Akiri avait entré des données dans les systèmes de manœuvre. « Si c’est le portail qu’ils cherchent à atteindre, nous n’avons plus aucun moyen de les en empêcher. Ils ont trop d’avance sur nous. Le transport civil qui fait office d’estafette près du portail ne peut rien non plus contre le C-625. Vous pourriez ordonner aux défenses qui l’entourent de l’attaquer lorsqu’il s’en trouvera assez proche, mais il pourrait alors endommager le portail en ripostant.
— Sommes-nous certains que les serpents de ce croiseur ne chercheront pas également à bombarder la planète ? demanda Marphissa. Le chargement en projectiles cinétiques d’un seul croiseur lourd n’est pas énorme, mais il pourrait suffire à infliger de sérieux dommages à plusieurs cibles. »
Autrement dit à plusieurs villes. Iceni réfléchit encore un instant puis secoua la tête. « Non. Les serpents se plient à une discipline rigide qui leur dicte de faire ce qu’on leur demande, sans plus. Ils n’ont pas reçu l’ordre de bombarder la planète, et en dévaster certaines régions serait certainement une erreur. Dans la mesure où nul ne le leur a ordonné, ils préféreront laisser à leurs supérieurs de Prime le soin de prendre cette décision. Ce serait plus salubre pour eux. »
La moue de Marphissa laissa entendre que la notion de discipline rigide n’était pas limitée aux seuls serpents. Mais elle eut la sagesse de ne pas s’en ouvrir à haute voix.
« Si jamais le C-625 quitte l’installation des forces mobiles, faites-le-moi savoir », ordonna Iceni. Elle consulta ensuite une boîte de réception, qu’elle trouva vide. Son informateur proche de Drakon n’avait rien à lui signaler, ou bien, en raison des événements précipités, n’avait pas pu prendre les mesures nécessaires – assez retorses – pour la paramétrer afin que nul ne sût d’où provenait son message. Du moins s’il n’avait pas été repéré et abattu par Drakon. Cette boîte vide pouvait sans doute signifier qu’il n’y avait rien à craindre, mais, à la même enseigne, que l’inquiétude était au contraire de mise.
Elle appela Drakon.
La réponse du général mit à lui parvenir un délai exaspérant. Il finit par la rappeler, toujours revêtu de sa cuirasse de combat. Cette tenue était-elle destinée à lui envoyer un signal ?
« Content de constater que vous êtes toujours là, affirma-t-il.
— Je vous remercie de votre sollicitude. Je me félicite que vous ayez trouvé le temps, avant de me contacter, de donner la preuve que vous contrôliez la planète. »
Drakon eut un bref sourire. « Je devais régler certaines questions. J’ai cru comprendre que vous aussi aviez triomphé. Qu’est devenue Kolani ?
— Morte.
— Voilà qui simplifie la situation.
— En effet, convint-elle. Maintenant que Hardrad a lui aussi trouvé la mort, nous avons divisé par deux le nombre des CECH de ce système. »
Le visage de Drakon se durcit. « Insinueriez-vous qu’il faudrait réitérer l’opération ?
— Je ne le souhaite pas.
— Je me rends compte que vous n’avez plus besoin de moi maintenant que les serpents ont déserté la planète. Vous avez passé ce marché avec Black Jack et vous contrôlez les forces mobiles. Je ne suis pas en mesure de vous atteindre, mais vous pourriez me bombarder de cailloux vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ne tournons pas autour du pot. »
Iceni le lorgna longuement sans mot dire avant de répondre. « Nous avions l’un et l’autre nos propres raisons de nous révolter contre les Mondes syndiqués.
— Nous n’avions plus le choix, une fois que Hardrad a reçu l’ordre de procéder à ces ratissages de sécurité. Nous devions œuvrer de conserve, sinon ce système de Midway aurait connu le même sort que tous ceux où la rébellion a été brisée. Que nous ayons déjà commencé à planifier une révolte, chacun de notre côté, était un pur hasard.
— Je n’ai jamais sous-estimé l’importance du hasard, répondit Iceni. Ni non plus la valeur de ceux qui ne me trahissent pas quand l’occasion s’en présente. »
Drakon éclata de rire. « Si l’on en venait là, chacun de nous disposerait de nombreux moyens de pression sur l’autre.
— Je ne pourrais rien prouver d’aussi grave à votre sujet que le marché que j’ai passé avec Black Jack.
— Certes, convint Drakon. Signer un pacte avec l’Alliance l’afficherait mal aux yeux des serpents.
— Pas avec l’Alliance, avec Black Jack.
— Quelle différence ?
— Je n’en suis pas encore très sûre. Peut-être fait-il encore partie de l’Alliance. » Iceni fixa Drakon en fronçant les sourcils. « Le jeu en valait la chandelle. Il nous fallait absolument savoir si Black Jack ne déboulerait pas ici pour appuyer l’autorité des Syndics, et je devais m’assurer de son soutien dans notre projet. Pouvoir affirmer qu’il était informé de ce que nous comptions faire, qu’il n’interviendrait pas et ne le permettrait à personne, c’était un atout inestimable.
— Est-ce vraiment à tout cela qu’il a consenti ? »
Iceni sourit sans aucune hésitation. « Bien sûr.
— Ce sont de sa part de bien grandes concessions. Je me suis demandé pourquoi il avait cédé si facilement. »
Cette fois, Iceni haussa les épaules. Elle n’avait aucunement l’intention d’avouer à Drakon qu’elle avait beaucoup exagéré le soutien que Black Jack entendait donner à ses projets. « Peut-être avait-il réellement besoin de ce dispositif chargé de prévenir l’effondrement des portails. Ou bien espérait-il disposer à l’avenir de moyens de pression sur nous. Nous nous occuperons de cela en temps voulu. Nous nous sommes déjà chargés de nos anciens maîtres. Tout ce qu’échafaudera le gouvernement de Prime prendra du temps. Nous pouvons désormais respirer un peu.
— Que non pas. » Drakon eut un geste pour embrasser l’extérieur. « Les citoyens sont en liesse pour l’instant, mais, afin d’empêcher que la situation ne dégénère, j’ai passé un très mauvais quart d’heure. Notre propre population est prête à se mutiner contre nous si nous nous y prenons maladroitement avec elle. Notre seule chance était de mener nous-mêmes cette révolte, mais je ne jurerais pas que le mot d’ordre “mêmes dirigeants, mêmes lois mais titres différents” pourra tenir très longtemps. Nos concitoyens comprendront très vite à quel jeu nous jouons. »
Iceni se renfrogna. « Nous disposons des moyens tactiques laissés par les serpents. Nous sommes en mesure d’éliminer tous ceux qui chercheraient à soulever le peuple contre nous.
— Ces méthodes ont fonctionné pour les serpents et les Mondes syndiqués, fit remarquer Drakon. Jusqu’à ce qu’elles échouent. Je suis capable d’identifier tout semeur de troubles. Les logiciels de surveillance nous permettent de repérer aisément l’émergence de nouveaux meneurs à partir de leurs transmissions. Et de les épingler à mesure qu’ils surgissent. Mais ils apprendront. Combien de méthodes différentes pour déjouer la surveillance des serpents connaissons-nous, vous et moi ?
— Beaucoup trop.
— Et nous savons aussi, tous les deux, combien il existe d’activités clandestines, de marchés noirs dans tous les domaines que vous pourriez citer. Si la résistance recourait à ces méthodes, nous aurions un mal fou à les repérer. Il nous faut au moins le soutien passif de la majorité de nos concitoyens si nous ne voulons pas que la rébellion gagne du terrain.
— Nous avons les vaisseaux de guerre, affirma Iceni. Ils sont le marteau qui nous permettra de nous assurer du contrôle de ce système.
— Un marteau bien pesant. Et brutal. Certes, nous pouvons atomiser des villes si la situation échappe à tout contrôle, mais c’est le meilleur moyen de s’aliéner le soutien de la population, et nous ne disposons pas non plus d’une réserve inépuisable de cités. » Drakon montra un écran, sur la paroi du bureau où il était assis, où s’affichaient les images d’une montagne dominant un lac sur une planète lointaine. « Ça vient du système de Baldur.