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— Bizarre que ça se passe aussi bien ! À en juger par ce que nous venons de voir, nos agents vont devoir se mettre au boulot d’entrée de jeu. Il leur faudra pousser à la roue, insister, cajoler, soudoyer, convaincre, faire appel au chantage et à tout ce qui sera nécessaire pour mettre un gouvernement sur pied.

— Oui, mon général.

— Et pas un gouvernement fantoche, poursuivit Drakon. Il devra être assez fort pour garder le contrôle de cette planète et de ce système stellaire, assez stable pour tenir durablement et assez amical pour travailler avec nous la main dans la main. Fort, stable et amical. Nous avons besoin de ces trois ingrédients et j’ai la conviction que la présidente Iceni ne lésinera pas sur les dépenses nécessaires à nous les procurer. » Autre enveloppe budgétaire que les octrois de l’hypernet contribueraient à remplir ; cela étant, il n’eût pas été très avisé de soulever la question lors de cette réunion avec le Congrès provisoire. « As-tu remarqué à quel point la vice-CECH Kamara dominait ses pairs ? »

Malin hocha sobrement la tête. « Oui, mon général. Il faut qu’elle travaille avec nous.

— Morgan préconiserait sa liquidation si elle refusait de marcher droit.

— Morgan se tromperait lourdement, insista Malin. Dans la constitution d’un gouvernement stable et fort, quelqu’un comme Kamara pourrait faire toute la différence. Je n’ai constaté une telle autorité chez aucun des autres intervenants, et, aux yeux des citoyens de la planète, elle reste aussi l’héroïne qui a vaincu les loyalistes. Liquidez Kamara et personne ne pourrait boucher le trou. Les Libres Taroans veulent que tous les postes gouvernementaux soient pourvus par des élections. Si Kamara se présentait, ils pourraient fort bien l’élire.

— S’ils le font et qu’il se vérifie que Kamara correspond à nos besoins, alors tant mieux. Que les Taroans décident donc d’un gouvernement élu ! Nous pourrions alors en tirer certains enseignements. Même en cas d’échec, car il nous servirait à la fois de leçon et d’exemple dissuasif si l’on cherchait à instaurer chez nous un modèle identique. » Drakon dévisagea Malin. « À ce propos, vous semblez avoir mûrement réfléchi à la question, colonel Malin. Et en savoir aussi bien plus long que les Syndics ne l’auraient jugé bon sur les différents modes de gouvernement. »

Malin hocha la tête d’un air pénétré. « Il faut bien passer le temps, mon général. »

Réponse évasive s’il en est, et qui ne révélait pas grand-chose. Mais Malin n’en dirait manifestement pas davantage à moins qu’on le questionne avec insistance, et Drakon n’arrivait pas à se convaincre qu’il pût le trahir. « Tu as choisi un bien curieux passe-temps. Et dangereux. Tâche seulement de recruter assez d’agents à ta solde sur cette planète et de les mettre au boulot pour que nous parvenions à nos fins.

— À vos ordres, mon général. Je pars dans l’heure. Certaines besognes exigent ma présence personnelle dans une autre ville. » Malin salua et s’éclipsa. Drakon ne doutait pas que, lorsqu’ils quitteraient le système de Taroa, un vaste et efficace réseau d’agents clandestins œuvrerait à l’accomplissement des objectifs d’Iceni. Et de lui-même.

Ç’aurait dû lui faire plaisir. Tout se déroulait à la perfection. Mais Drakon était insatisfait. Les Libres Taroans s’étaient montrés extrêmement agaçants : reconnaissants en apparence, ils n’en avaient pas moins soigneusement évité de rien offrir en contrepartie de l’aide qu’ils avaient reçue. Ils avaient même barguigné, refusé d’admettre cette vérité toute simple : les chantiers orbitaux et le cuirassé qu’on y construisait étaient désormais la propriété de ceux qui les avaient repris au gouvernement syndic. Pourtant, ils avaient aussi fait preuve d’un tel enthousiasme, d’un tel idéalisme… C’étaient des imbéciles, voués à la déception dès que leurs rêves se heurteraient à la dure réalité ; cela dit… il serait bien agréable de pouvoir s’enthousiasmer pour un projet. De croire à autre chose qu’au seul rétablissement du pouvoir, qu’à la préservation de sa propre peau et à la destruction de ses ennemis. Depuis quand avait-il perdu tout enthousiasme, tout idéalisme ?

Bon, il avait quand même éprouvé l’ombre d’une exaltation avec Iceni. Elle avait précisément l’air en quête de cela : rechercher une raison de tenir les rênes plus forte que sa seule survie.

Hélas, Iceni se trouvait à des années-lumière. Des sentinelles se tenaient certes çà et là, à l’affût de menaces éventuelles. Il n’était pas seul mais pas non plus en bonne compagnie. Kaï, lui, se trouvait à plus d’un demi-continent. Gaiene devait être déjà fin saoul et se demander combien de femmes il pouvait s’offrir en une nuit. Il ne connaissait pas assez bien le colonel Senski pour se sentir détendu avec elle. Malin était parti organiser son réseau d’espions. Et Drakon ne croyait pas avoir l’énergie ni la patience de soutenir une conversation avec Morgan. Du moins l’idée qu’elle s’en faisait.

Le Congrès provisoire de la Libre Taroa lui avait montré à quel point il l’appréciait en lui accordant pour la nuit l’hospitalité des anciens quartiers de l’ex-CECH du système. Ça ne lui coûtait strictement rien, bien évidemment. Drakon n’avait pas réussi à découvrir ce qu’il était advenu de cet homme. On savait qu’il avait trouvé refuge auprès du SSI quand la guerre civile s’était déclarée, mais on perdait sa trace par la suite. Peut-être avait-il embarqué à bord d’un des vaisseaux que les serpents avaient réussi à faire sortir de Taroa, mais certains rapports affirmaient qu’il avait été exécuté pour manquement, haute trahison ou tout autre motif qu’ils jugeaient suffisants, et qu’on avait fait disparaître son cadavre. Quoi qu’il en fût, les chances pour qu’il réapparût étaient bien minces, et ses bureaux et sa suite avaient été passés au peigne fin en quête de dispositifs de surveillance et autres chausse-trapes.

Drakon tapa un code d’accès et entra puis balaya les lieux d’un regard amusé. L’ex-CECH de Taroa avait des goûts de luxe, d’autant que ce système n’avait jamais été très opulent, même avant que la guerre civile ne le frappe rudement. Il avait dû procéder à un assez faramineux détournement des impôts pour s’offrir une telle installation. La chambre à coucher ne présentait pas seulement un dispendieux étalage de toiles de maîtres et de sculptures, un bar complet excellemment approvisionné en liqueurs provenant de planètes de l’Alliance – qui toutes n’avaient été accessibles que grâce au marché noir au cours du siècle passé – et un lit susceptible d’abriter une escouade entière de soldats sans même qu’ils aient à se serrer, mais également, dans un angle, une authentique cheminée à l’onéreux manteau de marbre.

Rien de tout cela n’avait fait grand bien au CECH quand la révolution avait éclaté. En réalité, la corruption que trahissait cette suite avait même dû contribuer à déclencher la guerre tripartite qui l’avait poussé à s’enfuir.

Drakon traversa le salon jusqu’à la cheminée, chercha des yeux le commutateur presque invisible dissimulé dans le marbre et l’activa. Une flamme très convenable monta des bûches et emplit la salle de sa clarté vacillante. Il gagna le bar, non sans se moquer intérieurement de se laisser aller à cette faiblesse, et examina son contenu. Du rhum d’Hispan ! Sidérant ! Il en remplit un grand verre, s’affala dans un fauteuil confortable et fixa la flambée.

Il avait oublié ce problème que pose toujours le feu : quand les flammes se mettent à danser, on peut y voir des images. Après s’être élevé au rang de CECH et avoir livré trop de batailles, celles qu’y voyait Drakon ne pouvaient pas naître de souvenirs bien agréables. La ville en occupait massivement le premier plan. Où diable était-ce, déjà ? Sur quelque planète de l’Alliance. Embrasée. Des kilomètres carrés livrés aux flammes, personne pour enrayer l’incendie, tous les systèmes pare-feu automatisés détruits, tandis que des soldats en cuirasse de combat progressaient au beau milieu de l’holocauste, ajoutant encore à la destruction en même temps qu’ils se battaient pour prendre le contrôle de la cité qui se consumait autour d’eux. Jamais Drakon n’avait vu brûler autant à la fois : énormes tours, longues rangées d’habitations bon marché, arbres…