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En quittant la passerelle, bien décidée à s’étendre pour se reposer, elle remarqua du coin de l’œil que tous les spécialistes affichaient une mine satisfaite.

Le général Drakon fixait d’un œil amer le tout dernier rapport du renseignement. Ces rapports, ne fût-ce que quelques mois plus tôt, étaient beaucoup plus longs et bien plus simples. Ils se divisaient à l’époque en deux catégories. Ceux concernant l’Alliance contenaient les derniers éléments qu’on avait appris sur les intentions et les capacités de l’ennemi, ainsi que des informations sur ses opérations et pertes récentes. Au mieux, ils réussissaient à identifier correctement les systèmes stellaires où s’étaient déroulés ces combats. S’agissant des intentions, on avait le plus souvent affaire à d’un bouquet d’hypothèses ; quant aux capacités, il était rare d’y trouver des changements d’importance. Et, bien entendu, ces informations arrivaient toujours avec un certain retard, parfois de plusieurs mois quand on se trouvait loin de la frontière avec l’Alliance, comme par exemple à Midway. Même plus près du front, celles portant sur d’autres secteurs dataient de quelques semaines dans le meilleur des cas.

Pour la catégorie ayant trait aux Mondes syndiqués, les rapports étaient presque toujours plus brefs et encore moins utiles. Les chiffres des pertes réelles des forces respectives n’étaient jamais exacts, les défaites jamais consignées et il fallait démêler l’écheveau par le truchement du bouche à oreille et des contacts officieux. Déjà entachés d’une désinformation délibérée, les plans des Mondes syndiqués étaient aussi sujets à de brusques modifications de dernière minute lorsqu’un CECH influent tombait en disgrâce et que son remplaçant nourrissait d’autres projets. Et, bien sûr, là aussi ces rapports arrivaient trop tard.

Néanmoins, dans les hautes sphères, chacun était censé connaître leur teneur, de sorte que leur lecture était quasiment obligatoire ; en outre, quoi qu’il en fût, ils contenaient des indices essentiels sur ce que se croyaient vos supérieurs et ce qu’ils voulaient vous faire croire.

Le rapport que Drakon avait pour l’instant sous les yeux était certes bien moins épais, mais il ressortissait à davantage de catégories : Midway ; les systèmes stellaires locaux ; les Mondes syndiqués ; l’Alliance ; d’autres systèmes ; l’espèce Énigma. La plupart des informations étaient fragmentaires et le décalage temporel s’était encore accru dans la mesure où le transit à travers l’espace naguère contrôlé par les Mondes syndiqués s’était fait plus problématique et où les réseaux officiels s’étaient effondrés en même temps que le pouvoir des Syndics. Mais au moins reflétaient-elles la vérité telle qu’on en avait connaissance. Ou, tout du moins, telle que la connaissait le colonel Malin.

Midway. Stable, de manière presque suspecte : les citoyens embrassaient avec enthousiasme la perspective d’élections destinées à pourvoir les postes subalternes. L’euphorie soulevée par l’anéantissement des serpents ne s’était pas encore entièrement dissipée, et les représailles des Mondes syndiqués se faisaient toujours attendre. Le commerce était sans doute moins actif qu’il ne l’aurait dû, mais il en prenait le chemin depuis un certain temps. D’une certaine façon, les Mondes syndiqués qui, sous la pression de la guerre, partaient en quenouille depuis des années (voire des décennies) maintenaient, grâce à leur puissance militaire, une façade de solidité qui masquait un vide sans cesse croissant et les dissensions qui les secouaient.

Taroa. Trois factions luttant pour le contrôle du système. Aucune n’était assez forte pour l’emporter. Malin l’avait souligné. Il tenait à ce que Drakon y réfléchît.

Kane. D’une importance critique, mais on n’en avait toujours aucune nouvelle. Tant qu’un vaisseau ne reviendrait pas porteur d’un message d’Iceni, on ne pourrait que s’interroger sur ce qu’elle y avait trouvé, sa réussite ou son échec.

Les Mondes syndiqués. Rien de bien neuf. Un vaisseau marchand arrivé récemment avait apporté un message du CECH Jason Boyens destiné à Iceni, et Malin avait réussi à l’intercepter assez longtemps pour en recopier la teneur. Malheureusement, Boyens ne disait pas grand-chose qu’on ne savait déjà. Le nouveau gouvernement était sans grand pouvoir, tout le monde cherchait à accaparer position et influence, et les systèmes stellaires continuaient à rompre avec l’autorité centrale.

Le message était parti de Prime longtemps avant que la nouvelle de la rébellion de Midway ait pu atteindre la capitale de sorte qu’il ne donnait aucune indication sur les réactions du pouvoir.

L’espèce Énigma. RAS. Si la flotte de Black Jack avait encore mis un coup de pied dans leur fourmilière, les extraterrestres devaient toujours être aux prises avec l’Alliance.

D’autres systèmes. Untel était livré au chaos, tels autres avaient déclaré leur indépendance sous la tutelle d’un ou de plusieurs CECH relativement puissants, tel autre encore se ralliait à une assez lâche confédération de systèmes voisins pour s’assurer une protection que le gouvernement central ne pouvait plus lui fournir. Ce paragraphe était le plus ancien et le plus parcellaire, donc le moins fiable.

L’Alliance. Entretien personnel requis.

« Colonel Malin, j’aimerais vous parler. » Drakon attendit que Malin fût entré et eût refermé la porte derrière lui. « Ce paragraphe sur l’Alliance ? De quoi s’agit-il ? »

Malin consulta les voyants du système de sécurité avant de répondre. « J’ai réussi à accéder à certains dossiers personnels de la présidente Iceni, mon général.

— Ç’a dû être extrêmement difficile.

— Très excitant. Je n’ai pas réussi à tout récupérer, loin de là, mais au moins les enregistrements de ses conversations avec la flotte de l’Alliance. Ceux que les serpents eux-mêmes n’ont jamais trouvés. »

Drakon s’accorda un instant pour songer à la tournure différente qu’aurait pu prendre l’histoire, et particulièrement la sienne, si Malin avait travaillé pour les serpents. « On dispose à présent de copies ?

— Je n’ai pas pu les copier, mon général. Ils étaient verrouillés et ç’aurait laissé des empreintes trop distinctes. Mais j’ai enregistré un résumé de ce que j’ai visionné. » Malin tendit son lecteur. « Ce qu’on nous a dit des entretiens entre la présidente Iceni et l’amiral Geary au premier passage de la flotte de l’Alliance, quand elle a vaincu la flottille Énigma, semble exact. La présidente n’a pas cherché à dissimuler d’éléments importants.

— Et la deuxième fois ? Quand elle prétend avoir passé un marché avec Black Jack.

— J’ai trouvé ceci, mon général. » Malin fixa son lecteur en fronçant les sourcils. « En réalité, Black Jack n’a pas promis à Iceni de soutenir son action mais de l’aider à défendre Midway contre l’espèce Énigma. Et de ne pas démentir publiquement toute assertion d’Iceni portant sur une promesse de protection plus étendue, alors qu’il ne lui a rien proposé ni promis de tel.

— Hah ! » Était-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? « Donc la présidente Iceni n’a pas le bras aussi long qu’elle le prétend. Elle ne dispose pas d’un soutien majeur dans toutes ses entreprises.

— C’est exact, mon général. Mais Midway s’en trouve encore plus menacé, car nous ne pouvons plus compter sur une flotte de l’Alliance qui s’opposerait activement à une contre-offensive des Syndics. Cela étant, Iceni en aura d’autant plus besoin de votre appui.