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« Citoyens, commença-t-il, je parle au nom de la CECH Iceni et en mon propre nom. Nous avons liquidé le SSI de cette planète et dans tout le système stellaire. Midway sera désormais indépendant. Nous ne nous plierons plus aux ordres d’un empire des Mondes syndiqués à présent en déclin.

» Célébrons ce beau jour, oui, mais il est essentiel de ne pas perdre de vue la protection de nos foyers et de nos familles. Toute faillite de l’ordre public ne pourrait que trop aisément se solder par la destruction de nos maisons et de nos lieux de travail, ainsi que par des pertes humaines. J’ai ordonné à la police de descendre dans la rue pour veiller à la sécurité de tous et empêcher que ne soient menacés nos concitoyens et nos biens par des casseurs ou des irresponsables. Dans l’éventualité où du personnel du SSI se dissimulerait encore parmi le public en liesse, j’ai aussi ordonné aux forces terrestres de renforcer la police. Gardez en mémoire que quiconque inciterait à des actes pouvant conduire au pillage ou à l’émeute risque d’être un agent du SSI cherchant à vous attirer dans un traquenard. » Cela suffirait peut-être à décider les gens à se retourner contre ceux qui chercheraient à les transformer en émeutiers.

« Fêtez certes notre indépendance, c’est entendu, mais n’oubliez pas que l’adversaire s’efforcera de la compromettre. » Tel avait toujours été le mantra des Mondes syndiqués : invoquer la peur d’ennemis intérieurs ou extérieurs, la menace du chaos, pour se garder le soutien des citoyens. « Bien que le SSI ait tenu jusque-là cette information sous le boisseau, d’autres systèmes sont retombés dans l’anarchie après l’effondrement de l’autorité des Syndics, avec pour conséquence de lourdes pertes en vies humaines et en biens. Tous les citoyens devront se plier aux ordres de la police et des forces terrestres. Les manifestations de liesse paisibles et ordonnées sont certes autorisées, voire encouragées, mais toute personne prise en flagrant délit de pillage ou d’émeute sera abattue à vue. On ne leur permettra ni de mettre en danger la vie de leurs concitoyens ni de les dépouiller. Ici le général Drakon, au nom du peuple, terminé. »

Bien qu’il l’eût répétée à d’innombrables reprises, cette dernière formule lui fit l’effet de sonner encore plus creux que le début de son laïus, tant l’insincérité de ce « au nom du peuple » si galvaudé l’avait vidée de son sens. Mais, cette fois, il en avait pris conscience, et l’hypocrisie lui avait sauté aux yeux. Nous ne l’avons pas fait pour le peuple mais pour nous-mêmes. Pour notre survie.

Il se retourna vers Malin et Morgan. « Établissez un dispositif de surveillance en appoint aux systèmes automatisés. Dès qu’une foule devient incontrôlable, je dois le savoir aussitôt. »

Morgan haussa les épaules. « C’est techniquement possible, mais que faire si elles se déchaînent ? Leur servir un autre sermon ?

— J’enverrai des renforts, quitte à en massacrer autant qu’il le faudra pour maintenir l’ordre. » Cela aussi, il l’avait appris d’expérience. On fait ce qu’il faut, que ça vous plaise ou non. Peut-être existait-il d’autres méthodes pour mater une foule déchaînée, mais il n’y avait pas accès pour l’heure. « Pas question de laisser cette planète aux mains d’émeutiers qui la saccageraient. »

Les senseurs optiques du croiseur lourd d’Iceni n’arrivaient sans doute pas à la cheville de ceux d’un croiseur de combat ou d’un cuirassé, mais ils restaient néanmoins assez précis pour repérer aisément de petits objets distants de plusieurs années-lumière. Si près du C-990, ils distinguaient chaque détail de sa coque et en entrevoyaient même l’intérieur lorsque les trous qui la perçaient entraient dans leur champ.

Les deux capsules de survie échappées du croiseur lourd avaient été récupérées par les forces qui lui étaient restées loyales. La première était vide et la seconde n’abritait que les cadavres de spatiaux abattus à bout portant, manifestement morts juste après son lancement. Le C-990 lui-même semblait privé de vie.

« Auraient-ils tué tous leurs gens ? s’écria Akiri d’une voix écœurée. Ou continué de se battre jusqu’à la mort du dernier ?

— C’est possible, répondit Iceni. Dans quel délai le drone pénétrera-t-il dans le C-990 ?

— Trois minutes. L’approche demande un peu plus de temps, car le croiseur lourd bascule sur lui-même et oblige le drone à épouser le mouvement avant d’aborder. »

Quand le drone réussit enfin à se faufiler par une des déchirures de la coque, on ne distingua d’abord que cloisons et matériel déchiquetés. Mais les premiers cadavres apparurent bientôt.

« Ceux-là ont été victimes des lances de l’enfer, affirma Marphissa. Ils étaient déjà morts avant la décompression. »

Iceni se contenta de hocher la tête. Apprendre à reconnaître ce qui a causé la mort, c’est là un talent que nous avons acquis d’expérience. Trop de morts, trop d’expérience. Et c’est loin d’être fini.

Le drone se fraya un chemin entre les gisants pour bifurquer ensuite vers la passerelle. « Le vide règne dans tous les compartiments, rapporta l’opératrice du drone. Aucun signe d’un colmatage des brèches pour maintenir la pression. Cette écoutille a été forcée alors qu’il y avait encore de l’air d’un côté et le vide de l’autre. Ça ne s’est pas produit quand nous avons tiré sur le croiseur. »

Les cadavres, de l’autre côté, confirmaient son observation. « Les dommages à leurs combinaisons de survie ont été causés par des armes de poing.

— Combien d’assaillants et combien de défenseurs ? s’enquit Akiri.

— Pas moyen de le déterminer. »

Iceni réprima un frisson en se dépeignant mentalement la sanglante pagaille à bord du C-990 : l’équipage s’était massacré dans l’épave désemparée, incapable de distinguer l’ami de l’ennemi au milieu du déluge mortel qui pleuvait sur les coursives et les compartiments éventrés éclairés par intermittence.

« Les deux derniers mutinés ou les deux derniers loyalistes se sont peut-être entre-tués sans même savoir qu’ils appartenaient au même camp, observa Marphissa en écho aux pensées d’Iceni. S’il reste quelqu’un en vie, ce sera sur la passerelle ou à l’ingénierie.

— Envoyez d’abord le drone à la passerelle », ordonna Iceni. Kolani s’y trouverait certainement.

Le drone louvoya dans les coursives en évitant cadavres et débris. Les entrailles de la carcasse du croiseur évoquaient de plus en plus un cauchemar à Iceni : des voyants d’alarme brillaient par endroits d’une lumière aveuglante, tandis que d’autres ne faisaient que clignoter, révélant de profondes zones de pénombre d’où n’émergeait parfois, à la lumière, qu’une unique main inerte aux doigts recroquevillés dans un dernier geste, une ultime tentative pour agripper le vide. Un vaisseau brisé abritant un équipage de morts, comme surgissant d’une sinistre légende spatiale.

L’écoutille blindée menant à la passerelle leur apparut enfin. « Elle aussi a été forcée », commenta la conductrice de la sonde. Sa voix était tendue. Elle-même s’en rendit compte.

Iceni examinait les cadavres éparpillés autour de l’entrée du sas. « Ils y ont perdu beaucoup de gens. » Les passerelles étaient conçues pour servir de citadelle aux officiers en cas de mutinerie, de sorte qu’elles disposaient de défenses actives et d’un blindage protecteur. Certaines de ces défenses avaient sans doute été réduites au silence lors du combat contre les vaisseaux d’Iceni, mais elles avaient survécu en assez grand nombre pour décimer les assaillants.

« Le vide règne aussi sur la passerelle. » Le drone s’approcha prudemment de l’écoutille, transmit les codes qui neutraliseraient les défenses encore opérationnelles puis finit par atteindre le portail.