions. Si elles refusent en quelque façon d’obtempérer, je vous donnerai l’ordre d’envoyer des troupes. Les soldats du cru se chargeront plus efficacement de ce boulot, car aucun ne voue un très grand amour à ses chefs autoproclamés.
— Et pour les baraquements qui hébergent les serpents ? interrogea Rogero. Nous avons certes éliminé ceux qui étaient chez eux, mais il reste leurs familles. Tôt ou tard, la populace va se pointer dans ces camps, et vous vous doutez de ce qu’il adviendra d’elles.
— Exactement ce qu’il est advenu pendant très longtemps des familles d’un tas d’autres gens quand elles tombaient aux mains des serpents, affirma Gaiene. Ce n’est pas moi qui verserai des larmes parce que des citoyens prennent leur revanche. »
Drakon hésita un instant puis secoua la tête. « Nous ne sommes pas des serpents. Et je ne suis pas Hardrad. Postez des gardes autour de leurs terrains. En assez grand nombre pour dissuader les foules. Et assurez-vous qu’ils soient des nôtres et n’appartiennent pas aux forces terrestres locales.
— Nous allons nous retrouver encore plus disséminés, protesta Kaï. Nous avons tous vu mourir des enfants, général. C’est horrible, mais…
— Je sais. Nous en avons tué beaucoup lors de combats sur les planètes de l’Alliance. Je trouvais ça révoltant, mais je n’y pouvais rien sur le moment. Ce n’est plus le cas maintenant, et je ne veux plus voir mourir des gosses. Compris ? » Les trois colonels hochèrent la tête. « À présent, faites s’activer vos gars et les policiers.
— Oui, mon général », répondit Rogero. Kaï et Gaiene lui firent écho puis tous trois saluèrent et leur image s’évanouit.
Morgan haussa les épaules. « Au moins avez-vous ordonné qu’on fusille tous ceux qui refuseraient d’obéir aux ordres. Mais la population…
— Je n’en ai pas fini, affirma Drakon. Que reste-t-il du réseau de communication des serpents ? De l’équipement dont ils se servaient pour émettre proclamations et propagande ou transmettre leurs instructions aux autorités locales ?
— Il est intact, répondit Malin en souriant. Bon, à l’exception des nodaux des QG et des commissariats, bien entendu. Ce matériel-là a été détruit. Mais nous nous sommes emparés des relais, si bien que nous pouvons modifier leur logiciel pour lui permettre de diffuser des signaux à partir d’un nodal improvisé.
— Dans quel délai ?
— Dix minutes.
— Réduisez à cinq. »
L’opération prit en réalité six minutes, ce qui laissa à Drakon le temps de transmettre au reste des forces locales de la planète les ordres qu’il avait donnés à Rogero, Kaï et Gaiene, ainsi que celui de pondre un laïus destiné aux groupes de plus en plus nombreux de citoyens qui avaient débordé les systèmes de surveillance du SSI et surgissaient un peu partout. Il lui fallut réfléchir un petit moment à ce qu’il devait exactement leur dire avant de se rendre compte que, dans leur propre propagande, les Mondes syndiqués lui fournissaient depuis longtemps la justification idéale.
« Ici le général Drakon, lança-t-il sur le réseau reliant tous les officiels locaux. J’ai pris le contrôle de l’ensemble des forces terrestres de cette planète et j’agis en collaboration avec la CECH Iceni. Nous assumons désormais le pouvoir. Il est demandé à tous les officiels locaux de descendre dans la rue pour calmer la situation. Vous devrez aider au rétablissement de l’ordre public, rassurer les citoyens en leur confirmant que les serpents ont été éliminés et faire en sorte que toutes les festivités prennent une tournure convenable et inoffensive. Ordonnez aux forces de police locales de boucler sur-le-champ magasins de spiritueux, bars et pharmacies. Des détachements des forces terrestres passeront un peu partout pour s’assurer que vous suivez ces instructions à la lettre. Exécution. »
Malin secoua la tête. « Ils se montreraient beaucoup plus efficaces s’ils représentaient réellement leurs concitoyens dans leur secteur respectif. Il est bien plus facile de contrôler les logiciels de scrutin que les électeurs.
— Basculez sur la diffusion générale », ordonna Drakon. Il attendit que Malin eût entré les instructions. Lorsqu’il s’exprimerait ensuite, ses paroles s’afficheraient ou se feraient entendre sur tous les téléphones portables, écrans vidéo, terminaux, haut-parleurs et autres systèmes d’annonce publique susceptibles de capter et retransmettre des messages.