De toutes les positions qu’il fallait investir, le poste de commande principal était celui où l’on pouvait s’attendre à la plus forte résistance. Partout ailleurs, la vague des soldats continuait à se répandre avec fluidité, et il ne restait plus aucun défenseur debout hormis un soldat loyaliste qui levait les bras et montrait ses mains vides. « Que vous semble-t-il, colonel Gaiene ?
— Des équipes à moi sont en train de vérifier les dernières positions, mon général. Mais on dirait bien que nous avons enlevé celle-ci. »
Quelques minutes plus tard, Gaiene rappelait. « Tout est sécurisé. Bizarre qu’une troupe ait tenté si âprement de s’emparer d’une coque vide qui n’aurait été opérationnelle qu’après plusieurs mois de travail.
— Nous devrions avoir bientôt des nouvelles des soldats qui sont allés se renseigner. » Drakon étudia la liste des données que retransmettait la cuirasse de Gaiene. « Nous avons eu quelques pertes.
— Ç’aurait pu être bien pire, mon général. Ç’a l’a été en tout cas pour les défenseurs. » Exaltation et excitation désertèrent la voix de Gaiene, remplacés par une lassitude teintée de morosité. « J’ai reçu un rapport des soldats qui ont exploré la coque. Ils ont trouvé les deux paquets auxquels tenaient tant les serpents. »
Une vidéo s’afficha sur un des côtés de la visière du casque de Drakon. « Deux bombes nucléaires, précisa un ingénieur. Planquées derrière de fausses cloisons. Nous avons coupé la connexion chargée de leur déclenchement par télécommande avant qu’ils les aient fait exploser, de sorte qu’ils ne pouvaient plus y parvenir que manuellement.
— Ils ne tenaient visiblement pas à ce qu’on s’empare de cette coque, fit remarquer le capitaine qui avait conduit la perquisition. S’ils avaient fait exploser ces bombes, c’est toute l’installation qui aurait sauté.
— Désamorcez-les, désassemblez-les et embarquez-les », ordonna Drakon. La nouvelle de l’exploit d’Iceni à Kane aurait-elle déjà atteint Taroa, entraînant la mise en place de mesures de sécurité renforcées contre les vols de vaisseaux inachevés ? Ou bien n’était-ce que le reflet de la paranoïa des serpents, redoutant une rébellion des chantiers spatiaux ? Il se souvint de la manière dont avaient coopéré certains des prisonniers en se retournant contre les serpents qu’ils côtoyaient jusque-là. « Colonel Gaiene, je tiens à ce qu’on procède à une évaluation des soldats loyalistes qui se sont rendus avant de décider s’ils seraient candidats à un recrutement. À ce que je vois, il s’agit de soldats syndics, contrairement aux locaux taroans.
— Ça correspond à mes propres informations, mon général, répondit Gaiene. Manifestement, les serpents d’ici ne se fiaient pas aux autochtones.
— Ni non plus aux réguliers loyalistes. À bon escient. »
Le sourire de Gaiene était empreint à la fois de mélancolie et de satisfaction. « Ça n’aurait pas pu arriver à plus mignon nid de reptiles. Nous allons proposer à ces soldats de rallier nos rangs et nous verrons bien ce qu’il adviendra. Il nous faudra filtrer soigneusement tous les volontaires avant d’accepter leur candidature, j’imagine ?
— Vous imaginez bien. Trop de serpents agissant en sous-marin sont déjà apparus à Midway.
— Et pour les civils ?
— Nous les trierons au coup par coup. Pour l’instant, je vais garder cette installation bouclée pendant encore une heure puis je la rouvrirai graduellement. Ça devrait interdire aux civils de faire une sottise et aux agents des serpents de tenter un mauvais coup avant que nous ne soyons fins prêts. »
Éreinté mais soulagé que la nécessité de se concentrer sur des corvées de nettoyage fît retomber la poussée d’adrénaline consécutive à l’opération, Drakon appela le cargo. « Passez-moi l’opératrice en chef Mentasa. » En appeler à Mentasa comportait sans doute des risques, mais compensés par certains avantages, dont celui d’avoir affaire à quelqu’un que connaissaient les travailleurs et à qui ils se fiaient. En outre, Mentasa avait une connaissance directe des spécialistes dont on aurait le plus besoin pour achever la construction du cuirassé à Midway.
« Voilà, mon général. » Mentasa faisait de son mieux pour adopter une posture militaire, bien que les quartiers du cargo, bondés comme ils l’étaient, rendissent cette tentative malaisée et même un peu inepte compte tenu de sa tenue de travailleuse civile.
« L’installation a été investie. Elle est encore bouclée, mais j’aimerais que vous vous installiez aux transmissions. Je vous envoie une autorisation afin que vous puissiez outrepasser nos blocages. Commencez par vous adresser aux gens de votre connaissance. Apprenez-leur qui nous sommes, rassurez-les, affirmez-leur qu’ils sont en sécurité, tâchez de découvrir ce qu’ils construisaient dans le chantier principal et voyez si certains verraient d’un bon œil leur recrutement par Midway. J’aimerais aussi savoir tout ce que vous pourriez apprendre sur la coque du chantier principal. Croiseur de combat ou cuirassé, depuis quand, le délai qu’exigera encore son achèvement, et si Taroa dispose de tout ce dont il est besoin pour le finir.
— À vos ordres, mon général. » Mentasa hésita. « Contacter quelqu’un sur la planète est-il autorisé, mon général ?
— Pour des raisons personnelles ou professionnelles ? demanda Drakon, qui connaissait déjà la réponse pour l’avoir lue dans les yeux de l’opératrice en chef.
— Les deux. Si c’est…
— Ça me va. Mais seulement après que vous aurez parlé aux citoyens d’ici et obtenu des renseignements sur cette coque en construction. Faites savoir à votre population que vous allez bien. D’ici là, j’aurai appris aux Taroans la raison de notre présence. »
Drakon s’accorda quelques instants pour vérifier sa tenue et son apparence. Il s’efforçait d’avoir l’air impressionnant sans paraître trop intimidant. Les Libres Taroans avaient ouvert des canaux de communication, bien entendu, pour diffuser leur propagande et chercher à recruter. Le logiciel de com de Drakon en détourna un au plus vite. « Ici le général Drakon du système stellaire indépendant de Midway. Mes soldats contrôlent maintenant le chantier spatial principal de Taroa. Nous sommes venus épauler les Libres Taroans. Je demande à leurs chefs de me contacter aussi vite que possible par ce canal. »
La réaction devrait être rapide.
Cela dit, la manière dont ils réagiraient à ce soutien inattendu restait la plus grosse incertitude du plan. Si jamais ils renâclaient, redoutaient davantage Drakon et son appui qu’ils ne désiraient vaincre, la situation risquait de légèrement se compliquer, surtout s’il insistait pour conserver les chantiers spatiaux.
Il allait devoir attendre. Tous les problèmes ne se règlent pas militairement.
Seize
La réponse des Libres Taroans lui parvint près d’une demi-heure plus tard, délai qu’il avait escompté de la part d’un groupe qui semblait croire que toute décision devait être prise à main levée.
Il reconnut la femme qui s’adressait à lui, mais de manière très floue, sans parvenir à mettre le doigt sur son identité exacte.