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— J’aurais dû la voir, protesta-t-elle. Je suis responsable de la défense globale de ce système. Pourquoi ne me l’a-t-on pas montrée ?

— Elle était adressée à la commandante en chef Kolani. » Iceni ne s’était pas attendue à trouver Hardrad crispé, mais le voir la toiser comme si elle n’était qu’un pion dans une partie dont l’issue était d’ores et déjà établie n’en restait pas moins désarmant. « Pourquoi êtes-vous en orbite ? s’enquit-il.

— En ma qualité de CECH le plus haut gradé du système stellaire, je suis responsable de toutes les possessions des Mondes syndiqués. » D’un geste négligent, elle balaya son environnement de la main. « Je mène une inspection de ce bâtiment.

— Aucune n’était prévue.

— Je préfère les prendre au dépourvu, répondit-elle. Les résultats sont plus concluants.

— C’est vrai », convint Hardrad. Un homme moins dur aurait sans doute laissé transparaître une manière de sentiment, la reconnaissance implicite et teintée d’un humour funeste qu’ils parlaient avant tout du SSI et de ses méthodes. Mais pas Hardrad. Il ne cilla même pas. « Néanmoins, votre inspection devra se tenir un autre jour. J’ai besoin de vous voir en personne. Tout de suite. »

Iceni affecta son expression la plus outrée. « Parce que la CECH Kolani, qui commande aux forces les plus dangereuses de ce système, m’accuserait d’une négligence qui incombe probablement à son service des transmissions ? Je n’ai aucun contrôle sur les communications militaires.

— Non, effectivement. Nous devons nous entretenir de ceux qui l’exercent. Vous comprenez ? »

Ainsi Hardrad soupçonnait Drakon ? Assez logique compte tenu des circonstances, pourtant… Si Hardrad a lui aussi reçu enfin ses ordres, il tiendra à m’avoir à sa merci dans son QG pour sonder mon esprit et toutes les pensées séditieuses qui l’ont traversé. Et le meilleur moyen de m’attirer chez lui n’est-il pas d’insinuer que nous allons œuvrer conjointement contre Drakon ?

Du moins si celui-ci ne m’a pas effectivement trahie.

« Nous devrions en discuter sans plus tarder, Gwen », poursuivit Hardrad. Elle n’avait jamais aimé qu’il l’appelât par son prénom lors de conversations officielles, sous-entendant à la fois une sorte de familiarité mais aussi son infériorité. « J’ai avisé les représentants du SSI à bord du C-448. Quelques-uns vous escorteront jusqu’à la surface. »

Iceni fixa longuement l’écran noir après la disparition de l’image de Hardrad. En dépit de tout son pouvoir, l’homme devait au moins feindre le respect devant des commandants en chef plus haut gradés. En agissant ainsi aussi ouvertement contre elle, il faisait montre d’une trop grande assurance. Que sait-il ? Elle consulta l’heure et retint son souffle. Drakon aurait dû lancer l’assaut deux minutes plus tôt.

« Vos ordres ? » s’enquit Akiri à voix basse.

Frapper tout de suite les représentants du SSI, à bord de ce vaisseau comme des autres ? Si Drakon avait seulement repoussé l’heure de son intervention, s’il ne l’avait pas tout bonnement livrée aux serpents, elle risquait en agissant elle-même dans l’immédiat de dévoiler l’assaut imminent de son allié, lequel assaut devait impérativement réussir. Si d’aventure la connexion entre le SSI et ses représentants à bord du C-448 était rompue, Hardrad le saurait aussitôt. Autant, dans ces conditions, annoncer publiquement qu’elle prenait le commandement de toutes les forces mobiles et exigeait de Kolani qu’elle se soumît à son autorité. Il lui faudrait d’ailleurs s’y résoudre si l’intervention de Drakon à la surface ne déclenchait pas la réaction de ses propres agents à bord des autres vaisseaux de guerre avant que les serpents n’eussent frappé les officiers des unités régulières ou activé les virus incapacitants dont on savait que la Sécurité interne en implantait dans tous les systèmes critiques.

Akiri venait de recevoir un message sur sa propre unité de com ; il se tourna vers Iceni. « Les représentants du SSI à bord de ce bâtiment arriveront dans cinq minutes pour vous escorter vers la surface. »

Que diable fabrique Drakon ? Pourquoi tarde-t-il tant ? Ou bien m’a-t-il déjà poignardé dans le dos ? Auquel cas, il me faut agir maintenant si je veux sauver ma peau.

« Vos ordres ? » répéta Akiri d’une voix plus pressante mais aussi plus angoissée.

Deux

Drakon avait l’impression que le temps s’était figé : les troupes d’assaut se livraient à d’infimes modifications de leurs positions préétablies en s’efforçant de soigneusement dissimuler chacun de leurs mouvements au QG du SSI. Lui-même ne quittait pas le complexe des yeux : tout lui paraissait parfaitement normal, tant sur les fréquences de transmission que dans tous les spectres visibles, mais il commençait à regarder la normale comme une menace.

« Force d’assaut Trois parée, annonça Morgan.

— Parfait. Méfiez-vous de ces vipères dès notre irruption, Roh. Elles sont coriaces.

— Nous le sommes encore plus. Et tous nos troufions les haïssent. Qui d’entre nous ne connaît pas quelqu’un qui a été fourré dans un camp de travail, voire pire, par ces vipères ou d’autres serpents ? »

Drakon hocha pensivement la tête en songeant aux affres qu’il avait connues pendant des décennies lorsqu’il se demandait chaque matin, où qu’il se trouvât, si la porte n’allait pas s’ouvrir à la volée et vomir une escouade de vipères mandées par le SSI pour l’embarquer aux fins d’interrogatoire, à propos de crimes qu’il aurait ou n’aurait pas envisagé de commettre mais qu’il confesserait assurément sous la torture physique et mentale. Il se demanda brièvement s’il existait dans les Mondes syndiqués une seule personne qui n’eût pas souffert ces angoisses. Les serpents. Le sobriquet communément attribué au personnel du SSI en disait long sur le point de vue unanime à son égard ; cela dit, il s’était toujours montré assez vicieusement efficace pour faire taire toute dissension.

Jusque-là.

Morgan reprit la parole, d’une voix cette fois exaspérée. « Les chefs d’unité demandent à quelle attitude ils doivent se conformer au sujet des prisonniers. Devons-nous prendre des serpents vivants ? »

La réponse coulait de source. « Ils ne laisseront rien filtrer ou ne sauront rien d’intéressant, du moins s’ils n’ont pas été conditionnés pour se suicider en cas de capture. Croyez-vous vraiment que des vipères chercheraient à se rendre, sachant ce que les soldats ressentent à leur endroit ? »

Morgan laissa échapper un gloussement satisfait. « Non. Elles se battront jusqu’à la mort, conscientes du sort qui leur serait réservé si elles étaient capturées en vie. J’espère pourtant faire quelques prisonniers. »

« Force d’assaut Deux parée, annonça Malin environ une minute plus tard.

— Comment sont vos gens ? lui demanda Drakon. Ont-ils l’air de vaciller ?

— Non, monsieur. Ce sont nos troupes d’élite. Ils attendent ça depuis toujours. Et vous n’êtes pas un CECH ordinaire. Vous êtes le seul qui se soit jamais soucié de leur condition. Ils vous sont loyaux. Vous allez avec eux au casse-pipe. Combien de CECH en sont-ils capables ? Rallier à vous le reste des forces planétaires prendra peut-être un peu de temps, mais vous avez une excellente réputation. »