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— Une assez convenable description de l’emploi, mais qui pourrait sonner de manière un peu trop despotique aux oreilles de nos concitoyens.

— Il serait en effet absurde de chanter vos intentions sur tous les toits, reconnut Togo. Gouverneur ?

— Trop ancillaire.

— Premier ministre ?

— Première parmi les ministres ? Non. Première, point barre. »

Togo consulta de nouveau son unité. « Caïd ?

— Quoi ?

— Caïd. Archaïque. Très archaïque.

— Et pas dans mes cordes, manifestement, renchérit Iceni.

— Grossium ? Pontife ?

— Vous inventez ou vous lisez réellement ?

— Je lis, madame la CECH. Que diriez-vous de tsar, kaiser ou césar ? Les deux premiers dérivent du troisième. » Togo se rembrunit de nouveau. « Ils signifient aussi tyran absolu. Chef, khan, cheikh, pacha, sultan, Celle-qui-doit-être-obéie…

— J’aime bien le dernier.

— Et il vous sied à merveille, convint Togo. Mais il pourrait faire croire aux citoyens que vous vous êtes contentée d’altérer votre marque de fabrique et que vous entendez régner en CECH.

— On ne peut pas leur laisser croire ça, n’est-ce pas ?

— Pourquoi pas présidente ? Ou première citoyenne ?

— Le premier pourrait convenir. Comment devient-on présidente ? »

Togo lut la définition. « Présidence : le mot décrit une position prééminente, mais non spécifique quant à l’origine de son autorité. Elle a été occupée par les dirigeants d’États allant de la dictature absolue jusqu’à des organisations sociales si populistes qu’elles frisaient l’anarchie. Ce serait peut-être le bon choix.

— Présidente Iceni ! » Elle l’articula lentement à haute voix. « La présidente, parce qu’il n’y en aura pas d’autres. Ça me plaît.

— Puis-je être le premier à vous féliciter, présidente Iceni ?

— Tu peux. Allons retrouver le général Drakon. »

La façade de l’immeuble de bureaux abritant les salles de conférence sécurisées qui appartenaient naguère au SSI était d’un aspect tout à fait banal. Hormis le numéro de la rue, elle n’arborait aucune enseigne ou plaque permettant d’identifier ses occupants, et l’immeuble aurait pu héberger n’importe quel commerce anodin. Le SSI avait toujours joué les Janus dans ses relations avec le monde extérieur. D’un côté des systèmes de surveillance omniprésents et parfaitement visibles, ainsi que des QG ou des centres de commande régionaux imposants, signes manifestes de la présence et du pouvoir des serpents. De l’autre, des installations de moindre envergure dissimulées là où l’on s’y attendait le moins, et des systèmes de surveillance conçus pour rester indétectables sauf au matériel le plus sophistiqué. Les citoyens des Mondes syndiqués avaient toujours su le SSI présent, mais jamais où il se trouvait exactement, ce qui contribuait à créer une atmosphère puissamment délétère, mélange de crainte justifiée et de paranoïa.

Mais, à l’intérieur, les serpents n’avaient pas lésiné sur les dépenses. Iceni passa devant un luxueux ameublement avant de se retrouver devant une fenêtre virtuelle qui, du sol au plafond, affichait une vue d’une longue et sublime plage de sable blanc. Elle aurait aussi bien pu se tenir sur ce sable, car elle entendait derrière le rugissement rythmique étouffé du ressac. La planète principale du système de Midway, qui portait d’ailleurs le même nom, abritait de nombreuses plages, dont les plus proches se trouvaient à plus de vingt kilomètres de cet immeuble. Iceni aurait été étonnée qu’il s’agît là d’un rivage voisin. La position du soleil semblait décalée d’environ une heure et la plage de l’image évoquait un des archipels qui parsemaient les océans de Midway, sans doute une de ces chaînes d’îles dont le SSI n’avait autorisé l’accès qu’aux seuls serpents afin qu’ils puissent s’y ébattre en toute intimité. Le petit continent où se dressait la ville, seule autre zone émergée de la planète, offrait aussi bon nombre de jolies plages, mais celles-là étaient toujours noires de monde puisque leur fréquentation était un des rares divertissements que les Mondes syndiqués n’avaient pas trouvé le moyen de restreindre à l’homme de la rue.

La porte s’ouvrit et Drakon entra, suivi de deux soldats. Togo, déjà installé devant la rutilante table de conférence, marmonna quelques mots sotto voce dans son micro. Iceni les reçut distinctement dans son oreillette. « Bran Malin et Roh Morgan. Le général Drakon a changé leur titre de vice-CECH en celui de colonel. Ce sont ses plus proches et plus fiables conseillers. »

Drakon salua Iceni d’un signe de tête. « Tous les gardes du corps sont restés dehors ? Très bien. Voyez-vous une objection à la présence de mes assistants ?

— Aucune si vous n’en voyez pas à celle du mien », répondit-elle en s’avançant vers la table pour prendre place à côté de Togo. Elle ne manqua pas, ce faisant, d’observer subrepticement les deux adjoints de Drakon. À la différence de Togo, qui, à près de cinquante années standard, était à la fois en bonne forme physique et passablement expérimenté, Malin et Morgan devaient friser la trentaine. Tous les deux donnaient l’impression d’avoir à peu près le même âge, mais aussi d’afficher sans aucune forfanterie l’assurance tranquille de gens qui connaissent bien leur boulot.

La porte se referma hermétiquement et une enfilade de voyants verts s’alluma sur son linteau, indiquant que les systèmes de sécurité activés interdisaient désormais intrusions et espionnage. Drakon s’assit en face d’Iceni, flanqué de ses deux colonels. « Voici où nous en sommes à présent, déclara-t-il sans autre préambule. Je contrôle la surface ainsi que les installations les plus importantes de la planète, ce qui m’a été confirmé. Mes gens se livrent encore à des ratissages destinés à vérifier qu’aucun serpent ne s’est enfui vers une des îles. Tant qu’ils n’en auront pas fini et que je ne me serai pas assuré que l’effervescence de la population est retombée, je ne disposerai guère d’effectifs susceptibles d’être distraits. Je contrôle aussi l’installation des forces mobiles proche de la géante gazeuse, mais son personnel ne bougera pas un cil, car il affirme que ces unités sont toujours aux mains des serpents.

— Ça concorde avec les transmissions que j’ai reçues du C-625, déclara Iceni. Il se peut que les autres vaisseaux, soit un croiseur léger et trois avisos, soient encore commandés par leurs officiers, mais les serpents qui se trouvent à leur bord sont certainement sur le qui-vive, et on n’en triomphera pas aisément.

— Vont-ils réduire l’installation au silence ? s’enquit Drakon.

— Je ne le pense pas, répondit Iceni. Elle reste d’une valeur inestimable pour ceux qui contrôleraient le système stellaire et ils n’ont pas reçu de leurs supérieurs l’ordre de la détruire. Selon moi, ils vont plutôt gagner le portail de l’hypernet pour rapporter au gouvernement de Prime ce qui s’est passé ici. »

Drakon fit la grimace. « Et vous avez aussi perdu deux autres croiseurs ? »

Le coup était cinglant. « Je n’ai perdu qu’un seul autre croiseur, le C-990, vaisseau amiral de Kolani. Elle l’a sabordé. Les unités de propulsion principales du C-818 ont été sévèrement endommagées par l’explosion, mais j’ai d’ores et déjà dépêché d’autres vaisseaux pour le remorquer aux fins de réparations. Nous disposerons de quatre croiseurs lourds pour défendre le système. » Ce ne fut qu’au moment de donner cette précision qu’Iceni se rendit compte de la pathétique faiblesse de cette flottille.

Mais le colonel Malin se fendit le premier d’un commentaire : « Ce n’est sans doute pas grand-chose, mais, comparé à ce qui reste à présent disponible, tant dans l’espace syndic qu’aux mains du gouvernement de Prime, c’est pourtant une force défensive appréciable.