— Comme vous voudrez, mon général. Content que nous ayons eu cette conversation.
— J’y ai moi aussi pris plaisir, colonel Gaiene. »
Le colonel Kaï fut le suivant à faire son rapport. Il semblait quelque peu penaud. « Nous avons une poche de résistance. » La retransmission vidéo montra à Drakon un grand immeuble à la façade déjà criblée de balles, d’où se déversait un déluge de feu dès que des soldats de Kaï pointaient le museau.
« Des durs à cuire se sont barricadés dans un bâtiment bourré de civils », expliqua Kaï, comme s’il en voulait à ces citoyens de s’être fourrés dans un tel guêpier. C’était d’ailleurs probablement le cas. Kaï exécrait tout ce qui risquait d’entraver le déroulement sans heurt des opérations. « L’équivalent d’un peloton, avec des armes lourdes. Je pourrais détruire le bâtiment sans difficulté, mais vous nous avez ordonné d’épargner le plus possible les civils. » Cette fois, le ton de Kaï était accusateur : les instructions de Drakon lui interdisaient de recourir à la plus simple des solutions.
Le visage de la vice-CECH Kamara affichait une expression sévère. « Il devrait se faire ces loyalistes. »
Drakon la fixa en arquant un sourcil. « En tuant tous les citoyens de l’immeuble ? Il est énorme. On parle sans doute de centaines de gens.
— Nous sommes disposés à payer ce prix.
— Quelle grandeur d’âme ! s’exclama Drakon en appuyant sur le sarcasme. Vous êtes prête à les laisser mourir. Je suis conscient que vous avez livré une guerre civile, mais vous feriez pas mal de commencer à voir en ces civils vos concitoyens. Tenez-vous vraiment à voir mourir vos concitoyens, vice-CECH Kamara ? »
Elle se renfrogna. « Ils tiennent un immeuble bourré d’otages. Que préconisez-vous d’autre ?
— Que le colonel Kaï leur promette qu’aucun de ses soldats ne tirera sur eux s’ils en sortent.
— Vous n’êtes pas sérieux ! Savez-vous au moins de quoi se sont rendus coupables les soldats de cette unité ? Pas question de les laisser se défiler. »
Le sourire de Drakon était dépourvu de tout humour. « Ai-je dit cela ? Nous ne pouvons certes pas les récompenser pour cette prise d’otages, j’en conviens, surtout s’ils ont perpétré des atrocités comme celles que nous avons visionnées sur les enregistrements. Si ces loyalistes ne savent pas lire entre les lignes des promesses qu’on leur fait, je n’y suis pour rien. »
« Je ne peux pas confirmer la mort du CECH Ukula, déclara Malin. Mais tout porte à croire que son garde du corps, son état-major et lui-même ont péri quand nous avons détruit l’autre QG. Découvrir des fragments d’ADN dans les décombres et les identifier prendra du temps, m’est avis.
— Compris, répondit Drakon. Localiser le poste de commandement secondaire était finement joué. Nous nous inquiétions de la poche de résistance. Avez-vous rencontré des problèmes pour éliminer l’autre QG ? »
Malin secoua la tête, impavide. « Rien qui devrait vous inquiéter, mon général. Je m’en suis occupé. Le colonel Senski m’a informé que sa brigade en nettoie encore quelques-unes, mais, cela mis à part, la vallée est à vous.
— Merci. J’ai toujours rêvé d’en avoir une à moi. »
Au terme de longs pourparlers avec le colonel Kaï, les loyalistes finirent par émerger de l’immeuble.
« Ils s’entourent de citoyens qui leur servent de boucliers, fit observer Kaï, méprisant. Alors que je leur ai promis que mes soldats ne tireraient pas.
— À croire qu’ils ne nous font pas confiance, ironisa Morgan. Prête dès que vous le serez, mon général.
— Attendez qu’ils soient bien en vue pour les descendre, conseilla Drakon. À vous d’en donner l’ordre. »
Les loyalistes se trouvaient à mi-chemin de la navette qui devait censément les emporter pour les mettre à l’abri quand les commandos embusqués de Morgan ouvrirent le feu ; dès la première salve, la moitié du peloton ennemi mordit la poussière. Les survivants hésitèrent, indécis, se demandant s’ils devaient fuir, riposter ou massacrer les civils qui leur servaient de boucliers. Le temps de se décider, il n’en restait plus que deux en vie. Le premier tenta de se rendre mais périt avant même que ses armes n’eussent touché le sol, et le second réussit à tirer une unique balle perdue avant de s’abattre à son tour.
« Parfait. Tâchez de bien jouer votre rôle », conseilla Drakon.
Morgan et ses commandos coupèrent les circuits de furtivité de leurs combinaisons et se dirigèrent vers les civils pétrifiés de terreur au beau milieu des cadavres de leurs ravisseurs. « Je leur avais promis que mes soldats ne tireraient pas sur eux s’ils libéraient leurs otages civils, cria Kaï à Morgan, assez fort pour se faire entendre d’eux.
— Je ne leur ai strictement rien promis, répondit Morgan d’une voix tout aussi sonore. Et je ne travaille pas pour toi. Ces commandos sont sous mes ordres, pas sous les tiens.
— Les Libres Taroans tenaient à ce qu’il ne soit fait aucun mal à leurs concitoyens, fit remarquer Kaï.
— Alors ils devraient être contents. Nous n’avons tué que des serpents et ceux qui les assistaient. »
Kaï haussa les épaules, geste qu’amplifia encore sa cuirasse de combat, avant de se tourner vers les civils. « Vous pouvez rentrer chez vous. S’il y a des citoyens blessés dans l’immeuble, mes toubibs les soigneront. »
« Les citoyens ne voudront jamais y croire, protesta Kamara à leur retour au QG des Libres Taroans. Votre colonel Kaï était raide comme un bout de bois et le colonel Morgan avait l’air de rigoler.
— Le colonel Kaï est presque toujours raide comme un bout de bois, répondit Drakon. Je ne garde ni Morgan ni lui à mes côtés pour leurs performances d’acteur. Terrifiés et secoués comme ils l’étaient, ces civils ont dû gober la couleuvre. Nous venons de vous faire la meilleure publicité qui soit auprès des habitants de cette vallée. Tâchez ne pas la gâcher. »
La vice-CECH Kamara lui répondit d’un hochement de tête, l’air pensive, puis, lorsqu’elle prit enfin conscience de toutes les conséquences de l’opération, son visage s’éclaira graduellement et ses yeux brillèrent d’une joie mauvaise. « C’était l’ultime poche de résistance de ces trois vallées. Voilà qui met les loyalistes à genoux. Nous tenons désormais leurs trois vallées les plus importantes avec toute leur infrastructure de soutien, et nous les avons décapités. Leurs troupes restantes ne peuvent plus nous résister. Nous avons déjà reçu des nouvelles des commandants de deux des secteurs qu’ils tiennent encore, nous interrogeant sur les conditions de leur reddition.
— Parfait. » La liesse n’était pas entièrement de mise. La liste des pertes commençait de s’afficher. Morts et blessés n’étaient pas très nombreux pour une telle opération. Mais il y en avait quelques-uns.
Kamara conversait joyeusement avec d’autres représentants du Congrès provisoire de Taroa Libre. Drakon consulta l’écran, où les territoires contrôlés par les loyalistes avaient spectaculairement rétréci. Dehors, le soleil perçait difficilement à travers les nuages de poussière volcanique qui dérivaient dans le ciel.
Dix-sept
La résistance des loyalistes survivants ne mit qu’une semaine à s’effondrer. Au terme de ce délai, prises entre l’étau des forces terrestres d’un côté et des vaisseaux de Drakon de l’autre – alors que les Travailleurs Universels se livraient à une succession de menaces peu judicieuses assorties d’un attentat suicide à la bombe qui mit en rage plutôt qu’il ne dissuada leurs adversaires –, les dernières vallées qu’ils contrôlaient se rendirent aux Libres Taroans.