Выбрать главу

— Je peux m’en charger, en effet, répondit Morgan en souriant. Ou tout bonnement nous en débarrasser. Ce qui enverrait un signal fort à sa patronne et à tout le monde.

— Togo n’est pas facile à abattre, prévint Malin.

— Moi non plus. Pourtant il m’arrive parfois de tourner le dos, pas vrai ? le nargua-t-elle. Mon général, la présidente doit absolument savoir qui dirige réellement ce système stellaire. Comme d’ailleurs tous ses citoyens.

— Je reste conscient qu’on doit me traiter avec tout le respect qui convient, déclara Drakon. Mais je ne me sens pas encore prêt à envoyer un signal aussi clair à la présidente. À qui d’autre devrait-on donc rappeler ma position ?

— À certains citoyens, lâcha Morgan, goguenarde. De ces crétins qui cherchent à se faire élire aux conseils locaux. Leurs tracts contiennent parfois des commentaires qui mériteraient de sévères coups de semonce de votre part.

— Ils relâchent seulement la vapeur, affirma Malin. Ça fait soupape de sûreté.

— On pourrait aussi éliminer la cause de la pression ! aboya Morgan.

— Toutes les options restent ouvertes, articula Drakon pour mettre un terme à leur dispute. Tout ce que je vois, c’est que la grande majorité des citoyens nous regardent encore, la présidente et moi, comme des héros qui les ont libérés des serpents. Si je commence à liquider ceux qui disent le contraire, cette image sera très vite écornée. Cela étant, si quelqu’un s’avisait de joindre le geste à la parole ou se ralliait un trop large auditoire, ce serait une tout autre affaire. »

Malin reprit la parole : « Mon général, si vous organisiez demain des élections honnêtes, les citoyens voteraient en masse pour Iceni et vous. Nul ne pourrait alors prétendre que vous tenez votre pouvoir d’une autre source que du peuple lui-même.

— Pourquoi ferait-il cela ? objecta Morgan. Pourquoi laisser croire une seule seconde au “peuple” qu’il a voix au chapitre et peut décider si oui ou non le général Drakon mérite d’être aux commandes ? »

Malin montra le ciel. « Nous ne vivons pas en autarcie. Il existe d’autres puissances. Il faut en tenir compte. »

Drakon dévisagea Malin. Morgan l’imita puis éclata de rire. « Invoquerais-tu maintenant la peur des fantômes pour étayer tes arguments ? Tu as côtoyé trop longtemps les travailleurs.

— Tu peux donner cette interprétation à ma dernière assertion, comme tu peux y voir une allusion aux Mondes syndiqués, par exemple, répondit froidement Malin. Ils n’ont pas disparu. Nous ne disposons que d’une flottille pathétique pour nous défendre, du moins jusqu’au retour de la présidente Iceni. Si elle ne perdait aucune des unités qu’elle a emmenées mais sans gagner un cuirassé, alors cette flottille serait toujours pitoyable. Ramènerait-elle au contraire un cuirassé qu’elle resterait ridiculement faible. Et, comme nous le savons tous, les Mondes syndiqués ne se contenteront pas des forces terrestres et mobiles pour nous attaquer. Ils chercheront à nous affaiblir par tous les moyens, fomenteront des troubles civils, saperont nos défenses par le sabotage et recourront à toutes les ruses du manuel syndic pour faciliter leur reconquête du pouvoir et faire de nous une proie plus facile. Nous l’avons vu de l’intérieur. Nous avons joué nous-mêmes toutes ces cartes. Notre première ligne de défense, ce ne sont pas les forces mobiles. Ni les forces terrestres. Les citoyens de ce système stellaire doivent désormais se convaincre qu’il est le leur, que le général Drakon et la présidente Iceni sont leurs dirigeants et que nous sommes leur meilleur bouclier contre les agressions extérieures. Alors seulement ils soutiendront fermement nos forces quand elles défendront ce système.

— Le seul soutien ferme, c’est une colonne vertébrale solide, répliqua Morgan.

— Autre chose ? » intervint Drakon d’une voix qui coupa court au débat. Il n’avait aucune envie d’y revenir alors qu’il cherchait à deviner les intentions de Black Jack et s’inquiétait de ce qu’il était advenu d’Iceni.

Malin inspira profondément. « J’aimerais aborder avec vous un autre sujet, mon général. Le système stellaire de Taroa. »

Du coup, Morgan leva les yeux au ciel. « Comptes-tu suggérer au général de s’y rendre pour exhorter la population à faire la paix ?

— Non. Je compte lui suggérer de s’y rendre avec des troupes pour intervenir dans les combats. »

Morgan laissa transparaître une seconde sa stupeur puis sourit. « J’aimerais assez entendre ça. »

Iceni n’avait pas dormi depuis des jours, et les quelques dernières heures avaient été particulièrement éprouvantes. Elle finit par jaillir de sa cabine et gagner en trombe la passerelle du croiseur lourd, tandis que les matelots s’écartaient sur son passage. « Pourquoi diable ce cuirassé n’est-il toujours pas prêt à s’ébranler ? »

La kommodore Marphissa déglutit fébrilement avant de répondre. « Encore une heure, madame la présidente, affirment les ingénieurs et les spécialistes des systèmes.

— Ils l’ont déjà dit il y a une heure !

— Madame la présidente ? »

Iceni pivota : le sous-chef Kontos venait d’entrer à son tour sur la passerelle.

« Je venais vous faire mon rapport, madame la présidente », déclara-t-il. Encore très émacié en dépit du repos qu’il avait pris, de l’eau et des aliments qu’il avait ingurgités, il ne vacillait pourtant plus sur ses jambes, même face à une CECH furibonde. « Une heure, pas davantage. Je vous le garantis personnellement. »

Déjà passablement discrète, la passerelle fut soudain plongée dans un silence de mort. Sous la férule syndic, de telles prises de responsabilité personnelles se soldaient parfois par une récompense mais le plus souvent par un châtiment sévère.

Iceni dévisagea Kontos. « Savez-vous ce qu’il est advenu de la dernière personne qui n’a pas réussi à s’acquitter de sa tâche comme elle me l’avait promis, sous-chef Kontos ?

— Je n’ai pas à m’en inquiéter, madame la présidente. Il n’y aura pas de contretemps. Le CU-78 sera prêt à s’ébranler dans une heure. »

Le calme et l’assurance de Kontos impressionnèrent Iceni malgré sa fureur. Soit il était courageux et compétent, soit c’était un crétin consommé, incapable d’appréhender le sort auquel le vouaient ses propres paroles. « Une heure, sous-chef Kontos. Faute de quoi vous risquez de vous retrouver dans le vide en combinaison de survie, à tenter de pousser vous-même le cuirassé vers le point de saut.

— Compris, madame la présidente. » Kontos salua et sortit.

Sa fureur échaudée par la prestation du bonhomme, Iceni se tourna vers la kommodore Marphissa, laquelle fixait encore la place où il s’était tenu. « Ce garçon est cinglé, affirma celle-ci.

— Aimeriez-vous qu’il devienne un de vos officiers, kommodore Marphissa ? demanda Iceni.

— Certainement. Ce serait un atout formidable. S’il ne me faut pas l’abattre.

— Alors je vais vous faire part de ce que je viens tout juste de décider. Si ce cuirassé fait route dans une heure ou moins, Kontos sera votre second dès que vous prendrez le commandement du Midway. »