— C’est du ressort des forces mobiles, mon général.
— Et nous en manquons cruellement. »
Malin se raidit : son unité de com avait sonné et il en consulta l’écran. « Un aviso vient d’émerger au point de saut de Kane. Il a envoyé un message. Il vous est destiné personnellement.
— Retransmettez-le-moi. » Drakon attendit impatiemment qu’il apparût dans sa boîte de réception puis cliqua dessus.
Iceni lui décocha un sourire de triomphe. « J’ai le plaisir de vous annoncer que nous avons défait à Kane une flottille contrôlée par les serpents et pris le contrôle du cuirassé en chantier. Dès qu’il pourra s’ébranler, nous regagnerons Midway. » Des dossiers joints détaillaient les événements.
Drakon les parcourut rapidement. « La présidente Iceni n’a perdu aucune unité. En réalité, elle en a même ajouté quelques-unes à sa flottille. En sus du cuirassé.
— Sous quel délai rentre-t-elle ? s’enquit Malin.
— Elle ne le dit pas. Appelle cet aviso et ordonne-lui de se détourner vers le point de saut pour Lono. Il devra y émerger, observer le système et rentrer. » La flottille syndic de Lono était peut-être déjà en route pour Midway, auquel cas elle rappliquerait avant même que l’aviso, surgissant à Lono, eût constaté que nulle menace ne l’attendait dans ce système. Cela étant, on n’y pouvait strictement rien. « Quelles seraient les chances de survie de notre unique croiseur lourd, le C-818, contre une flottille de trois de ses semblables ? »
Malin secoua la tête. « À ce que j’ai pu apprendre de la commandante du C-818, elle fuirait probablement au lieu de combattre.
— Et je ne peux pas la remplacer à cause du marché que j’ai passé avec la présidente Iceni. Mais elle pourrait avoir un accident. Morgan s’en chargerait.
— Je vous le déconseille vivement, mon général. La commandante du C-818 est restée à bord de son unité en orbite. Elle est assez avisée pour se rendre compte que c’est pour elle la décision la plus salubre. Tant qu’elle sera là-haut, on aura le plus grand mal à l’atteindre et, s’il lui arrivait malheur, nier notre responsabilité serait encore plus ardu.
— Bon sang ! Il faut espérer que la flottille syndic de Lono ne déboulera pas avant le retour d’Iceni. »
Quatorze
« Ici le cadre supérieur de deuxième échelon Fon, commandant par intérim du CL-187. Je m’adresse à la présidente Iceni. »
Celle-ci visionnait le message, le menton en appui sur sa main. Le croiseur léger CL-187 se trouvait à quatre heures-lumière et demie et s’approchait de la deuxième planète, de sorte qu’il ne s’agissait pas précisément de nouvelles fraîches ; néanmoins, c’étaient les plus récentes informations qu’elle recevait de ce secteur du système de Kane. Rampant au train du cuirassé, sa propre flottille était encore à près de trente minutes-lumière du point de saut pour Midway, soit seize heures de transit à sa vélocité présente.
« Nous atteindrons la deuxième planète dans trois heures avec le cargo abritant les réfugiés de l’installation des forces mobiles, poursuivait Fon. J’ai donc exaucé vos vœux, présidente Iceni, en assurant leur sécurité. Tout le plaisir était pour moi. »
Fon s’aplatissait comme seul en était capable un authentique cadre supérieur, obséquiosité qu’un serpent travesti aurait eu le plus grand mal à contrefaire.
« Nous avons parlé avec nos gens de la deuxième planète, reprenait-il. Ils nous ont appris qu’il y avait eu beaucoup de festivités et quelques manifestations contre la forme que prenait le nouveau gouvernement, mais pas de combats. Nous ne nous attendons pas à rencontrer de problèmes pour les récupérer avant de regagner Cadez. »
C’était une bonne nouvelle. Iceni était lasse de voir des gens s’entre-tuer à mesure que s’effritait la discipline de fer des Mondes syndiqués. Un petit répit serait le bienvenu, et peut-être l’absence de nouvelles violences interdirait-elle aux plus radicaux des travailleurs de s’emparer du pouvoir.
« Une fois notre mission accomplie et nos gens récupérés, le CL-187 retournera à Cadez. Emprunter votre portail de l’hypernet nous faciliterait sans doute le voyage en le raccourcissant et en le rendant moins périlleux. Nous espérons qu’en contrepartie du service rendu vous nous y autoriserez à notre arrivée à Midway. »
Évidemment ! Ils attendaient d’elle une faveur. Pas étonnant que Fon et son croiseur léger se fussent pliés à ses instructions. L’effondrement des Mondes syndiqués n’avait rien changé à la manière dont ces gens procédaient.
« Nous serons heureux de vous fournir les dernières informations que nous avons reçues de Kane dès notre arrivée, concluait-il. Au nom du peuple, Fon, terminé. »
Parfait. Il était assez retors pour lui faire également miroiter cette offre en guise de témoignage de bonne volonté. Lui fournir ces précieuses informations ne leur coûterait rien, ni à Fon ni à son croiseur léger, mais ils s’attendaient en revanche à ce qu’elle leur permît d’emprunter le portail par gratitude.
Elle se redressa, vérifia sa tenue puis enfonça la touche de transmission. « Cadre supérieur Fon, votre unité et vous-même serez les bienvenus à Midway. J’ai hâte d’apprendre de votre bouche les dernières nouvelles de Kane. Compte tenu des services que vous avez rendus aux citoyens de ce système et à moi-même, votre libre accès au portail de l’hypernet de Midway ne devrait poser aucun problème. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »
Près de cinq heures s’écouleraient avant que le CL-187 ne reçoive sa réponse, et seize encore, hélas, avant que la flottille d’Iceni ne saute vers Midway. S’ensuivraient six jours de purgatoire dans la grisaille infinie de l’espace du saut. Encore que cette reptation interminable jusqu’au point de saut, dans l’espace conventionnel, ne méritât pas moins le qualificatif de purgatoire.
Mais au moins celui-ci aurait-il un terme. Elle passa assise sur la passerelle la dernière heure précédant l’arrivée au point de saut de sa flottille recomposée. Elle rentrait au bercail avec un cuirassé, trois croiseurs lourds, six croiseurs légers et neuf avisos. Soit une force encore réduite, certes, comparée à celles déployées durant la guerre, mais qu’on ne pourrait plus ignorer impunément.
Du moins quand le cuirassé serait opérationnel. « Sautez pour Midway dès que vous serez prête, kommodore Marphissa. »
Les étoiles disparurent de nouveau.
Troisième jour dans l’espace du saut. Encore trois autres à tirer. Au terme de ce délai, la singularité de l’espace du saut commencerait à peser sur eux tous. Iceni n’avait de cette sensation qu’un souvenir trop vivace : l’impression d’être dans la peau d’une autre, d’être étrangère à soi-même, de s’introduire dans un séjour qui n’est pas destiné aux hommes. Lorsqu’on en arrivait là, elle n’avait aucune envie de s’y attarder plus que nécessaire.
L’alerte de son écoutille carillonna. Elle consulta le système de surveillance et les dispositifs de sécurité, constata que Marphissa se tenait seule derrière et n’était pas armée. « Entrez, kommodore. »
Marphissa resta un instant plantée sur le seuil, comme indécise. « Je tenais à vous dire une chose, madame la présidente.
— Que vous me remerciez de vous avoir confié le commandement du cuirassé. » Elle déclina d’un geste. « C’est tout vu. Je vous en sais capable.
— Non, madame la présidente. Il ne s’agit pas de moi. Je voulais vous dire ma reconnaissance pour ce que vous avez fait à Kane. Pour avoir autorisé le sauvetage des occupants de l’installation des forces mobiles. »