La vice-CECH Kamara ne tarda pas à retourner leurs soldats qui avaient jeté l’arme ; elle les joignit à ses propres forces et piqua vers les zones encore occupées par les TU. Drakon, pour sa part, se garda bien d’intervenir. Les troupes des Libres Taroans, augmentées des soldats qui les combattaient encore récemment, ravageaient les secteurs tenus par les Travailleurs Universels.
« Nous devrions participer à cela, grommela Morgan.
— Je veux surtout n’y prendre aucune part, répliqua Drakon. Pour des gens que les horreurs de la guerre bouleversaient soi-disant naguère, ils ont l’air bien pressés aujourd’hui d’éradiquer tout ce qui pourrait rappeler les Travailleurs Universels.
— Nous pourrions les séparer, suggéra Malin. Réduire le nombre des morts en arrêtant le massacre.
— Ils finiraient le boulot après notre départ, voilà tout. Laissons-les faire et ils se réveilleront un beau matin en prenant conscience de leurs actes. Ça sauvera peut-être quelques vies sur le long terme.
— Avons-nous des nouvelles du Congrès ? s’enquit Malin.
— Non. Le Congrès provisoire attend que les TU soient vaincus. Je leur parlerai demain matin pour leur expliquer nos desiderata, suite à quoi nous mettrons les voiles. » Taroa était certes magnifique, mais le lourd tribut prélevé par la guerre civile entachait toutes les images qu’on avait de ce système.
« Mon général, nous avons évité ce genre de désastre à Midway. Peut-être parce que la présidente Iceni et vous avez su mener la barque.
— Ou parce que nous étions plus massivement armés et que personne ne tenait à se mesurer au général Drakon, lâcha Morgan, sarcastique. Contentons-nous d’exiger de ces Libres Tas qu’ils nous remettent ce que nous voulons. S’ils ne nous sont pas assez reconnaissants de l’aide que nous leur avons apportée, nous pourrons toujours leur balancer toutes les misères du monde sur la tête.
— Ils savent qu’ils ne peuvent pas nous envoyer rebondir, dit Drakon. Ils ont besoin de nous, de notre bienveillance, puisque Midway restera à jamais l’étoile la plus proche. Et c’est de cela aussi qu’ils se rendront compte un matin à leur réveil.
— J’adore quand vous vous montrez autoritaire, déclara Morgan avant d’éclater de rire en voyant Drakon lui jeter un regard désapprobateur. Je comprends bien le topo. Nous avons ces Libres Tas à notre merci, même s’ils persistent à se prétendre forts et indépendants. Et nous tenons aussi les chantiers spatiaux. Ce sera la troisième chose dont ils prendront conscience en se réveillant. Beau boulot, mon général. »
Malin se garda cette fois de répliquer. Il préféra fixer Morgan avec l’intensité d’un homme s’apprêtant à désamorcer une bombe.
« Nous n’avons pas assez de mots pour vous exprimer notre gratitude, psalmodia un des membres du Congrès provisoire. Maintenant que Taroa est réunifié, nous n’oublierons jamais que l’aide de Midway y est pour beaucoup. »
La reconnaissance ne mange pas de pain, bien entendu, et nul n’avait encore avancé l’idée d’un dédommagement plus substantiel. Drakon hocha la tête et adressa un petit sourire aux membres du Congrès provisoire. « La présidente Iceni et moi-même sommes très heureux d’avoir pu vous aider. Nous tenons à rétablir les échanges commerciaux entre nos deux systèmes. Vos vaisseaux seront les bienvenus à Midway, et les nôtres ne serviront pas à entraver la course des bâtiments étrangers qui souhaiteraient traverser notre système pour gagner le vôtre. »
Quelques représentants du Congrès saisirent l’allusion : Midway serait en mesure d’interdire cette traversée à tout moment et quand bon lui semblerait. Certes, on pourrait toujours se rendre à Taroa en empruntant d’autres points de saut, mais, si l’on avait accès au portail de l’hypernet de Midway, le périple serait beaucoup moins long et compliqué.
Un des hommes décocha à Drakon un regard sceptique. « Qu’adviendra-t-il des charges relatives à l’usage de l’hypernet par le trafic commercial maintenant que les taux ne sont plus fixés par le gouvernement syndic ? »
Si Iceni n’avait pas mis un point d’honneur à aborder le sujet avant son départ, Drakon n’aurait jamais su répondre à cette question. « Ces taux seront réduits. Point tant que nous n’ayons pas besoin d’argent, mais nous ne le reverserons plus à Prime. Nous pourrons donc nous permettre d’un peu moins taxer les cargos qui emprunteront l’hypernet tout en encaissant davantage de trésorerie, assez en tout cas pour faire de Midway un système puissant et indépendant.
— Pourquoi ne pas les taxer encore moins et réduire d’autant vos revenus ? » le défia quelqu’un.
Drakon ne put s’empêcher de jeter un regard de travers à l’impétrant. « Vous croyez peut-être faire une mauvaise affaire ? Je ne vous ai toujours pas entendu parler des soldats que nous avons perdus en vous aidant à reprendre le contrôle de votre planète et de votre système. »
Tous ou presque réussirent à prendre l’air penaud, mais ils restèrent sur la défensive.
« Notre soutien militaire n’est ni gratuit ni bradé, poursuivit Drakon. Il me faut encaisser assez de revenus pour payer la solde, pourvoir à la maintenance, financer les opérations et mille autres choses encore. Prime ne défendra plus Midway. Ni Taroa. Vous nous aidez à subvenir à votre protection et nous vous aidons à vous défendre. Renâclez et, le jour où le gouvernement syndic pointera de nouveau le museau, nous n’aurons peut-être pas assez de forces à mettre dans la balance. »
Sans même y réfléchir, il s’était de nouveau exprimé en CECH dont les propos ne pouvaient en aucun cas être démentis ou remis en question. Et les Libres Taroans, conditionnés qu’ils étaient par toute une existence de crainte et de soumission, rectifièrent la position en même temps que s’effaçaient leurs sourires.
Le colonel Malin avança d’un pas pour attirer l’attention générale et prit la parole avec fermeté mais sur un ton mesuré. « Comme vient de le dire le général Drakon, nous ne dépendons plus des subsides de Prime pour assurer notre défense. Bien au contraire, Prime est devenu pour nous une menace. Il nous faut aussi affronter les Énigmas. Oui, nous admettons maintenant officiellement qu’ils existent et représentent un danger pour l’espèce humaine. S’ils doivent un jour gagner Taroa, ils viendront par Pele et traverseront Midway. Nous devons donc payer de notre poche les forces mobiles qui défendront tous les systèmes stellaires de cette région. Si nous parvenons à tomber d’accord, ces forces mobiles seront aussi à votre disposition pour vous défendre.
— Les forces mobiles coûtent un œil, affirma la vice-CECH Kamara. Et nous n’en avons pas, ajouta-t-elle pour la gouverne de ses pairs. Nous avons eu une démonstration éloquente de ce dont étaient capables celles qui appartiennent à Midway pour nous prêter assistance. Selon moi, il serait très mal avisé d’exiger de payer moins que par le passé pour emprunter l’hypernet de Midway, dans la mesure où cela nous apporte également l’appui de puissants défenseurs.
— À propos de défense, intervint un des représentants, nous ne serions pas mécontents de reprendre le contrôle des chantiers spatiaux dès que vous aurez rapatrié vos soldats.
— Les chantiers spatiaux ? » répéta Drakon.
S’ensuivit un bref silence puis le représentant reprit plus prudemment la parole : « Oui. Le chantier spatial principal. Il nous appartient.
— Nous l’avons repris au gouvernement syndic, rétorqua Drakon. Il n’a jamais été sous le contrôle des Libres Taroans. »
Kamara le dévisagea, l’œil dur. « Vous entendez donc le conserver ?