— Nous en avons gagné le droit, fit remarquer Drakon.
— Vous ne pouvez pas garder cette installation sans l’accord de notre planète ! éclata une femme.
— Me menaceriez-vous ? questionna Drakon. Qu’est-il advenu du “Nous vous remercions de cette victoire qui nous a rendu notre planète pratiquement intacte” ? De votre reconnaissance ? Nous ne vous prenons rien que vous ayez jamais possédé. Si vous tenez à ce que nous abordions la question d’un usage commun de ces chantiers spatiaux, nous pourrons sûrement arriver à un accord satisfaisant, mais ils resteront entre nos mains.
— Toute menace serait futile », affirma Kamara, autant en réponse à Drakon qu’à l’intention de ses collègues. Elle se pencha légèrement, les mains à plat sur la table, le regard rivé sur lui. « Nous savons qu’un cuirassé est en construction dans ces chantiers spatiaux. Vous entendez le garder aussi, j’imagine ? »
Drakon opina. « Il reste encore beaucoup à faire avant que ce bâtiment ne quitte le chantier mais, une fois qu’il sera terminé, il contribuera de manière très avantageuse à la défense de notre système stellaire. Et du vôtre, par le fait, si vous choisissez de travailler avec nous.
— Choisir ? s’enquit une voix narquoise. On ne nous laisse pas le choix.
— Oh que si ! rectifia Kamara. Nous ne l’avions pas auparavant parce qu’il ne nous était permis que de résister aux forces syndics et aux Travailleurs Universels. Mais nous pouvons maintenant décider de la façon dont nous contrôlerons cette planète et son système stellaire. Les chantiers spatiaux sont certes d’une importance capitale pour nous, mais les reprendre par la force nous est interdit, du moins tant que les forces terrestres et mobiles de Midway les protégeront.
— Nous cédons au chantage ! vociféra l’homme.
— Nous nous inclinons devant la réalité. »
Nul ne répondit avant un bon moment. Drakon attendit, impressionné par l’habileté dont Kamara faisait preuve pour inciter les représentants à mieux appréhender la situation. Elle finirait peut-être par prendre elle-même le contrôle du système.
« Nous disposons d’une solide base de négociation pour ce qui concerne le statut des chantiers spatiaux, affirma finalement une femme qui s’efforçait de jouer les bravaches mais fixait Drakon en clignant nerveusement des paupières. Toute force de Midway qui resterait ici pour les protéger devrait nécessairement nous défendre aussi. Il nous reste à déterminer la forme que prendra exactement notre gouvernement, à emporter ensuite l’adhésion de nos concitoyens puis à organiser des élections pour pourvoir à tous les postes officiels. Mais nous aurons le plus grand mal à leur faire accepter la perte de ce cuirassé partiellement achevé.
— Si je puis me permettre de le suggérer, reprit Malin d’une voix encore plus tempérée, compte tenu des dangers que nous devons encore affronter, vous n’aurez sans doute pas le temps d’établir ce gouvernement. En outre, il est urgent de relancer un commerce actif et régénéré dans cette région. Vous pourriez envisager d’accorder à un groupe de citoyens de confiance, tel que le vôtre, le pouvoir de négocier des accords provisoires sur des questions comme le commerce et la défense mutuelle, accords qui seraient ensuite ratifiés par le gouvernement définitif une fois en place. Ce qui lui donnerait le dernier mot, tout en nous permettant de prendre entre-temps les mesures nécessaires au bien-être de vos citoyens. »
Les membres du Congrès parurent aussi intéressés qu’impressionnés par ses dernières paroles. « Mais… le cuirassé… insista quelqu’un.
— S’il intervenait dans les tractations, reconnaître sa perte pourrait en effet créer des problèmes à votre gouvernement, répondit Malin. Mais, comme l’a souligné le général Drakon, nos forces l’ont confisqué au gouvernement syndic. Il nous appartenait déjà avant nos premiers pourparlers avec les Libres Taroans, de sorte que vous ne renoncez à rien. »
Kamara eut un sourire glacial. « Nous en rediscuterons ultérieurement, mais peut-être pourrions-nous convenir qu’officiellement ce cuirassé n’a jamais été la propriété des Libres Taroans. Notre gouvernement n’a pas besoin de se créer de nouveaux problèmes en sus de ceux qu’il a déjà sur les bras. Mais, officieusement, les représentants de la Libre Taroa s’attendront à d’autres concessions.
— Nous en débattrons, répondit Malin. Officieusement.
— Pouvons-nous dépêcher à Midway, avec vous, quelques-uns de nos représentants pour discuter directement de ces questions avec la présidente Iceni ? s’enquit une voix.
— Ça me convient parfaitement, affirma Drakon en se demandant s’ils s’imaginaient que la présidente Iceni se montrerait plus coulante et leur concéderait le cuirassé, fût-ce sous la forme d’une coque inachevée. Le colonel Malin restera votre intermédiaire à cet égard. » S’engager personnellement dans de fumeuses négociations commerciales et se retrouver en train de couper des cheveux en quatre sur la place de telle ou telle virgule était bien la dernière corvée à laquelle aspirait Drakon.
« Général, intervint un des membres du Congrès provisoire avec un sourire obséquieux trahissant un cadre bien formaté, nos effectifs militaires sont limités et nous devons affronter de sérieux problèmes de sécurité. Vous maintenez déjà une partie de vos forces terrestres sur les chantiers spatiaux. Si d’autres pouvaient stationner de manière temporaire à la surface de la planète… »
Drakon le coupa d’une voix tranchante alors que nombre de sourcils se fronçaient déjà : « Non. Toutes mes forces rentreront à Midway à l’exception de celles qui assureront la sécurité des chantiers orbitaux. Nous en étions convenus. » Il s’était débrouillé pour colorer d’une sorte d’intonation vertueuse sa détermination de s’en tenir à ses promesses, alors qu’en réalité il ne tenait pas à laisser ses soldats de faction dans des secteurs récemment encore soumis aux TU. Il savait, sans avoir à le demander, que ces garnisons se trouveraient précisément dans des zones où les Libres Taroans préféreraient envoyer les soldats d’un autre système stellaire. Nous avons obtenu ce que nous voulions, et nous avons fait toute la sale besogne que nous étions disposés à faire ici.
Il réussit à éviter de leur faire à nouveau le coup du CECH avant la fin de la discussion et les quitta avec soulagement.
Il s’accorda une pause en sortant pour vérifier que son équipement de sécurité interdisait toute tentative d’espionnage. « Excellente intervention, Bran. »
Malin haussa les épaules. « S’agissant de questions comme le commerce ou la défense commune, nos intérêts et ceux des Libres Taroans coïncident. Je tenais à ce qu’ils ne sabordent pas toute possibilité d’un accord par leurs maladroites tentatives de marchandage.
— Ouais. J’ai regretté à plusieurs reprises de n’être plus un CECH syndic. J’espère qu’ils réussiront à s’entendre avant que ce libre système stellaire ne parte en quenouille. » Drakon consulta de nouveau les relevés de son équipement de sécurité mais celui-ci était toujours opérationnel. Bien que les Libres Taroans eussent pieusement annoncé qu’ils n’autoriseraient plus jamais chez eux cet espionnage routinier typique de la société syndic, il les soupçonnait de tordre volontiers le cou à leurs vertueuses convictions lorsqu’ils le jugeaient nécessaire. « Où en est le recrutement d’informateurs et d’agents actifs ?
— Nous en aurons mis en place un bon nombre à notre départ, promit Malin. Développer le commerce présente encore un autre avantage pour nous. Plus nombreux seront les vaisseaux marchands qui circuleront entre Midway et Taroa, plus nos agents bénéficieront d’occasions de transmettre leurs informations sous ce couvert, et plus nous pourrons nous-mêmes leur faire secrètement parvenir des instructions.